Avec la flambée des prix de produits de consommation qui force les foyers à se serrer la ceinture, le porte-monnaie des Mauriciens sensibles à la misère des moins nantis souffre déjà de l’inflation.
Du coup, des organisations qui viennent en aide aux nécessiteux assistent presque impuissantes à l’affaiblissement des dons par des particuliers. La contribution de ces derniers dans la chaîne de solidarité, permettant à des familles en précarité économique de manger à leur faim, est indispensable. Mais le pouvoir d’achat des plus généreux a trop chuté ces derniers temps. Ils ne déposent plus des boîtes de « commissions » auprès des ONG.
Les étagères des six boutiques solidaires de Caritas à travers le pays, nous confie sa directrice, Patricia Félicité, affichent grise mine. Pour cause, les dons alimentaires par des sponsors ont « chuté drastiquement », explique Patricia Félicité. Les particuliers aussi ne peuvent plus faire preuve de grande générosité comme auparavant, ajoute cette dernière. Une des plus importantes organisations non-gouvernementales du pays, Caritas, compte environ 50 000 bénéficiaires inscrits dans ses différents projets assurés par ses antennes dans les quatre coins du pays.
À Albion, Tony Ah Yu, initiateur du Resto du Cœur, n’est pas dans le local du projet qu’il a mis sur pied en 2020 lorsque nous lui parlons. Sans consulter de fi chier, il nous fait l’inventaire du stock disponible à jeudi dernier dans le local du Resto du Cœur. Tony Ah Yu récite : « Il y a quelques douzaines de boîtes de conserve, entre autres, des petits pois, 15 kilos de lait… Nous n’avons pas de légumes. Les légumes sont tellement chers. Le congélateur est vide. Demain (ndlr : vendredi dernier), nous le remplirons grâce à un don d’une entreprise privée. Nous n’avons plus de riz, il nous manque d’huile… » En réalité, vu le nombre de produits alimentaires de base qui manque au Resto du Cœur, le compte est vite fait. L’association est à environ 20% de son stock.
Plus de cartons de thé, grains secs…
De son côté, Diana Flore, la responsable de Tonnelle Mam San Baz — association qui donne un repas chaud tous les dimanches aux sans-abri de Port-Louis et de ses environs —, explique que le congélateur du groupe est rempli. Mais Tonnelle Mam San Baz ne réceptionne plus la même quantité de takeaways et de repas préparés et offerts par les particuliers. Et si le congélateur contient de quoi nourrir les sans domicile fixe bénéficiaires de Tonnelle Mam San Baz, du moins pour les prochains dimanches, c’est parce que le groupe n’a pas utilisé son stock depuis un certain temps. Cette réserve lui est plus que précieuse.
À la rue St Georges, Port-Louis, la maison d’accueil Lacaz A (du Groupe A), support indispensable aux toxicomanes en réhabilitation, travailleurs du sexe…, est en quête d’aide alimentaire pour ses bénéficiaires. Il est fini le temps où des membres du public franchissaient le seuil de la vieille bâtisse à l’improviste avec un carton de thé, grains secs, sucre, biscuits… pour les offrir à Ragini Rungen, la coordinatrice de Lacaz A.
La flambée des prix des produits de consommation a ralenti, voire stoppé dans bien des cas, la générosité ponctuelle des Mauriciens. Mais en aucun cas, tiennent à souligner les ONG, l’élan de solidarité de ces derniers n’a flanché dans des circonstances exceptionnelles. Au plus fort des deux confinements, après des intempéries ou dans des situations d’urgence, les Mauriciens n’hésitent pas à offrir des denrées alimentaires de première nécessité pour éviter la faim à leurs compatriotes les plus démunis. Mais pour le moment, ce scénario n’est pas d’actualité. En revanche, avec un taux d’inflation qui avoisine les 7% (plus selon les députés de l’opposition), la dépréciation de la roupie, la hausse des prix du carburant à deux reprises en quelques mois, les prix des denrées alimentaires qui ne cessent de grimper de jour en jour, le porte-monnaie des foyers mauriciens rétrécit de mois en mois.
Ajouté à ce cocktail qui est difficile à digérer, les revenus des familles n’augmentent pas puisque les salaires stagnent. L’affaiblissement du pouvoir d’achat de la classe moyenne est en train de l’appauvrir, tandis que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres. Dans cette conjoncture, il n’est pas étonnant que les consommateurs qui ont été contraints de se serrer la ceinture pour faire bouillir la marmite ne peuvent plus aider les plus pauvres. D’ailleurs, les caddies et autres boîtes solidaires ont disparu à l’entrée des grandes surfaces. Caritas va justement relancer cette opération classique dans quelque temps…
Des sacrifices contre la bénédiction divine
« La contribution des particuliers est importante », note Ragini Rungen, de Lacaz A. Au-delà de cette observation qui peut paraître simple, la pertinence réside dans la qualité et la variété des dons qu’offrent les familles ou individus, explique Ragini Rungen.
En général, les entreprises spécialisées dans la production alimentaire proposent le même produit en grande quantité. Tandis que les particuliers mettront dans la même boîte des aliments qui pourront composer un repas. Crise économique oblige, certains sponsors ne parrainent plus l’ONG de Port-Louis. Comme plusieurs organismes caritatifs, Lacaz A compte essentiellement sur le financement de la National Social Inclusion Foundationpour l’achat des produits de base pour le petit-déjeuner et le déjeuner de sa vingtaine de bénéficiaires au quotidien. Située en face de l’Église catholique Immaculée Conception, Lacaz A recevait, avant les restrictions sanitaires, la visite des fidèles à n’importe quel moment de la semaine. Ils lui remettait des dons, « ne serait-ce qu’un paquet de thé », dit Ragini Rungen. Elle explique que les donateurs « avaient pour habitude de venir en famille. »
Le carême catholique (actuellement) est une période où le groupe Tonnelle Mam San Baz récolte davantage de dons de particuliers. Devi Pénélope en fait partie. Cette période étant un grand moment pour elle, Devi Pénélope consent à faire des sacrifices jusqu’à cumuler des heures de travail supplémentaires pour acheter plusieurs kilos de nourriture qu’elle prépare pour des sans domicile fixe. Elle peut dépenser jusqu’à Rs 10000, assure-t-elle, pour faire sa bonne action. « Le Bon Dieu me récompense. Il me bénit à chaque fois que j’aide les SDF », dit la bénévole.
Le dimanche 3 avril, Devi Pénélope sera au rendez-vous à Port-Louis. Elle a prévu un menu composé de poisson et de riz. « D’habitude, je fais ce genre de dons deux fois par an. Mais je ne pense pas être en mesure de répondre présente en décembre », confie Devi Pénélope.
Pour cause, cette dernière, attendant dans la santé publique, ne pourra pas, dit-elle, réitérer les mêmes sacrifices dans un contexte économique difficile. En dehors du carême catholique, ce sont 80% des donateurs particuliers qui parrainent la distribution de repas chauds qui ont mis une pause à leur action. « Sur les 52 dimanches de l’année, ces donateurs assurent le repas pour 40 dimanches. Ce qui est considérable » note Diana Flore.
Appel à l’aide sur les réseaux sociaux
Le mois de février a été particulièrement compliqué pour le Resto du Cœur d’Albion. Le stock de l’association a connu un mois en dents de scie avant de se retrouver au plus bas. Et à la première semaine de mars, le Resto du Cœur ne disposait que 8% de son stock. « Je me suis retrouvé dans une position où je n’avais d’autre choix que de lancer un appel à l’aide sur les réseaux sociaux. C’est ainsi que j’ai pu avoir du lait en poudre », confie Tony Ah Yu.
L’association vient en aide à environ 150 familles. Mais face à la pénurie de certains aliments et au stock limité, le Resto du Cœur s’est retrouvé contraint de livrer des colis alimentaires uniquement à ceux qui font appel à lui. Les bienfaiteurs les plus réguliers, soit une dizaine, explique encore Tony Ah Yu, ne déposent plus les dons comme auparavant. Par contre, les demandes d’aide de foyers qui faisaient partie de la classe sociale, note-t-il, continuent, même si elles sont discrètes.
2021 et les trois premiers mois de 2022 en matière de dons par des particuliers pour Caritas n’ont pas été bénéfiques. Du coup, le système de parrainage que l’organisation avait mis en place ne marche plus. Les temps sont difficiles pour les donateurs. Très peu peuvent désormais, par exemple, offrir un repas à hauteur de Rs 125 par résident à une quarantaine de pensionnaires d’un abri de nuit de Caritas.