Leurs enfants reprennent l’école demain et appréhendent l’exercice d’identification
Les révélations d’une quinzaine d’enfants (filles et garçons), dont des adolescents — malentendants avec des troubles de la parole —, pour attouchements sexuels à l’encontre d’un orthophoniste scolaire, mardi dernier, ont ébranlé le milieu éducatif. Et choqué tout le pays. Le présumé pédophile, un jeune homme de 24 ans, Ibrahim Sorefan, a été arrêté et se trouve dans une situation délicate. Celui-ci travaillait depuis un mois à l’école spécialisée que fréquentent les enfants. De son côté, l’école reconnue pour avoir développé la langue des signes mauricienne a des comptes à rendre aux autorités pour n’avoir pas enregistré l’orthophoniste auprès de la Special Education Needs Authority (SENA). Cette affaire est venue aussi rappeler que le mécanisme de recrutement par des écoles spécialisées est fragile. Par ailleurs, deux des adolescents qui ont donné une enquête formelle à la police ont vécu la reconstitution des faits ainsi que l’examen médical comme une véritable épreuve. Leurs mères respectives déplorent avec force l’absence d’un accompagnement psychologique, d’autant que les enfants reprennent les cours demain.
Après une semaine éprouvante pour les garçons qui ont été examinés par le médecin de la police après avoir formellement incriminé leur orthophoniste pour attouchements sexuels, ces derniers vont retourner à l’école demain. Deux des mamans des présumées victimes ont confié à Week-End qu’elles n’avaient pas l’intention de les scolariser ailleurs. Leurs enfants, disent-elles, vont participer au modular assessment du Primary School Achievement Certificate en août prochain et aux épreuves qui se tiendront en octobre. Ce retour à l’école est donc nécessaire. Toutefois, il se fera sans aucune préparation psychologique. Les mères regrettent vivement que l’école ou les autorités n’ont pas mis à leur disposition un service psychologique. Elles expliquent qu’un soutien leur est indispensable pour affronter une autre épreuve, celle de l’identification du présumé auteur d’abus.
« Mo bizin atann li gagn somey
pou mo plore »
« J’ai envie de pleurer et de crier, mais je ne peux le faire devant mon fils. Je dois être forte pour lui. Mo bizin atann li gagn somey pou mo plore », confie la mère d’un des élèves ayant accusé l’orthophoniste Ibrahim Sorefan d’attouchements sexuels. En colère et bouleversée, elle avait plus tôt accompagné son enfant à l’École des Sourds pour la reconstitution des faits, vendredi dernier. Toutefois, dit-elle, elle n’a « pas eu le courage d’aller jusqu’à la pièce où cela s’est passé. » « J’ai préféré laisser mon mari, son père, l’accompagner », concède la mère de l’adolescent de 12 ans. La reconstitution des faits à l’école spécialisée de Beau-Bassin a été une véritable épreuve pour les deux jeunes élèves qui ont dénoncé l’orthophoniste Ibrahim Sorefan.
« Kot sikolog depi tou sa letan-la ? »
Après cette procédure obligatoire de l’enquête policière, l’un des deux garçons victimes, présent à l’école, épuisée, s’est endormi aussitôt rentré chez lui. Il s’agit de l’élève qui a été le premier à dénoncer l’orthophoniste scolaire. « Il est fatigué. Depuis mardi dernier, le traumatisme qu’il a refoulé pendant tout ce temps ressort. Il a passé une semaine assez mouvementée », explique sa mère. Le garçon, un adolescent, a aussi été examiné par un médecin légiste.
Cette exercice peu agréable a été une autre épreuve pour lui. « Il était mal à l’aise à l’idée de subir cet examen. Il rougissait. Il n’arrêtait pas de demander quand tout cela allait finir. Le médecin l’a rassuré », nous dit encore la mère, qui élève seule son fils unique. Dans son entourage, relève-t-elle, personne n’est au courant que son enfant fait partie des victimes du présumé pédophile.
Si les deux garçons ont été assistés par un interprète de langue des signes et ont été vus par la Child Development Unit dans le cadre de leur interrogation par la police, il demeure, selon leurs mères, qu’il n’y aurait pas eu de prise en charge psychologique depuis que cette affaire a éclaté. Remontée, une des mères déplore : « Quand un événement aussi terrible que cela se produit dans une école, on s’attend qu’on mette un psychologue à la disposition des enfants et de leurs parents également. Mon fils s’est replié sur lui-même. Il va mal. Quant à moi, j’ai constamment envie de pleurer. On nous dit qu’il y aura un suivi psychologique. Kot sikolog depi tou sa letan-la ? Actuellement, nous les parents, nous sommes livrés à nous-mêmes. C’est à nous de gérer nos émotions et celles des enfants. »
Qui plus est, affirme-t-elle, mardi dernier, quand elle a été convoquée à l’école, il lui a été demandé de questionner son fils. Ce dernier n’avait pas encore confié qu’il faisait partie des présumées victimes. « Mon enfant étant de nature timide, il n’a rien dit quand l’école lui a posé des questions. On m’avait fait comprendre qu’il faisait partie des élèves de sa classe qui auraient pu avoir subi des attouchements. C’est pour cela qu’on m’a prié de lui poser des questions. C’est donc à moi qu’il a finalement confié que l’orthophoniste lui a fait voir des vidéos obscènes sur son portable et subir des attouchements », avance la mère du garçon.
« Mon fils est replié sur lui-même »
Abondant dans le même sens, l’autre maman tout aussi indignée face à l’absence d’un accompagnement psychologique explique qu’elle doit trouver les mots appropriés pour rassurer son fils. « Je lui rappelle constamment que ce qui s’est produit n’est pas de sa faute. Qu’il est désormais à l’abri et que je suis à ses côtés », explique cette dernière. Depuis qu’elle a été mise au courant des graves allégations à l’encontre de l’orthophoniste scolaire, dit-elle, elle dort mal. « Je n’avais rien remarqué d’anormal chez lui », poursuit la maman. Celle-ci reconnaît qu’elle voit peu son fils. « Je rentre tard de mon travail. Au moment où j’arrive chez moi, mon fils dort déjà. Je ne le vois que le lendemain matin. Et pas pendant longtemps. Juste le temps qu’il se prépare pour aller à l’école », dit-elle.
De son côté, son camarade de classe avait étonné ses parents par son comportement le dimanche après-midi. « Il disait qu’il ne voulait pas aller à l’école. Il avait la même réaction la veille de ses sessions avec l’orthophoniste. Quand on sait que celui-ci passait du temps avec des enfants individuellement dans une salle et qu’il restait à l’école de 9h à 15h… Mo anvi plore », soupire la mère de famille. « Depuis mardi, mon fils est replié sur lui-même. Il se couvre la tête avec la capuche de son sweat-shirt. Il ne faudrait plus que les enfants aient accès à cette pièce qui les a traumatisés », confie-t-elle.
Recrutement d’Ibrahim Sorefan — L’école des sourds aura des comptes à rendre à la SENA
Présumé pédophile, l’orthophoniste Ibrahim Sorefan a eu accès à un milieu où il était entouré d’enfants. Apparemment sans antécédent judiciaire, ce jeune homme de 24 ans dispose d’un parcours académique qui convenait à son emploi à l’école des sourds à Beau-Bassin. En 2020, de retour à Maurice — avant de reprendre ses études en Afrique du Sud —, il s’était lancé dans la réflexologie plantaire et proposait ses services. Ibrahim Sorefan, diplômé (depuis 2021 selon ses publications en ligne) de l’université de Cape Town et réflexologue plantaire, n’était pas enregistré auprès de la Special Education Needs Authority (SENA), entité attachée au ministère de l’Éducation. En tant que professionnel intervenant auprès des enfants à besoins spéciaux dans une structure scolaire, le jeune homme, aurait dû figurer sur le répertoire des autorités. À qui la faute ?
L’école qui l’a recruté aura des explications à fournir à ce sujet. De plus, cette institution est reconnue pour son bon travail auprès des enfants qu’elle accueille et prépare aux examens nationaux. Elle a aussi oeuvré pour l’introduction de la langue des signes mauricienne. Contactée, la directrice de cette école était injoignable. Les écoles spécialisées pour enfants et adolescents nécessitant une attention particulière à cause de leur handicap sont tenues depuis un certain temps d’enregistrer leur personnel auprès de cette nouvelle autorité — laquelle est régie sous la SENA Act 2018 — en s’acquittant d’un frais administratif de Rs 500 pour les enseignants. L’école des sourds de Beau-Bassin avait recruté l’orthophoniste depuis un mois seulement.
Visites surprises
La SENA, nous déclare son directeur Arvin Authelsingh, étant une nouvelle structure, de nombreuses écoles ne se sont toujours pas pliées aux normes et standards de celles-ci. L’école de Beau-Bassin aura à répondre de ce manquement. Depuis cette malheureuse affaire, plusieurs écoles spécialisées ont pris contact avec la SENA pour se mettre en règle avec le cadre légal en place. Par ailleurs, des inspecteurs de la SENA ont été dépêchés dans des écoles pour effectuer des visites cette semaine. Les rapports promettent des surprises ! Arvin Authelsingh reconnaît que ce secteur a besoin d’être renforcé pour garantir un meilleur service aux enfants. Toutefois, il insiste à faire ressortir la contribution positive des écoles spécialisées dans le paysage éducatif. Mais il y a la nécessité de combler certaines lacunes et revoir des structures pour assurer un meilleur service fourni par ces écoles, laisse entendre le directeur de la SENA. C’est aussi dans cette optique que des Quality Assurance Officers seront recrutés. Des visites surprises seront alors à l’agenda de la SENA.
Prévention contre les prédateurs : Une faille à combler dans les écoles
L’enregistrement du personnel, enseignant ou non, auprès de la Special Education Needs Authority (SENA), quoique nécessaire, est loin d’être un filet protecteur contre les risques d’abus en tous genres, dont sexuels dans des écoles pour enfants à besoins spéciaux.
Ces derniers, de par les handicaps qu’ils portent, sont davantage à risque et représentent une proie idéale pour les auteurs d’agression. Les attouchements sexuels dans des écoles spécialisées, selon une source officielle, ne seraient pas rares.
Personnel féminin
privilégié
Depuis la cascade de dénonciations contre Ibrahim Sorefan, présumé pédophile, l’on se rend compte,d’une part, que sans vigilance, ce sont de nombreux enfants d’une même institution qui peuvent être victimes d’actes ignobles perpétrés à leur encontre. Et, d’autre part, il y a une faille importante à combler en matière de stratégie de prévention contre les violences physiques, sexuelles, entre autres, dans les institutions scolaires, dont les écoles spécialisées. Mais comment identifier les prédateurs et potentiels agresseurs durant l’exercice de recrutement ? Difficile, si ceux-ci savent cacher leur jeu.
Le certificat de moralité, renouvelable, qui atteste certes que le détenteur n’est pas justiciable, n’est pas non plus un rempart contre les risques d’atteinte à l’intégrité. « Parfois, il faut faire confiance à son intuition. Quand je sens qu’une personne n’est pas faite pour travailler à l’école, n’a pas le charisme ou tout simplement qu’il y a quelque chose de dérangeant qui se dégage chez elle, je ne vais pas donner suite à l’entretien », dit la directrice d’une école pour enfants et adolescents à besoins spéciaux.
Cette dernière a aussi pris le parti d’engager un personnel enseignant/encadrant exclusivement féminin. « C’est sans doute une forme de discrimination. Toutefois, je préfère qu’il en soit ainsi. Nous avions recruté un psychologue, mais les enfants étaient réticents à s’exprimer avec lui. Nous l’avons remplacé par une psychologue et les enfants ont réagi positivement », explique la directrice de l’école. Elle est également d’avis que les écoles spécialisées doivent assurer leur part de responsabilité en mettant en place des dispositifs de prévention des violences. « Les activités entre les enfants et les enseignants ou leurs thérapeutes doivent être visibles et sous surveillance, même à distance », avance la directrice de l’école.