Cadress Rungen : « Avoir 14 ans à Maurice ces temps-ci, c’est compliqué »

– « Ce n’est pas en usant de slogans “Dir non a ladrog” ou “Stop ladrog” qu’on découragera nos jeunes »

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Après deux ans « coincés » pour cause d’urgence sanitaire nationale et mondiale, avec la pandémie de Covid-19, le Groupe A de Cassis et Lakaz A ont renoué avec leurs activités ponctuelles. La première à figurer dans le calendrier : le Weekend Cado (Capacité Amour Don de soi et Océan de bonheur). Les participants, « une trentaine de jeunes de 14 à 18 ans », explique Cadress Rungen, fondateur et intervenant de l’ONG. « C’est la toute première fois que nous avons eu des participants aussi jeunes. Pourquoi ? Simplement parce que lors de nos descentes sur le terrain, auprès des parents qui viennent solliciter notre soutien, et par le biais de notre aile jeune qui est très active partout, autour de l’île, il nous revient que de très nombreux jeunes Mauriciens, carrément de 12 à 15 ans, se retrouvent “lor coltar” et face à une foule d’agressions et de problèmes. N’ayant aucune ou peu de portes de secours, et de recours où s’adresser, ces enfants, pour beaucoup d’entre eux, vieillissent avant l’heure », poursuit Cadres Rungen.

Selon ce dernier, ces enfants évoluent dans un environnement où ils sont en permanence agressés tant par la technologie que les pièges artificiels et factices. « C’est comme cela que bon nombre d’entre eux cèdent aux sirènes des dealers de drogues et d’autres plaisirs éphémères », confie-t-il.

De fait, avoir 14, 15 ans, à Maurice, c’est vraiment très compliqué, dit-il. Et ce n’est pas du tout une partie de plaisir. « Par exemple, quand j’y pense, quand j’avais cet âge-là, ma préoccupation première et celle des amis de cette époque, quand on rentrait à la maison après l’école, on oubliait le sac et les manuels dans un coin pour aller dehors, jouer à sapsiway, la marelle, les canettes (billes) ou encore, au ballon… Filles et garçons ensemble, comme des frères et des sœurs. On ne rentrait que quand il commençait à faire nuit. Nos parents n’étaient pas inquiets, sachant qu’on était chacun en compagnie de personnes dignes de confiance. Mais on ne peut pas en dire autant pour maintenant. Bien sûr, tout n’est pas aussi mauvais. Cependant, il y a beaucoup plus d’appréhensions, de craintes et de facteurs inconnus, de nos jours », se rappelle encore le travailleur social.

Quant aux parents, ajoute Cadres Runghen, « nous ne pouvons les blâmer : eux-mêmes vivent avec des pressions supplémentaires, surtout avec l’actuelle cherté de la vie, les emplois devenus plus précaires, entre autres ». De plus, souligne-t-il, durant ces deux années marquées par le confinement, tous ces ados n’ont pas été logés à la même enseigne. « Certains ont pu garder le tempo au gré des émissions éducatives en ligne. D’autres pas. Du coup, il y a un bon nombre de ces enfants qui, cette année, ne vont plus en classe…», reconnaît-il.

Le travailleur social fait remarquer : « est-ce que des études sont menées, par exemple, pour assess la situation, chiffrer combien d’enfants ne se rendent plus à l’école, pourquoi et que font-ils, à la place ? Sont-ils des enfants en situation de rue ? Nous n’avons aucune donnée sur ce plan. » Idem, continue-t-il, pour ce qui est des campagnes de prévention contre la drogue. « Cela fait des années qu’on nous bassine avec des slogans comme dir non ladrog, zeness pa touss ladrog. Mais sur quoi on se base pour continuer à utiliser ces formules ? Est-ce qu’elles marchent ? Est-ce qu’on a fait des études pour comprendre si le message est capté et s’il porte ses fruits, ou le contraire ? » ajoute-t-il. Pour Cadres Rungen, « il est clair que nous sommes dépassés : nos méthodes d’approche, nos campagnes, nos activités n’apporteront des résultats concrets que si nous nous réinventions et que nous nous mettons au même plan que ces jeunes ».

D’où l’aile jeune du Groupe A de Cassis et de Lakaz A qui est très dynamique et active partout autour de l’île. « Ce groupe de jeunes, dont nombreux sont passés par nos Weekend CADO, va de quartier en quartier, savent approcher leurs pairs, détecter et discerner les problèmes. D’ailleurs, sans les flatter mais en les saluant, je tiens à dire que ce premier Weekend CADO a été un franc succès grâce à leurs efforts soutenus et remarquables. »

Pour l’heure, les animateurs, jeunes et adultes, du Groupe A de Cassis et de Lakaz A planchent sur le premier Weekend CADO destiné aux parents, indique Cadress Rungen. « Si tout se passe bien, cela devrait se concrétiser pour le week-end du 14 au 16 octobre. À l’issue de cette étape, nous verrons si nous pouvons organiser un deuxième week-end à l’intention des jeunes, avant la fin de l’année. Nous nous sommes rendu compte à quel point cet exercice était crucial et devient important pour ces jeunes de toutes communautés confondues de se retrouver dans un tel espace, pour échanger et apprendre », fait-il comprendre.

Premier week-end, grosses émotions !

99% des jeunes qui sont venus au premier Weekend CADO au Foyer Fiat, la semaine dernière, ne se connaissaient pas entre eux, à leur arrivée, explique Cadress Rungen. Pourtant, dimanche après-midi, à l’heure de se dire au revoir, il y avait des larmes et même certains qui refusaient de partir ! « Derrière le “succès” des Weekend CADO, ce n’est pas la fête, l’alcool, les plaisirs artificiels », note le travailleur social. « Déjà, comme le dit l’abrégé, ce week-end, c’est pour aller à la découverte de soi, l’estime de soi, ses talents caches et méconnus, assumer ses forces et faiblesses, et s’armer, de son amour, pour soi et les autres, afin d’entrer de plain-pied dans la vie, sans avoir peur de sombrer dans ses pièges et fléaux. »

De nos jours, estime C. Rungen, avec le trop-plein de la technologie qui biffe les sentiments et les émotions, et le fait qu’il n’y a pas d’espace pour nos jeunes, que ce soit à la maison ou à l’école, ou ailleurs, où ils peuvent bénéficier d’un peu d’écoute et de dialogue, de plus en plus de ces jeunes sont perdus, paumés, sans repères. « Ni spirituelles ni familiales. Ils deviennent alors facilement des proies pour ceux qui sont à la recherche de jeunes en mal de vivre, en quête de plaisirs, et les exploitent. »

Ainsi, « lors des Weekend CADO, nous n’abordons pas la drogue comme unique sujet de préoccupations ». En fait, cela n’occupe qu’une petite partie de la thérapie. « L’essentiel gravite autour de connaître sa personne, faire le bilan de qui on est, qu’est-ce qu’on veut de la vie, est-ce qu’on sait vraiment ce que c’est que l’amour, le partage, le respect… Ces valeurs et principes de la vie, avec lesquels nous devons grandir, hélas ! ce ne sont pas tous nos jeunes qui en bénéficient. »

C’est avec ces paramètres que les Weekend CADO du Groupe A de Cassis et Lakaz A opèrent. « Afin qu’en sortant de là, chacun soit armé et outillé, et se sente fort et d’attaque pour éviter les écueils des fléaux sociaux », conclut C. Rungen.

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