C’est une transformation du paysage qui inquiète les planteurs de légumes du quartier de Solférino, à Vacoas/Phœnix. Urbanisation, accaparement des terres, pénurie d’eau se sont accentués au cours des cinq dernières, mettant en péril l’essor d’un modèle agricole qui consommait naguère l’essentiel de la ressource en eau disponible à partir d’un grand ruisseau qui prend sa source à la rivière Takamaka. Sauf que la croissance urbaine a considérablement changé la donne, et ledit ruisseau, au grand dam des petits planteurs, a été supprimé au profit d’un bétonnage à outrance en vue de l’aménagement d’un Morcellement. Contraint de débourser des dizaines de milliers de roupies mensuellement pour être approvisionné par des camions-citernes, Vinesh Seesurn, qui n’est pas propriétaire des terres agricoles qu’il occupe, a préféré jeter l’éponge. Son histoire est symptomatique du péril que constitue le déclin progressif de l’agriculture qui va de pair avec le calvaire enduré par les exploitants.
La végétation est verdoyante, alors que ses légumes semblent s’épanouir sous l’éclat constant du soleil qui a succédé à quelques heures de pluie fine… Un autre nuage noir flotte au-dessus des terres agricoles louées par Vinesh Seesurn, depuis que des travaux de construction d’un Morcellement ont débuté autour du site, il y a quelques années. Vêtu d’un polo marron usé par le travail dans sa parcelle, Vinesh Seesurn s’applique à désherber ses rangées de laitues, cotomilis et autres épices. Marié et père de trois enfants, ce planteur d’une quarantaine d’années fait partie de ceux qui exploitent les 30 hectares de terres agricoles – menant vers un cul-de-sac appartenant à des particuliers – sises à quelques encablures d’un Mandir, à la route Solférino No 1. On l’a rencontré lundi. Il nous a confié que c’est l’une des dernières fois qu’il arpente ces terres qu’il a cultivées et façonnées. Las, l’agriculture perd du terrain à Solférino.
En une dizaine d’années, les zones agricoles ont été rognées par une urbanisation galopante, au profit de résidences ou complexes huppées. Certains champs ont été repoussés en périphérie du quartier et les superficies ont été réduites. D’où la nécessité de s’appesantir sur l’épée de Damoclès qui pèse sur les régions comme Solférino, qui se caractérisent à la fois par leur forte croissance démographique, ainsi que par la vétusté ou l’absence d’installation digne de ce nom. Les nouveaux morcellements, créés parfois sans planification préalable, sont progressivement intégrés à la desserte des services essentiels qui peinent à faire face au pic de la demande et Vinesh Seesurn est tombé des nues, il y a quelques semaines, en constatant que le ruisseau dont il puise l’eau pour l’irrigation a été supplanté par des murs en béton et un système de drain !
« C’est un véritable coup de massue pour mes collègues et moi. La suppression de ce ruisseau, qui puise sa source à la rivière Takamaka, est d’autant plus contraignante que l’eau naguère utilisée pour l’irrigation est désormais plus largement injectée dans le réseau de distribution consacrée à ces nouvelles résidences de quartiers huppés, au point où l’agriculture a été presque abandonnée dans ces zones-là », dit Vinesh Seesurn. Là où le bât blesse est le fait que ce nouveau Morcellement ne compte actuellement que deux maisons et qu’aucune autre maison n’est sortie de terre. « Pourquoi autant d’empressement à construire des murs sur des centaines de mètres, alors qu’il n’y a que deux maisons le long de ce sentier où l’agriculture est reine depuis des lustres ? C’est incompréhensible ! », ajoute notre interlocuteur.
Les maisons poussent comme des champignons à Solférino et attirent de plus en plus des familles et des couples aux revenus confortables. Dans ces conditions, développer l’adduction d’eau sur l’ensemble du territoire urbain impose la mise en place d’un réseau plus étendu, avant l’implémentation de tels projets de Morcellement. Tel n’est pas le cas actuellement. Du coup, face à la pénurie d’eau qui ébranle certaines régions de Vacoas, Vinesh Seesurn et ses amis planteurs sont, désormais, contraints de débourser plus de Rs 10,000 par mois pour s’attacher les services de camions-citernes. La goutte d’eau qui fait déborder le vase. « Kot mo pou tir tou sa kass-là, mwa ? C’est compliqué, d’autant que je ne suis pas propriétaire de ce terrain. Je préfère me retirer. C’est triste et révoltant », lance le planteur, dépité.