« Il y a certaines choses que nous n’achetons plus. Vu le prix de la viande, il y a des gens, même de la classe moyenne, qui n’en achètent plus ou alors ils achètent du poulet une ou deux fois par mois », fait ressortir Magali Deliot, directrice de Planète Enfants, Ong venant en aide aux enfants vulnérables dans la région d’Albion. Elle confie connaître « des enfants qui n’arrivent pas à manger tous les jours ou qui n’ont qu’un seul repas ».
Alors que le pouvoir d’achat des Mauriciens est en chute libre, même la classe moyenne est loin d’être épargnée, relève Magali Deliot. « Même nous, nous sommes affectés par la cherté de la vie. Il y a certaines choses qu’on n’achète plus. Pour ceux au bas de l’échelle, c’est encore pire. »
La viande est aujourd’hui considérée comme un aliment hors de la portée de tous. « Certaines personnes, même de la classe moyenne, n’en achètent même plus, ou alors ils achètent du poulet une ou deux fois par mois. Quand on regarde le prix du bœuf et du mouton – un morceau de Topside est à presque Rs 300 – comment partager un morceau de viande qui se rétrécit après cuisson au sein d’une famille de cinq à six personnes ? Certains en achètent de temps en temps pour mélanger avec de la pomme de terre. Maintenant, pour ceux au bas de l’échelle, c’est vraiment difficile. La situation s’est largement dégradée », s’attriste la directrice de Planète Enfants.
Elle poursuit en disant que certaines familles privilégient les conserves comme alternative aux légumes désormais coûteux et scrutent les produits en promo. « Une mère d’une famille de classe moyenne inférieure m’a fait part qu’elle a dû prendre deux autres petits boulots comme femme de ménage car les revenus ne suffisaient pas avec toutes les dépenses au supermarché, etc. »
Est-il facile de trouver du boulot actuellement ? « Dans certains domaines, il y a du travail. On cherche souvent des maçons, par exemple. Je ne sais pas pourquoi on doit faire appel aux travailleurs étrangers car il y a des Mauriciens qui sont sans emploi. Mais, même avec un boulot, les revenus ne suffisent pas », admet Magali Deliot, qui reconnaît qu’il existe aussi des personnes qui ne veulent pas travailler.
« Ce qui explique peut-être la présence de Bangladais à Maurice. Il y a un problème d’absentéisme. Les gens se plaignent de tout mais il faut qu’ils prennent conscience que si on ne travaille pas, on n’aura rien. Ce sera de mal en pis. Les dons que reçoivent les Ong s’amenuiseront car les entreprises elles-mêmes donnent moins. Sans le travail, il n’y a pas de survie », ajoute-t-elle avec force.
Elle dit conseiller ceux qu’elle aide de planter des brèdes chouchou, giraumons qui poussent très vite, soit un potager en urgence pour parer au plus pressé. Le problème, selon elle, c’est que parfois, il n’y a pas de volonté pour le faire. « On ne peut pas non plus s’asseoir et attendre que ce dont on a besoin tombera du ciel, attendre que les Ong viennent faire des dons. Il faut faire un effort car nous, au niveau des Ong, on fait des efforts. On fait du volontariat. On prend de notre temps pour faire tout cela », regrette-t-elle.
Preety et son mari, qui reçoivent de temps à autre de l’aide de Planète Enfants, vendent des rotis dans la région d’Albion. « Travay inn tonbe, li pa kouma avan. Siman, feray inn ser, dimounn pa konstrir lakaz. Avan, ti ena mason partou travay, nou ti pe gagn kliyan », confie-t-elle.
Mère de deux enfants en Grade 6 et 7, elle lâche : « Ce n’est guère facile. Il faut chaque jour trouver de quoi fourrer leurs pains – deux pains par enfant – sans compter leur argent de poche et le jus que je leur donne pour l’école. Tout ce qu’il faut pour préparer le pain est devenu hors d’accès : saucisses, burger, etc. Ils ne veulent pas manger autre chose. »
Avec les prix qui ne cessent de prendre l’ascenseur de jour en jour, Preety confie : « Il nous faut sacrifier beaucoup de choses et opter pour des produits moins chers comme alternative. Nou nepli kapav aste la viann, ourit, krevet. Bizin dir, dan de mwa, trwa mwa ki kapav aste, parfwa pa kapav mem. » Si sa fille aime les fruits, elle ne peut toujours en acheter. « C’est trop cher. Avec Rs 100, vous n’avez que trois à quatre mandarines ! »
Le matériel scolaire et les leçons particulières représentent, dit-elle, des dépenses importantes dans le budget familial. « Si les prix pouvaient baisser un peu, les gens pourraient être soulagés. Avant le Covid-19, on pouvait vivre tant bien que mal. On pouvait se permettre d’acheter certaines choses. Aujourd’hui, on profite du Covid-19 et de la guerre pour augmenter les prix alors qu’il y a des produits qui sont fabriqués localement. Même ces produits locaux sont plus chers ! » décrie-t-elle.
Un poulet pour deux à trois repas
Christelle a quatre enfants âgés entre quatre et 16 ans. « Li pa fasil, mo bizin fer miltifonksyon. » Sa mère et son mari sont casseurs de pierres mais le travail ne marche pas en ce moment, à en croire Christelle. De nature débrouillarde, elle a su pousser son ingéniosité plus loin pour survivre.
Femme de ménage le jour, l’après-midi, quand elle rentre chez elle à Albion, elle entreprend, en préparant des repas typiquement mauriciens à emporter pour le dîner. « Mo prepar osi bann gajak. » Malgré la fatigue, ce qui compte pour cette mère de famille, c’est que sa famille puisse survivre. « Fatigue, wi, me oblize debrouye. Si mo pa fer sa, pa pou kapav viv ! Letan ou tir larzan delo, la limyer… Manze lamem kout extra ser. Tou seki esansyel pou zanfan pe vinn extra ser. »
Elle cite en exemple le riz, les légumes secs, le poisson salé, les légumes, les burgers, le beurre et le fromage… « Ce sont des choses dont nous avons besoin tous les jours pour faire vivre nos enfants. Ce n’est pas évident. »
De fait, elle a dû imposer plusieurs restrictions au sein de sa famille. « Un poulet coûte environ Rs 300. Si on n’y ajoute pas de légumes lors de la cuisson, on n’arrivera pas à nourrir plusieurs personnes. Aujourd’hui, il faut cuire un poulet pour deux à trois repas en y associant des légumes. Quant à mes enfants, j’avais l’habitude de leur donner de l’argent de poche mais il y a des jours où je ne peux leur en donner. Je m’assure surtout qu’ils ont leur pain. Quand les enfants sont malades, il faut les emmener chez le médecin. Il y a des médicaments qui ne sont pas disponibles à l’hôpital. Il faut alors acheter en pharmacie et là aussi, les prix ont explosé. »