L’explosion des prix n’est pas sans conséquence sur les Ong et centres de formation préprofessionnelle qui viennent en aide aux plus démunis. À l’instar de la Maison Familiale Rurale (MFR) de l’Est, à Flacq, dont la mission est de tendre la main aux jeunes n’ayant pu s’adapter au système scolaire en leur offrant des cours académiques et pratiques en alternance pour optimiser leurs chances de décrocher des emplois. C’est avec un cœur lourd que la directrice du centre, Jyoti Derochoonee-Jatoo, confie : « c’est devenu très difficile pour nous de continuer à offrir des repas à nos jeunes. »
Depuis la pandémie de Covid-19, la MFR de l’Est éprouve des difficultés à aider ses jeunes bénéficiaires comme elle le fait habituellement. Avec la montée en flèche incessante des prix des aliments, la situation ne fait que se dégrader. « Jusqu’ici, nous avons offert tous les jours un repas chaud comprenant du riz, un plat préparé par notre cuisinier, un yaourt et un fruit à nos jeunes. Aujourd’hui, nous n’arrivons plus à leur donner la même quantité de repas. Avant, ils avaient un repas complet. Maintenant, nous sommes forcés d’économiser pour pouvoir continuer à faire rouler le centre. Avec la flambée des prix des produits alimentaires, cela devient de plus en plus difficile », confesse-t-elle.
L’école opère avec l’allocation qu’elle reçoit de la National Social Inclusion Foundation (NSIF). Outre cette somme, elle pouvait jusqu’ici compter sur Foodwise en termes de dons alimentaires et « sur des bienfaiteurs comme Philippe Ah-Chuen qui nous aident de manière ponctuelle ». Toutefois, avec la sévère crise économique, ces contributions personnelles se font de plus en plus rares.
Depuis l’an dernier, la boulangerie, Le Fournil, à Flacq leur fait bienveillamment don de pains au quotidien. « Nous tartinions ces pains de beurre ou de Nutella pour servir aux jeunes au petit-déjeuner, avec thé ou café. Maintenant, nous ne pouvons plus faire cela. Nous les réservons pour en faire des pains fourrés pour le déjeuner. Les jours où nius parvenons à préparer des plats chauds pour le déjeuner, les jeunes apportent alors le pain à la maison », dit-elle.
Ces repas valent leur pesant d’or pour les jeunes bénéficiaires, particulièrement par ces temps où le panier de la ménagère se désemplit de plus en plus. « Sans ces repas, ces jeunes qui viennent chez nous n’auraient pas de quoi manger à midi. Ils n’ont même pas un pain à apporter en arrivant chez nous. Il y a aussi des jeunes qui viennent chez nous juste parce qu’on offre un repas. C’est pourquoi beaucoup sont contents en arrivant chez ici car ils arrivent à manger mieux, ce qui soulage les familles et diminue leur stress », ajoute Jyoti Derochoonee-Jatoo.
Il n’est pas non plus rare que des parents fassent appel au centre pour recevoir de l’aide. « Moi, je le fais à titre personnel avec des amis mais le centre n’est pas en mesure de leur venir en aide. Déjà, c’est très difficile pour nous de continuer à offrir ces repas », regrette-t-elle.
La directrice confie encore que même « pour nous, les personnes qui vivaient bien avant la crise, c’est difficile ». Et de poursuivre : « Avec Rs 200-Rs 300, nous pouvions revenir du marché le panier rempli. Aujourd’hui, Rs 1 000 ne suffisent pas pour remplir son panier de courses. Quand nous regarde les prix des légumes, nous comprenons pourquoi nous n’arrivons plus à offrir un bon repas à nos jeunes. »
Or, pour elle, assurer que ces élèves aient un repas est essentiel pour qu’ils puissent se concentrer dans leurs études. D’ailleurs, souligne-t-elle, c’est une des raisons qui expliquent qu’ils n’aient pu continuer leur scolarité dans le système normal. « Issus familles pauvres, ils ne mangeaient pas à leur faim ; les parents se disputaient à cause du manque d’argent, du manque de nourriture. » L’idée de ne plus pouvoir les aider comme avant suscite chez Jyoti Derochoonee-Jatoo un déchirement : « C’est chagrinant car beaucoup de ces jeunes vont dormir le ventre vide ou à moitié rempli le soir. »
La MFR de l’Est offre des formations professionnelles à une vingtaine de jeunes recalés de 16-18 ans. « Ce sont des enfants venant de milieux vulnérables, rejetés de la société. Pour éviter qu’ils sombrent dans les fléaux sociaux, particulièrement la drogue, nous les récupèrons pour leur dispenser une formation académique et professionnelle. Ils suivent ainsi en alternance un temps de formation dans notre centre à Flacq et un temps de stage dans une entreprise pour augmenter leurs chances de décrocher un emploi », explique-t-elle.
Nadine, 47 ans, habitante de Cité Argy, Flacq, a quatre enfants dont une est mariée. Étant veuve, elle est seule à élever ses trois autres enfants, des jumeaux de 11 ans et un jeune de 17 ans, élève à la MFR de l’Est.
« Sa lavi-la pe vinn bien dir », lâche-t-elle. Venant de décrocher un petit job comme plongeuse dans un restaurant, elle confie que c’est un « petit soulagement ». N’empêche, même avec sa pension de veuve et une allocation qu’elle reçoit pour ses trois enfants, cela est loin de suffire. « Kan mo tir larzan van lekol, komision, nepli reste nanie. »
N’ayant pas de maison, c’est chez sa grand-mère – qui lui a permis d’aménager deux pièces à coucher – qu’elle et ses enfants vivent. « Mo pena delo, lalimier kot mwa. Mo bizin pran avek mo granmer, lerla mo tir kas dan pos pey mo granmer », révèle-t-elle.
Pour soulager son fardeau, elle compte sur ses tantes qui habitent la même cour. « Elles aident mes enfants quand elles peuvent en leur achetant ce dont ils ont besoin pour l’école. » Quant à elle, « chaque fin de mois, j’achète tout ce dont mes enfants ont besoin mais au milieu du mois, tous les produits sont épuisés ». Elle se dit néanmoins reconnaissante que son fils reçoit à manger à l’école MFR de l’Est.