25e Journée internationale de la langue maternelle – table ronde : préserver et promouvoir le bhojpuri

Proclamée en novembre 1999 par l’UNESCO, la Journée internationale de la langue maternelle, célébrée chaque 21 février, met en avant la diversité linguistique et culturelle ainsi que l’importance du multilinguisme. Pour marquer le jubilé d’argent de cet événement cette année, le département de Bhojpuri, Folklore et Traditions orales de la School of Mauritian and Area Studies a organisé une table ronde sur le thème « Bhojpuri – The Way Forward » au Mahatma Gandhi Institute. Cette initiative enrichissante vise à promouvoir et à discuter de l’avenir de la langue et de la culture bhojpuri.

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Cette rencontre a rassemblé linguistes, universitaires, chercheurs et passionnés de la langue bhojpuri pour discuter de son avenir et des moyens à mettre en place pour assurer sa pérennité. Parmi les participants figuraient Raviraj Sinha Beechook, député de la circonscription n°9 (Flacq/Bon-Accueil), Sarita Boodhoo, ancienne présidente de la Bhojpuri Speaking Union, Anupama Chummun Chaumoo, directrice adjointe de la culture au ministère des Arts et de la Culture, ainsi que Kiran Jankee, chercheuse à l’Aapravasi Ghat Trust Fund.

Raviraj Beechook a rendu hommage à ceux ayant œuvré pour préserver le bhojpuri. « Nos ancêtres ont apporté la tradition orale, le chant du Ramayana, ainsi que le rythme et le taal du bhojpuri. Malheureusement, cette langue a longtemps été reléguée au second plan. Aujourd’hui, nous devons créer un marché pour la culture bhojpuri en l’intégrant davantage dans notre identité nationale, notamment à travers la musique et l’éducation. Son enseignement dès le primaire et le secondaire est essentiel pour en assurer la transmission », a-t-il souligné.

Il s’est également appesati sur la nécessité d’établir un centre culturel bhojpuri et de renforcer les liens avec les institutions bhojpuri à l’international, tout en soulignant l’importance de revitaliser et de promouvoir cette langue au sein de la société mauricienne. « Le respect des valeurs familiales, jadis ancré dans notre culture, doit être ravivé. La recherche, la documentation et la mise en valeur de notre patrimoine oral doivent être au cœur de notre démarche », a-t-il ajouté.

Le bhojpuri face aux défis de la modernité

Le bhojpuri, parlé par des millions de personnes en Inde et dans la diaspora, notamment à Maurice, joue un rôle essentiel dans l’identité de ses locuteurs. Cependant, son usage est en déclin, ce qui inquiète des spécialistes. Le Dr Neerujun Beegun, Assistant Director au ministère de l’Éducation, a abordé l’importance de favoriser l’usage quotidien du bhojpuri.
« Pour qu’une langue survive, il faut la parler. Nous devons être les premiers à l’utiliser et à encourager son emploi dans notre entourage. Un changement de mentalité est nécessaire, car c’est aux adultes de transmettre cette langue aux jeunes générations », a-t-il déclaré.
Il a également mis en avant que le ministère a initié des cours de bhojpuri en soirée, bien que des efforts supplémentaires soient requis. « Une transformation doit être apportée aux adultes pour que les enfants puissent apprendre le bhojpuri », a-t-il fait ressortir par ailleurs.

Pour sa part, Dharam Nunka, coordinateur de la chaîne bhojpuri à la MBC, a évoqué le rôle des médias dans la promotion de la langue. « L’introduction du bhojpuri dans les écoles primaires facilitera son apprentissage au secondaire et au niveau universitaire. Il est primordial que toutes les organisations dédiées au bhojpuri travaillent ensemble pour garantir son avenir », a-t-il affirmé.

Pour sa part, l’ancienne présidente de la Bhojpuri Speaking Union, Dr Sarita Boodhoo, a alerté quant au risque de disparition des langues minoritaires. « Le bhojpuri, bien qu’ayant intégré de nombreux termes créoles, reste dynamique et résilient. Nous devons cependant en assurer la transmission dans un cadre formel », a-t-elle insisté.

Anupama Chummun, directrice adjointe, a partagé son propre parcours d’apprentissage du bhojpuri oral auprès de ses amis, tout en étudiant l’hindi et le sanskrit. Elle a également évoqué les avancées du ministère en faveur de la reconnaissance de cette langue. « Le théâtre en bhojpuri est désormais encouragé et des productions télévisées devraient voir le jour grâce à la MBC », a-t-elle ajouté, tout en précisant que des initiatives sont en cours dans ce sens.

De son côté, Kiran Jankee, chercheuse à l’Aapravasi Ghat Trust Fund, a fait part des difficultés liées à la documentation de la langue. « Nous manquons d’experts pour la transcription. Plus de 500 interviews enregistrées n’ont pas encore été exploitées. Il est urgent de mobiliser davantage de chercheurs et de locuteurs afin de préserver ce patrimoine », a-t-elle expliqué.
La Dr Anjani Murdan a, elle, souligné que les langues évoluent constamment : « L’emprunt lexical est naturel dans un environnement multilingue. Le bhojpuri, tel qu’il est parlé à Maurice, a changé au fil du temps, et c’est une évolution normale ». Elle a ajouté que, d’après des experts, 50 % des 7 000 langues parlées dans le monde sont menacées d’extinction.

Structuration et standardisation

Plusieurs intervenants ont prôné la nécessité d’un cadre structuré pour la préservation et la promotion du bhojpuri. Chandradeo Aubeeluck, ancien assistant maître d’école, a plaidé pour une transcription standardisée et l’élaboration d’un dictionnaire officiel.
Le Dr Anjalee Chintamunee a évoqué le besoin d’un budget dédié et d’incitations à l’intention des enseignants. « Il est crucial de créer des activités attractives pour les jeunes et de leur offrir des opportunités d’expression en bhojpuri », a-t-elle affirmé.
La Dr Alka a, quant à elle, mis en garde contre la médiatisation de contenus de mauvaise qualité. « Les productions en bhojpuri doivent être soignées, car une faible qualité pourrait décourager les jeunes générations », a-t-elle relevé.

Pour sa part, Laldhun Seebooa, ancien membre du Bhojpuri Writing Panel, a mis l’accent sur l’importance du théâtre en bhojpuri, qui ne devrait pas être limité aux concours scolaires, mais devenir un élément central du divertissement local. Vivek Binda, éducateur de l’enseignement secondaire, a souligné que le bhojpuri ne devrait pas être perçu comme une menace pour l’hindi.

Senior Lecturer au Mahatma Gandhi Institute, Gulshan Sooklall a, lui, proposé une approche scientifique pour la standardisation du bhojpuri, en s’inspirant du processus de normalisation du kreol morisien. De son côté, Vishal Mungroo a également plaidé en faveur d’une harmonisation de la langue et a incité des paroliers à enrichir le répertoire bhojpuri. « Les auteurs de chansons doivent jouer un rôle clé dans la dynamisation de cette langue », a-t-il conclu.

Cette table ronde a mis en lumière l’urgence d’une action concertée pour préserver et promouvoir le bhojpuri. En mobilisant l’éducation, les médias et la recherche, ainsi qu’en favorisant l’implication de la communauté, il est possible de garantir un avenir florissant à cette langue emblématique, forte de quelque 200 ans d’histoire à Maurice. L’engagement des institutions et des individus est déterminant pour assurer son essor et sa pérennité, permettant ainsi à cette riche culture de continuer à s’épanouir et à transmettre ses valeurs aux générations futures.

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