Brutalité policière – Victimes : après les coups, l’épreuve du chaos mental

Christopher Pierre-Louis et Krishna Seetul se confient sur leur reconstruction psychologique après les sévices qu’ils disent avoir subis entre les mains de policiers tortionnaires. Ce processus de toute victime de brutalité policière est une autre épreuve tout aussi douloureuse. Les deux hommes la vivent différemment. L’un dit avoir fermé une parenthèse et l’autre avoue s’est replié sur lui-même après la diffusion des vidéos démontrant leurs tortures. Pour éviter d’y penser, Christopher Pierre-Louis se défoule sur la playstation de ses enfants. Le traumatisme psychologique, confie Jean-Marie Richard, qui décrit la violence policière dont il a été victime dans un livre, ne s’en va pas.

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“À chaque 1er février, vers midi trente, je pense à mon agression. Je revis tout ce qu’ils m’ont fait. À chaque 1er février, immanquablement, comme une date d’anniversaire, tout revient dans ma tête”, confie Krishna Seetul, 28 ans, qui a porté plainte pour torture policière après s’être reconnu dans des vidéos en circulation. Cela s’est passé il y a deux ans, après son arrestation pour vol. Les torts psychologiques qu’entraînent les actes de brutalité policières sont conséquents. Tandis que les blessures physiques peuvent être soignées et pansées, la détresse psychologique, elle, ne s’efface pas, même avec le temps.

Si le soutien des proches compte pour les victimes de brutalité policière, il demeure qu’elles ont besoin d’un accompagnement spécialisé, d’une écoute, pour faire face au traumatisme qui résulte de leur agression. Ce recours, pendant le processus de réparation des torts en justice, n’est malheureusement pas à la portée de toutes les victimes. De plus, il n’existe aucune structure dédiée à l’encadrement psychologique des personnes qui ont subi la violence policière. Entre-temps, comment vivent-elles les jours, les semaines, voire les années suivant leur agression? Entre la tourmente, la frustration, la colère, l’incompréhension et la mélancolie, disent ceux qui ont vécu un véritable cauchemar aux mains de leurs bourreaux policiers.

“Kan dan mo latet, mo ne pli pou tann tap laport, lerla mo pou al get sikolog”

Au-devant de l’actualité après que des images insoutenables de leur agression sauvage ont été dévoilées, Christopher Pierre-Louis et Krishna Seetul disent que la médiatisation des événements qu’ils ont vécus était nécessaire. Mais chacun vit cette situation différemment. Christopher Pierre-Louis, 34 ans, qui accuse des éléments de la police de l’avoir brutalisé au poste de Terre-Rouge en 2020, concède que cette médiatisation ravive les mêmes émotions psychologiques qu’il  a connues au lendemain des sévices subis. “Mon patron m’a proposé de suivre une psychothérapie, à ses frais. Mais je ne me sens pas prêt pour cela. Kan dan mo latet, mo ne pli pou tann tap laport, lerla mo pou al get sikolog. Je suis très proche d’une de mes sœurs, elle est ma confidente. Quand ça ne va pas bien, je me tourne vers elle”, confie Christopher Pierre-Louis, planteur. Ce dernier explique que pendant la période où des policiers le harcelaient, ils avaient frappé avec insistance à sa porte aux petites heures. Ces bruits l’avaient marqué.

Le pire, dit, de son côté, Jean-Marie Richard – en thérapie régulière de brutalité policière en 2009 –, spécialiste en communication, les séquelles psychologiques ne s’en vont jamais. “On se demande constamment quand est-ce que tout cela finira”. Il y a toujours quelque chose, un événement, une actualité qui font remonter en surface les mauvais souvenirs.

“Ma mère dormait dans ma chambre… j’avais peur”

De son côté, Krishna Seetul raconte qu’il ne ressent pas le besoin d’un recours à une béquille psychologique. Il a eu les pieds fracturés, des blessures au dos et en d’autres parties de son corps qui ont nécessité une hospitalisation. Il a abordé, dit-il, son agression comme une parenthèse qu’il lui fallait absolument refermer. La perte d’appétit, le regard absent et la déprime, assure-t-il, n’ont pas duré longtemps. Mais il a eu, concède-t-il, des sentiments de colère intérieure qu’il ne pouvait évacuer. “À ma sortie de l’hôpital, ma mère a dormi dans ma chambre pendant presque deux mois. J’avais peur de dormir seul. Sa présence me rassurait”, avoue le jeune homme.

À l’époque des faits, il  avait 26 ans. Il a dû se déplacer dans un fauteuil roulant pendant quelques mois. Krishna Seetul poursuit: “Sans le soutien de ma famille, je n’aurais pas pu faire un cheminement vers une vie plus ou moins normale.” Même maintenant, ses parents insistent encore pour l’accompagner dans ses déplacements. Aujourd’hui, Krishna Seetul, qui est célibataire, assure qu’il va mieux. “Ils m’ont fait subir les pires horreurs. Ils m’ont torturé dans la nature. Mais ce qui est arrivé est déjà passé… Avec l’affaire des vidéos, je ne suis pas dans le même état d’esprit qu’autrefois. Le temps s’est écoulé”, dit Krishna Seetul. Toutefois, les douleurs résultant des séquelles physiques, ajoute-t-il, lui rappellent les raisons pour lesquelles il n’est plus capable de travailler comme auparavant. “Je suis maçon. Je ne peux plus pratiquer mon métier à cause de mes fractures. Mo pe bizin travay peintre”, dit-il.

“Dans ma bulle d’horreur”

Jean-Marie Richard fait remarquer qu’il n’est pas le seul à endurer un psychotraumatisme lié à son agression. “Ma famille, mes enfants… aussi. À l’école, on disait à mes enfants que leur papa était un voyou”, confie ce dernier.

Pour sa part, Christopher Pierre-Louis dit que ses deux enfants, écolier et collégien, respectivement, n’ont pas été en classe depuis la médiatisation des vidéos. “Ils ont vu les vidéos et nous en avons discuté. La majorité des enfants de notre quartier fréquentent les mêmes établissements que les miens. Ils vont être confrontés à leurs questions et deviendront des objets de curiosité. Ce sera dur pour eux”. Avant la diffusion des vidéos, ses enfants n’étaient pas au courant de ce qu’il avait subi en 2019. “Je me suis efforcé à vivre chaque moment et tous les événements de réjouissance dans la famille comme si de rien n’était. Mais j’étais dans ma bulle d’horreur”, dit le père de famille. “J’avais raconté à ma femme ce qui s’était produit”, concédant qu’il vit actuellement avec une autre crainte: celle de perdre sa famille. “J’ai été atteint dans ma dignité d’homme…”, soupire Christopher Pierre-Louis.

Pour s’occuper l’esprit, il joue à la playstation

De son côté, Antoinette Jolicœur, 55 ans, qui dit avoir identifié son fils David – actuellement en prison pour meurtre – sur les vidéos incriminées, confie être dans l’incapacité de surmonter cette épreuve. Malgré l’écoute de ses autres enfants, elle se sent seule, dit-elle, face à la douleur. “Je ne dors plus. Televizion ki fer mwa dormi kan ariv gramatin. Lerla inn ler pou mo al travay”, soupire cette aide-maçon sur un chantier de construction.

Depuis la sortie des images sur les sévices qui lui ont été infligés, dit-il, Christopher Pierre-Louis raconte qu’il ne sort plus. Même pas pour aller à son rendez-vous médical pour une grosseur qu’il aurait développée après son agression, avance-t-il. Pour s’occuper l’esprit, il joue à la play-station de ses enfants et regarde la télévision. “J’ai perdu l’appétit, j’ai sommeil. Mo lizie koumans ferme sink-er dimatin”, dit-il.  “Il y a encore quelques semaines, je passais beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. Je lisais les journaux. J’ai tiré un trait dessus”, poursuit-ils. Contrairement à  Krishna Seetul, il dit que la médiatisation de son agression a affecté son moral. “Mo pe reviv tou sala enn deziem fwa”, dit-il.

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