Après 8 mois on remand – Jerry, 29 ans : « La liberté m’a traumatisé »

En prison où il était « On Remand », il a suffi d’un séjour de 8 mois pour que Jerry, 29 ans, n’en sorte pas indemne psychologiquement. S’il a réintégré la société en septembre dernier, après sa remise en liberté conditionnelle, ce n’est que récemment qu’il a pu sortir de chez lui où il s’était replié. Marqué par l’insalubrité dans le monde carcéral, Jerry avait trouvé un moyen de ne pas sombrer dans l’ennui ou d’envisager le pire quand il était incarcéré. Il nettoyait les sanitaires, lavait les draps, ce qui l’occupait. S’il en parle, dit-il, c’est parce qu’il souhaite que son récit interpelle sur l’absence d’hygiène en prison… et la présence des rats !

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Jerry (nom modifié), 29 ans, s’accroche à son métier, dont il est passionné, pour oublier. Il est assistant décorateur d’intérieur. Le milieu dans lequel il travaille est bien loin des quatre murs glauques de la prison et sent meilleur que les toilettes non entretenues, qu’il a récurées là-bas, et les matelas infestés de punaises. Les rats qui lui montaient sur le corps la nuit et les insectes qui partageaient sa cellule ne sont pas des légendes du monde carcéral, affirme Jerry. Même quand il travaille et exécute l’aménagement d’une pièce ou la conception d’œuvres artisanales, Jerry ne peut, confie-t-il, effacer dans sa tête des images qui défilent en séquence. Il a beau se concentrer, rien n’y fait. Il revoit les conditions insalubres et inhumaines qui ont été son lot au quotidien quand il était en détention policière, puis On Remand.

« L’extérieur me fait encore peur »
Jerry sait qu’il ne fait pas exception, qu’il a été un détenu comme un autre. « Et qu’en prison ,on n’est pas à l’hôtel avec un service 5 étoiles. Ça à l’intérieur, on n’a eu de cesse de nous le répéter », raconte le jeune homme. Il se dit aussi conscient que « tous ceux qui recouvrent la liberté après un séjour en prison racontent plus ou moins les mêmes récits sur les conditions. » Jerry a décidé de parler lui aussi. Pour que ses paroles attirent l’attention sur la nécessité de remédier à l’insalubrité dans les cellules pénitentiaires et de détention. Et que  les séquelles psychologiques peuvent être insurmontables, voire conduire au suicide, s’il n’y a pas de prise en charge.

En dépit de la visite d’une organisation non gouvernementale (ONG) en prison pour l’accompagnement des détenus, la présence d’un professionnel en psychologie serait, selon Jerry, bénéfique aux prisonniers qui ont besoin d’une écoute spécialisée. Dans son cas, le traumatisme s’est manifesté au moment où il devait réintégrer la société et sa famille, il y a peu. « Je suis resté cloîtré dans ma chambre pendant des jours. J’avais même peur d’aller aux toilettes. Je ne pouvais pas envisager l’idée de sortir de ma maison. L’extérieur me fait encore peur. J’anticipais toutes les fois où je devais mettre les pieds dehors. J’étais persuadé que la police était dans la rue et qu’on m’arrêterait à nouveau. Aujourd’hui, je sais que cela ne serait pas arrivé. Mais la liberté m’a plus traumatisé que réconforté. Un effet inverse s’est produit », confie le jeune homme. Du coup, cela ne fait que quelques semaines depuis que Jerry a renoué le contact avec sa vie sociale.

« Les histoires de punaises ne sont pas des légendes »
C’est une affaire sur fond de trafic de drogue qui a conduit Jerry en prison. Si la police n’avait rien trouvé sur lui, le jour de son arrestation, en revanche, il accompagnait un proche qui, lui, avait une certaine quantité de drogue en sa possession. Jerry est traduit en Cour où il est accusé de complicité. L’affaire n’est pas terminée. Il est conscient qu’il aura à affronter la justice bientôt. « Pour commencer, il ne faut pas croire que tous ceux qui passent en premier lieu par la cellule de détention dans un poste de police sont logés à la même enseigne. Si vous êtes un Mauricien lambda, que vous n’êtes pas un avocat connu ou que vous n’avez pas d’argent, vous serez traité avec dédain par les policiers en service. Ils vous tutoient et s’adressent à vous comme bon leur semble. J’ai passé 21 jours en cellule de détention et je vous assure que les conditions d’hygiène dans les sanitaires sont exécrables ! Ce qui m’a marqué est le jour de mon anniversaire quand ma sœur s’est faite grossièrement renvoyer parce que je n’avais pas droit à des visites », confie Jerry.

Transféré à Beau-Bassin, il y découvre, dit-il, « que les histoires de punaises dans les matelas, de rats et de cancrelats ne sont pas des légendes. La seule fois où j’ai vu faire un pest control, cela se passait dans le couloir des cellules. » Il raconte: « À mon arrivée, on me met dans une cellule que je dois partager avec trois personnes. Je remarque tout de suite la présence d’un pot de chambre. Ce qui signifie qu’on n’a pas le choix que de faire ses besoins devant ses co-détenus quand on est à l’intérieur », dit Jerry.

« Un rat marchait sur moi… »
Les premiers soirs, il lui est impossible, raconte encore l’ancien détenu, de fermer les yeux, afin d’être sur ses gardes. « D’une part, parce que je suis bouleversé par cet univers, et parce que j’avais aussi intérêt à faire attention à moi. En prison, on m’avait prévenu des risques d’agression sexuelle. Je porte de longs cheveux, je suis nouveau, j’ai le profil de la proie idéale. Et l’autre facteur qui m’empêchait de dormir, c’étaient les rats. J’ai même repoussé un qui marchait sur moi ! Le pire c’est lorsqu’il tente de s’agripper, il vous griffe ! Les rats traînent dans les cellule », confie Jerry.

Une semaine après son arrivée, il est transféré à la section qu’occupent les détenus sous méthadone. « Ce transfert est survenu après l’intervention d’un officier et que je me suis porté volontaire pour être peer support. Les usagers de méthadone dorment dans un dortoir. Ils sont beaucoup plus passifs que les autres détenus. Ce qui compte pour eux, c’est la méthadone. Ça les calme. » Son rôle de peer support lui permettait d’avoir une occupation, d’être à l’écoute et de même faire remonter des problèmes d’ordre pratique auprès de l’administration. « Du coup, cela m’a ouvert les yeux sur la souffrance des toxicomanes. Mon regard sur eux a complètement changé. »

« Si prizonie avan ou ti malad, ou pou servi so dra sal »
Jerry explique que pour remédier à l’insalubrité présente dans plusieurs endroits de l’aile de la prison où il a été incarcéré, il s’est porté volontaire pour faire du nettoyage. Les sanitaires en mauvais état, les salles de bains et sa cellule, il s’est chargé de les rendre plus propres. « Pou netway twalet, monn bizin servi zis delo. Pena okenn prodwi netwayan. J’ai pris aussi les devants en lavant nos draps une fois par semaine. Li pa normal kan ou rant dan prizon ou bizin kouver ou ek enn dra sal. Si prizonie avan ou ti malad ou bien blese, ou pou servi so dra sal ki pa fi’nn lave », déplore Jerry.

Cette occupation, dit-il, était un moyen pour lui de ne pas tomber dans l’ennui. Mais ce n’est pas pour autant, affirme-t-il, qu’il n’a pas été, dans un premier temps, « harcelé » par certains préposés de l’aile où il avait été placé. « Ils étaient agressifs. Chaque occasion était bonne pour me déstabiliser avec des remarques à connotation sexuelle », avance-t-il. La raison, selon lui, n’était autre que ses cheveux, il ne les avait pas coupés. N’étant pas condamné, il avait encore le droit de les porter longs. « Sans l’intervention d’un garde-chiourme, je suis certain que cela aurait mal fini », dit-il. Comme ce jeune homme à peine adulte qui aurait été agressé.

Kari brinzel pa kwi
Durant son séjour en prison, ses journées qui débutaient à 6h étaient rythmées par des corvées qu’il s’étaient attribué jusqu’à l’heure du dernier repas, soit vers 14h30, et le thé de 16h45, avant de regagner sa cellule jusqu’au lendemain. « Quand on vous dit que les repas sont infects et pas équilibrés, il faut le croire! Donn ou enn rougay ek zis de soya ladan, kari brinzel pa kwi… D’ailleurs, la cuisine n’est pas le lieu le plus propre. Si seulement la commission des droits humains pouvait visiter tous les coins et recoins de la prison, et non que les espaces visibles, ce serait bien ! »

Après huit mois en prison, Jerry retrouve la liberté conditionnelle et sa famille. S’il se faisait une joie de quitter le milieu carcéral, il ne s’attendait pas à ce que le début de sa réinsertion dans la société tourne quasiment en cauchemar avec la phobie du monde extérieur. « Ce n’est qu’il y a quelques jours que j’ai raconté à mes parents comment on me harcelait en prison. Je n’arrivais pas à leur expliquer à quel point la vie est dure là-bas », confie-t-il. Aujourd’hui, Jerry dit vouloir se débarrasser des images de la prison, de la voix de ceux qui le bousculaient dans sa tête. Et arriver à dormir sans avoir peur.

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