Publié en 2011 « La république des bâtards » premier roman de Bertrand d’Espaignet devient rapidement un best-seller local au point de nécessiter une deuxième édition, en 2012. Deux ans plus tard l’auteur publie « Les bâtards de la République », son deuxième roman, qui contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, n’est pas une suite du premier. Portrait d’un écrivain mauricien qui a retrouvé le ton, la truculence, la connaissance historique et le souffle des grands romans d’aventure. Un portrait avec photo, cette fois.
Est-ce que le fait d’avoir vendu plus de 1 500 livres change la vie de son auteur ? « Pas du tout. Je suis toujours un littéraire qui enseigne la gestion pour gagner sa vie. Malgré le fait que j’ai bien vendu mon premier livre, la littérature ne nourrit pas son homme à Maurice. Maurice, c’est loin. J’ai essayé de m’exporter en envoyant mon manuscrit, puis le livre à l’étranger. Je n’ai pas eu de réponses ou des réponses négatives. Il faudrait que je prenne mon bouquin et que j’aille dans les foires internationales, mais ça je ne sais pas encore le faire. » En attendant « La République des bâtards » a eu un succès national et s’est vendu tout seul sans marketing, sans lancement-cocktail, grâce à un article de journal, une émission de radio et Facebook et surtout le bouche à oreille. Un bouche à oreille un peu particulier par rapport au titre du livre, paraît-il. « J’ai appris, après, que certains pensaient que j’allais faire des révélations sur leurs arbres généalogiques affichés. Certains ont tremblé, paraît-il. D’autres, des cousins éloignés, n’ont pas apprécié que je parle de notre ancêtre malgache, ça a gâché leur arbre généalogique, gâté la sauce, comme on dit. Au contraire, moi je pense qu’il faut revendiquer cette ancêtre malgache. En quoi un paysan français est plus noble qu’un guerrier sakalav malgache ? » Qu’avez-vous retenu des critiques concernant « La république des bâtards » ? « Qu’il n’y a pas de bouquin parfait. On trouve toujours à redire, à penser ; que j’aurais dû avoir fait moins long ici, plus long là, coupé ce passage ou le développer. Mais moi quand j’ai fini, et tout en acceptant les critiques, je suis satisfait de mon travail. Ma maman, qui connaît plein de monde, m’a dit qu’on lui avait fait plein de compliments. Beaucoup se sont étonnés de la somme de connaissances historiques que contenait le livre. Ces détails historiques, c’est le résultat de beaucoup de lectures, dont celle des livres de la bibliothèque de mon père, qui est un passionné d’histoire. C’est très documenté du point de vue historique, ce qui ne veut pas dire que je vérifie chaque phrase, chaque fait dans des manuels d’histoire. ll faut lire les bons bouquins d’histoire et les mettre de coté en ayant retenu ce qu’il faut et se laisser emporter par l’histoire et les personnages. » « La république des bâtards » suivi de « Les bâtards de la République », c’est une saga sur les bâtards dont le troisième tome serait « Les fils des bâtards » ou « Les bâtards, le retour » ? « Oui, c’est une saga. Non, ce n’est pas une saga consacrée aux bâtards, mot qui semble gêner certains. J’ai créé une république purement allégorique dans mon premier roman, un pays imaginaire peuplé de gentils et de mauvais « bâtards », sans aucun lien avec la République de Maurice instaurée en 1992. Les colonies de peuplement n’ont pas brassé que la fine fleur : elles ont beaucoup accueilli le profil-type du bâtard au sens figuré (corsaire, négrier, fils « difficile » mais de « bonne famille », esclave de guerre et j’en passe). Ces pays sont aujourd’hui dynamiques et prospères : on peut citer les États-Unis, l’Australie et, bien entendu, Maurice. Mes romans sont des sagas, ils sont forcément truffés de personnages qui voyagent dans l’espace et dans le temps, ils ont un lien parfois fort, parfois ténu, qui les unit. Je cuisine mes romans et ils me font penser à ce que les Anglais appellent un rich fruit cake, un gâteau délicieux pour les uns, écoeurant pour les autres. Mais là encore, ce n’est qu’une question de goût ! »
« J’ai écrit ce livre pour rendre hommage à un homme courageux qui a dérangé les consciences à Maurice : Adolphe de Plevitz. »
Qu’est-ce que l’auteur souhaite dire de son deuxième roman : « Pour commencer, qu’il n’est pas la suite du premier, bien qu’il se passe en partie et se termine à Maurice. Comme pour le premier, j’ai bâti l’histoire du roman à partir d’une anecdote. Dans le premier livre, c’était un coup de fusil anglais tiré dans les fesses d’un jeune colon mauricien, dans le second la substitution de l’oeillère du Commodore anglais Willougby par un lieutenant français d’origine westpalienne, Wilhem de Plevitz, l’oncle d’Adolphe. » D’où vous est venue l’idée de faire se rencontrer ces deux personnages qui est le point de départ du roman ? « En lisant la biographie d’Adolphe de Plevitz par sa petite-fille, j’ai découvert qu’il avait un oncle qui s’appelait Wilhem qui avait fait la guerre de Russie. Je me suis dit pourquoi est-ce qu’il ne rencontrerait pas Willougby là-bas ? C’est une saga commencée en Russie avec le vol d’une oeillère, puis on va en Inde ou je raconte comment on recrutait les coolies, en mettant en scène deux recruteurs mauriciens pas très catholiques, et puis on va à Madagascar, on revient en France avant d’arriver Maurice où je révisite le combat d’Adolphe de Plevitz. Ce livre, je l’ai écrit pour rendre hommage à un homme courageux qui a dérangé les consciences. Son action est universelle et atemporelle ; elle a combattu les replis identitaires et le chacun pour soi dans une île à sucre du XIXe siècle. Cette problématique humaine est pourtant loin d’être résolue ; même au XXIe siècle. » Dans la mesure où il s’attache à décrire le combat d’un homme politique, peut-on dire que « Les bâtards de la République » est plus historique que le précédent ? « Même si j’ai mis une note historique à la fin du livre, ce n’est pas un traité d’histoire, mais un roman sur des bases historiques à partir desquelles j’ai laissé voguer mon imagination. Je suis un romancier romanesque qui joue avec l’histoire, ce qui peut déplaire. J’ai décrit de Plevitz avec une oeillère, avec des rêves qui le transportent et lui permettent de voir l’histoire de Maurice se dérouler dans sa tête. J’ai donné un aspect fantasmagorique à un homme politique à partir d’une base historique avec des détails inventés, magnifiés. » Quel est la force de ce roman ? « Il est beaucoup moins onirique, moins poétique que le premier, plus centré sur un combat politique. Il est beaucoup plus sarcastique : je n’y vais pas de main morte avec les gens de l’époque. Je caricature les pouvoirs en place, je donne beaucoup de crédits aux petits, aux faibles, mais en faisant attention car les petits peuvent si facilement imiter les travers de ceux qui les maltraitent. Un homme est venu dans cette île il y a 140 ans de cela, il a pris des risques et s’est battu pour que des humains soient traités comme tel. Il n’en est pas sorti indemne. L’oligarchie qui l’a tant harcelé est restée boulonnée au pouvoir jusqu’au début du XXe siècle. Pas étonnant que ce même homme, Adolphe de Plevitz, n’ait eu aucune reconnaissance après son départ forcé. Il n’était pas un saint mais qu’importe, il y en a jamais eu beaucoup dans ce monde. Il était comme nous tous, hanté par ses doutes et pétri de contradictions, mais son combat est émouvant et m’a ému. Il mérite une meilleure place dans l’Histoire de notre île et je suis heureux d’y avoir contribué avec mon deuxième livre. » En dehors d’Adolphe de Plevitz, les principaux personnages du roman sont Rajaruthnam, un ancien engagé indien, Mangalkan, un guerrier malgache, Haime Choisan, un mandarin qui a quitté la Chine et un lieu, le Grand-Bassin. Que vient faire ce lac dans le roman ? « Pour moi, le Ganga Talao est un symbole national qui doit transcender toutes les religions à Maurice. Une légende disait que le Grand-Bassin était relié au Gange, moi j’ai lu dans un vieux livre que les marrons y plongeaient pour aller se retrouver en Afrique. Il a aussi été un lac mystique pour les Marrons. C’est pourquoi je dis que le Ganga Talao est pour tous les Mauriciens pour qu’ils puissent aller s’y purifier. C’est comme Lourdes ou le Gange, c’est un symbole de pureté. D’ailleurs, j’écris ceci dans le roman : L’espoir est universel, que des Marrons ou des Hindous fassent de ce lac, celui ou les uns veulent retrouver leurs racines, les autres se mêler au Gange, cela n’a aucune importance. Il n’y a pas de mauvais, il n’y a pas de vertu, nous ne sommes que des hommes. Que ceux qui jugent soient jugés. Car tous les autres et moi danserons la même danse cosmique un de ces jours. Nos querelles sont vaines et mesquines ! Je souhaite aux Mauriciens de découvrir une grosse tranche de leur histoire méconnue et espère avoir redonné sa place à de Plevitz qui a eu le courage d’avoir fait ce qu’il rêvait avec l’oligarchie et les Créoles de l’époque contre lui. » Pour mettre la touche finale au portrait de l’auteur qui a accepté de se laisser photographier, cette fois, disons que « Les bâtards de la République » est le livre d’un écrivain mauricien qui a retrouvé le ton, la truculence, la connaissance, historique et le souffle des grands romans d’aventure. C’est un roman d’aventures tellement bien écrit qu’on en savoure chaque chapitre, en se retenant pour ne pas aller trop vite, afin de préserver son plaisir de lecture le plus longtemps possible.
BERTRAND D’ESPAIGNET (II) : « Je suis un romancier romanesque »
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