L’une des dernières batailles juridiques sur le front international autour de l’archipel des Chagos se joue depuis hier devant la Special Chamber de l’International Tribunal for the Law of the Sea à Hambourg. Comme il fallait s’y attendre, suite à la mission scientifique de février dernier dans les eaux de l’archipel, la position stratégique de Blenheim Reef au nord de Peros Banhos constitue la pierre angulaire des revendications de Maurice pour la délimitation des frontières maritimes entre Maurice et les Maldives dans cette partie de l’océan Indien.
D’ailleurs, le document principal de plus d’une centaine de pages déposé en greffe du tribunal de Hambourg, pour appuyer les Claims de Maurice s’articule sur les Findings de cette mission scientifique, menée au nom de la République de Maurice, avec en complément des arguments légaux et autres précédents.
Pour la première journée des délibérations, devant s’échelonner pendant toute semaine pour prendre fin lundi prochain, les conseils légaux de Maurice, menés par Philippe Sands, KC, ont concentré leur offensive sur la dimension stratégique de Blenheim Reef pour situer les limites du territoire maritime de l’état archipélagique qu’est Maurice.
D’ailleurs, le Leading Counsel, Philippe Sands, et ses plus proches collaborateurs ont pris pour cible l’argument principal des Maldives remettant en cause l’existence territoriale de Blenheim Reef. « There is only one point of difference between the Parties as to Mauritius’ relevant coast. Maldives argues that Blenheim Reef does not form part of Mauritius’ relevant coast because it is a low-tide elevation. As an alternative to Blenheim Reef, Maldives opts for the Northern coastline of Nelson’s island. Aside from this dispute over Blenheim Reef, Maldives agrees with Mauritius’ depiction of the relevant coast along the coast of Peros Banhos and Salomon Islands », note le Memorial déposé par Maurice devant cette instance spécialisée des Nations unies en droit de la mer.
Partant de ce postulat, les différents spécialistes en droit de mer défendant la position de Maurice ont successivement appuyé sans hésitation la thèse que « Blenheim Reef is an integral part of the Mauritius Coastline and there is no dispute about it ».
Dans son intervention avant la pause pour le déjeuner, Philippe Sands, KC, a fait état au sujet des Archipelagic Baselines de Maurice pour délimiter le territoire maritime la confirmation de 42 Base Points, dont 34 dans la partie sud, neuf au nord des Chagos. « Only four Baseline Points are in dispute, that is on the Northern Fringe on Blenheim Reef », dira-t-il en avançant qu’il n’y aucun litige au sujet de la définition de Maurice en tant qu’Archipelagic State.
« Mauritius has the right to use the archipelagic baselines and Blenheim Reef generates a full entitlement to delimitation be it as low tide elevation or drying reefs », ajoutera le Lead Legal Adviser de Maurice, qui se permet de dénoncer la Salami Approach adoptée par les Maldives dans son argumentation devant la Special Chamber de l’ITLOS.
Philippe Sands, KC, souligne que “the archipelagic baselines are to give effect to the delimitation process” et affirme que « Blenheim Reef is not to be treated differently as an island. There is no distinction whatsoever between drying reefs and islands”.
Face aux arguments des Maldives, présentant Blenheim Reef comme une Low Tide Elevation (LTE), Philippe Sands a fait allusion à une série de précédents sur le plan de la jurisprudence en matière de droit de la mer.
« Maldives contends that because Blenheim Reef is remote LTE, it does not form part of the relevant coast of Mauritius. Maldives ignores the fact that Blenheim Reef is located within 10.6 M of a high-tide feature, Île Takamaka, and, by definition, is not remote, whatever the significance that Maldives attempts to attribute to that non-legal term », indique encore formellement le Memorial de Maurice.
« Blenheim Reef cannot be erased from Mauritius’ relevant coast. Moreover, Blenheim Reef is now proven to be a drying reef within the meaning of Article 47 1) of the Convention and falls within Mauritius’ archipelagic baselines. The special regime established by Part IV of the Convention accords drying reefs within archipelagic baselines full to an EEZ and continental shelf », rappelle Maurice, Philippe Sands soulignant avec force devant les membres de la Special Chamber de l’ITLOS que « Blenheim Reef has the same sovereignty and the same sovereign rights ».
Auparavant, en ouverture des travaux de la Special Chamber du Tribunal, présidée par le juge Jin-Hyun Paik et composée de huit autres juges, Philippe Sands s’est appesanti sur l’expédition scientifique historique effectuée sur le récif de Blenheim soutenue par des images vidéos. Il a rappelé que c’est la première fois depuis l’accession de Maurice à l’indépendance qu’un navire battant pavillon mauricien, avec à son bord des Chagossiens, a été en mesure de naviguer dans les eaux de l’archipel des Chagos et de débarquer sur certaines îles sans une escorte armée de la Grande-Bretagne.
« La réaction des Maldives pour cette visite n’était pas débordante mais le ton avait changé. Ce dont nous nous réjouissons », dit-il.
L’expédition, partie des Seychelles avec une vingtaine de personnes dont des scientifiques marins et des membres du Legal Panel, était dirigée par l’ambassadeur Koonjul à bord du navire Bleu de Nîmes. L’équipe scientifique a présenté des éléments nouveaux et précis concernant le récif de Blenheim. Il ajoute que les enquêtes scientifiques menées ont permis de changer les connaissances concernant ce récif dans une partie fait face aux Maldives.
« Auparavant on ignorait que le récif s’étendait sur une circonférence de quelque 19 kilomètres », révèle Philippe Sands, qui fait comprendre que les résultats scientifiques n’ont pas été contestés par les Maldives. « Les découvertes qui ont bouleversé les membres de l’expédition ont amené l’équipe juridique à examiner les implications de la véritable nature du récif de Blenheim en comparaison au texte de la convention », poursuit-il.
La question pour lui est de savoir comme les Maldives auraient pu parvenir à un accord avec Maurice sur la question des effets juridiques de récifs découvrant surtout que des observations ont démontré l’étendue du récif qui se découvrait aussi à marée basse qu’à marée haute. Il estime que Maurice est en droit de localiser les points de base relevés pour les besoins de la délimitation de la frontière maritime. « Les tentatives de minimiser de récif de Blenheim et l’exclure de la procédure sont dénuées de fondement », s’insurge-t-il.
À ce stade de son intervention, le Lead Legal Adviser de Maurice a brossé un tableau liminaire des points de désaccord importants, principalement à savoir que les Maldives considèrent que le récif ne fait pas partie de la zone côtière de Maurice et n’est pas un emplacement pertinent.
Les autres points litigieux portent sur la partie découverte du récif, les compétences de la Chambre spéciale pour délimiter les plateaux continentaux situés au-delà des 200 miles marins. L’archipel des Maldives trouve que la demande de Maurice est irrecevable dans la mesure qu’elle n’a soumis que des informations préliminaires.
D’autres du panel légal de Maurice, dont le Pr Klein, démontrera qu’il n’y a aucune raison pour que Maurice limite sa compétence à la délimitation des frontières maritimes. Il a souligné le rôle de premier plan de l’ITLOS dans la vie de la convention et dans la défense de l’État de droit.