Pour quelle raison, Satish Boolell, la grande majorité des intellectuels mauriciens d’origine hindoue, dont les politiciens, qui se prononcent sur tous les sujets, semblent-ils avoir des difficultés à le faire contre les fameuses associations socioculturelles et leurs présidents ?
Les Mauriciens en général sont mal à l’aise face à l’actuel gouvernement, qui fait peur. Il fait peur aux employés de la fonction publique, qu’ils soient hindous ou pas, et qui craignent les représailles. À Maurice, les langues ont tendance à se délier et les positions politiques à s’afficher dans les derniers mois avant une élection générale. Entre deux élections, nous sommes amorphes, anesthésiés, avons peur qu’en faisant connaître nos opinions on peut remettre en question une bourse, un avancement, une promotion. On a peur de représailles de personnes qui sont censées être les porte-voix du gouvernement sur le plan socioreligieux.
Quel est donc le pouvoir de nuisance de ces présidents ou porte-parole de sociétés socioculturelles ?
Ils sont censés être le fer de lance de la société civile en matière de religion et pas uniquement pour la plate-forme hindoue. Ce sont des personnes qui sont traités avec soin par le gouvernement, qui se font décorer le 12 mars et dont la MBC se fait un devoir de diffuser le moindre message dans le journal télévisé. Et dont les activités sont également couvertes par la presse. Tout cela fait que les Mauriciens redoutent ces protégés du pouvoir, surtout pour ce qu’ils peuvent représenter en termes de représailles.
La semaine dernière, Jagdish Seebaruth avait établi, en se basant sur les statistiques, que les associations socioculturelles hindoues ne représentent que 12% de cette communauté. Comment expliquez-vous qu’on laisse cette minorité s’exprimer au nom de la majorité ?
Je vous l’ai dit, c’est la frayeur que l’on ressent vis-à-vis des protégés d’un pouvoir politique que l’on sait revanchard et rancunier, qui ne tolère pas la critique. Mais élargissons le débat en répondant à cete question : qu’est-ce que c’est que l’hindouisme ? C’est une religion sans structures définies, sans hiérarchie comme dans le catholicisme. C’est une collection d’approches différentes, c’est un rassemblement de groupes ayant chacun leur guru qui impose un mode de vie et de pensée. Chez les hindous, avec leurs divisions et sous-divisions, la pratique de la religion n’est pas structurée et il arrive que les gardiens des infrastructures des temples se posent en porte-parole.
En quelque sorte, ils se font passer pour ce qu’ils ne sont pas ?
Ce sont ces gardiens des infrastructures qui se font passer pour les propriétaires de la religion et prétendent être le porte-parole de la communauté. Mais au sien d’une communauté, tout le monde n’a pas envie de se mettre en avant, de se faire entendre. Ce sont souvent ceux qui crient le plus qui contrôlent, se font entendre, prétendent représenter la majorité silencieuse. Dans le débat qui nous occupe — si on peut parler de débat —, ils ne sont plus les porte-parole de la religion mais les défenseurs de la femme hindoue. Je trouve que ces défenseurs autoproclamés sont plus une insulte à la femme hindoue qu’autre chose. La femme hindoue a-t-elle besoin de self appointed tapeurs qui bénéficient du temps d’antenne qu’ils veulent à la télévision pour être défendue ? Ce n’est la femme hindoue que ces « porte-parole » défendent, mais une en particulier. Au nom de quelle moralité, de quelle transparence dois-je retourner vers ma religion pour défendre quelqu’un qui ne le mérite pas à mes yeux ? Mme Soornack peut très bien se défendre et d’ailleurs elle le fait en ayant recours à une armada d’hommes de loi qui doivent lui coûter une fortune. Et de toute façon, je ne savais pas que les associations socioculturelles avaient pour mission de défendre certaines personnes. J’accuse ces gens d’avoir un agenda caché.
De quel agenda caché parlez-vous ?
De celui qui vise non pas à protéger la communauté hindoue, mais leurs arrières et leurs gains personnels. Il serait bon qu’avant de parler de la défense de la communauté hindoue ces porte-parole fassent une déclaration de leurs avoirs et de leurs intérêts. Qu’ils viennent indiquer au public qu’ils ne sont pas seulement présidents d’un temple, mais également membres d’un board d’un corps paraétatique, possèdent des entreprises qui obtiennent des contrats des compagnies ou ont des proches qui sont engagés dans les affaires avec les ministères.
Il faudrait quand même souligner que tous les gouvernements s’accommodent de ces représentants d’associations socioculturelles. Ils sont choyés par tous les partis politiques. Pourquoi ?
Parce qu’ils sont parvenus à faire accepter qu’ils représentent des réservoirs de votes. Des votes qui sont indispensables pour remporter une élection.
Ces réservoirs de votes existent-ils vraiment ?
Ce sont des votes virtuels car, quand le Mauricien va voter, il ne prend pas d’instruction ou, comme on dit, de consigne de vote des messies de la dernière heure. Il vote selon son tempérament, son histoire et ses convictions, ses goûts ou ses dégoûts politiques. J’ai toujours dénoncé ces soi-disant propriétaires de votes, leurs affinés communalistes et castéistes. Ils ne travaillent pas à l’établissement d’une société de partage, dans le respect des différences, mais d’une société d’affrontements entre communautés. Ils veulent établir à Maurice le kaliyuga.
C’est vrai que c’est un terme que l’on commence à entendre à Maurice. Que veut-il dire exactement ?
Il est extrait du Vishnu Purana, qui raconte la chose suivante : les rois du royaume de Kali Yug étaient devenus corrompus et prenaient les richesses de leurs sujets pour les offrir à certains de leurs protégés. Le mensonge était la clef de leur succès et la corruption leur moyen de subsistance. Ces rois corrompus sont allés tellement loin que la population a quitté le royaume de kali-yug pour aller se cacher dans les montagnes. C’est ça le royaume, le système que les prétendus défenseurs de la communauté veulent instaurer à Maurice ? L’Arya Samaj, crée par le Swami Dayanand pour réformer la société hindoue, prônait la recherche de la vérité. Ceux qui veulents instaurer le kaliyuga sont des personnes qui veulent protéger leurs chasses gardées et les faveurs qu’ils ont obtenues. J’accuse ces personnes de tenter de détruire la paix sociale de Maurice alors que l’on est en train de se remémorer les événements qui ont eu lieu autour de la mort de Kaya en 1999. Mais l’hindou et le Mauricien que je suis — comme la majeure partie des habitants de ce pays — rejettent ces élucubrations.
Vous êtes certain que la plupart des hindous partagent votre point de vue ?
Je suis certain que la majorité des hindous ainsi que la majorité des habitants de ce pays, toutes communautés confondues, ne veulent pas de répétition de périodes sombres de notre histoire. Notre société est fragile parce qu’il existe dans chaque communauté et dans chaque religion des gens qui prennent un malin plaisir à agiter l’arme communale et religieuse à la veille des élections.
Vous ne redoutez pas d’être la cible des ces gens aux prochaines élections ?
Je suis certain que mes propos ne feront pas plaisir à certains. Mais je dis à ces personnes d’aller se faire voir ailleurs. Je viens d’arriver dans la politique avec une riche carrière de médecin légiste. Les électeurs de Curepipe m’ont élu et je les en remercie. Mais si jamais je dois disparaître de la scène politique, je ne vendrai pas ma conscience et ma probité intellectuelle en me ralliant aux thèses que je condamne aujourd’hui pour être élu. Je suis contre le noubanisme et pour le mauricianisme, et ce n’est pas négociable.
Ce sont des propos que les politiciens n’aiment pas tenir en public…
C’est vrai. Ce sont des propos qu’on aborde généralement en petit comité parce qu’on a peur que cela soit répété, parce qu’on craint la police secrète. Celui qui a travaillé, qui a trimé dur toute sa vie dans le gouvernement pour arriver à une position respectable de responsable a toujours peur de l’État et de son appareil. Nous sommes tous au courant des transferts punitifs dans la police et les autres services du gouvernement. Les institutions fonctionnent de plus en plus mal, elles sont rongées par les nominations des petits copains et leurs abus.
Vous avez mentionné l’Arya Samaj. Un commentaire sur le cas de cette vieille dame malade et invalide que le directeur d’un ashram a refusé de reprendre après un séjour a l’hôpital…
C’est un cas qui aurait dû intéresser ceux qui se proclament les défenseurs des hindous. Mais on ne les a pas entendus. Ils sont plus préoccupés à aller dans les fonctions ministérielles pour se faire voir. C’est un problème qui se pose déjà à la société mauricienne : que faisons de nos vieux ? Comment les traitons-nous ? Comment serons-nous traités demain quand nous serons vieux ? Ce sont des questions auxquelles nous devrions commencer à réfléchir dès maintenant. Mais revenons à cette conférence de presse et aux soi-disant représentants de la communauté qui l’ont tenue. Ce sont des faux représentants qui sont reconnus par les institutions du pays. C’est la Callikan Broadcasting Corporation qui leur donne de la publicité dans le journal télévisé. Si elle ne l’avait pas fait, les Mauriciens n’auraient pas su que ces gens-là avaient organisé une conférence de presse. Cela aurait été un fait divers de quelques lignes dans la presse écrite, rien de plus. Ces porte-parole ont oublié une chose : de porter des kurtas blancs pour leur conférence de presse sur le thème charbon noir, charbon blanc. J’accuse la MBC de jouer un rôle conséquent au niveau de la tentative de balkaniser Maurice. J’accuse les socioculturels de tenter de balkaniser le pays.
Vous pensez que cette conférence de presse fait partie d’une stratégie élaborée ou n’est-ce que des coïncidences ?
Mais enfin, tout cela est clair. Quand le Premier ministre vient déclarer que D…
Par respect pour nos lecteurs, nous n’allons pas publier le nom de cette personne…
Vous avez raison. Quand le Premier ministre vient déclarer que cet homme en question a le droit à sa liberté d’expression, le lien est établi. Moi aussi j’ai droit à la liberté d’expression et je l’utilise pour dire au Premier ministre la chose suivante : qu’il demande à Callikan de réserver une des multiples chaînes de la MBC pour diffuser les propos des présidents des socioculturels. On verra alors le taux d’écoute dont bénéficient les défenseurs autoproclamés. On aura une idée du nombre de gens qui les suivent réellement.
Vous n’avez pas beaucoup de respect pour la MBC on dirait…
Ce n’est pas possible. Comment peut-on respecter une institution dont les caméras semblent avoir été programmés pour filmer seulement ceux qui sont au pouvoir ? On ne montre l’opposition que brièvement, quand ses membres sont en train de dormir ou de se gratter le nez. À ces images il y a également un montagne ou tout est fait pour montrer les ministres et leurs protégés et éviter les membres de l’opposition. La MBC est l’élément catalyseur de l’instabilité sociale que certains essayent de créer à Maurice. Mais ces stratèges ont oublié qu’une couverture médiatique à outrance peut aussi outrer les autres communautés et provoquer des réactions. Je pense que c’est voulu et qu’il y a quelque part un spin doctor qui travaille en ce sens.
Cette opération a-t-elle une influence sur l’opinion ?
Je ne le crois pas parce que les Mauriciens ne sont pas aussi stupides que certains le pensent. Il faut se pencher sur le timing de cette opération de communication avec des relents communaux. Il y a un build up pour l’Indépendance, le Maha Shivaratree et ensuite le 1er-Mai qui vont rassembler de grandes foules. Le but est de tenter de mobiliser ces foules pour donner l’impression que le gouvernement est fort.
Est-ce dangereux ou triste pour Maurice ?
C’est en premier lieu triste que l’on puisse avoir recours à de tels « arguments », que l’on aille à le recherche de pyromanes pour essayer de mettre le feu au pays. Ce qui me fait un peu peur c’est que les dirigeants des groupes socioculturels soient en train d’infiltrer le monde du social. Celui qui se fait le plus entendre dans la plate-forme supposément hindou est actuellement le trésorier d’une collectivité d’ONG, le MACOSS (Mauritius Council of Social Service). Il existe à mon avis une stratégie pour infiltrer les mouvements sociaux qui peut se révéler dangereux si on n’y prend garde. Ceux qui contribuent au fameux CSR pourraient se retrouver obligés de soutenir financièrement certains mouvements socioculturels. Avec les appuis dont ils disposent, ils vont faire en sorte que les mouvements sérieux aient moins de subventions. Il faut lutter contre cette infiltration, ce nivellement par le bas qui va à l’encontre même des objectifs des mouvements sociaux.
Comment se débarrasser de ces mouvements socioculturels ?
La seule manière de le faire est de demander à leurs présidents de se porter candidats aux élections, ce qu’ils ne feront jamais. Car ils savent qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes et que les réservoirs de votes dont ils se disent les mandataires sont virtuels. Cela étant, je crois qu’il n’y a que des élections qui nous permettront de mettre de l’ordre dans le pays. Jusque-là, on va observer un silence qui va diminuer au fur et à mesure que la date des élections va se rapprocher. Ce silence cache en fait un tsunami, un vrai, pas celui que Ramgoolam annonce pour son congrès ce dimanche. Je sens que tout le monde attend les prochaines élections pour se libérer de la frayeur et de cette ambiance malsaine dans laquelle nous vivons. On a de moins en moins confiance dans les institutions. Nous avons toujours prêché que le chemin qui mène hors de la pauvreté passe par l’éducation. Mais il semble que là aussi on soit en train de fausser les règles du jeu. J’en veux pour preuve cette publicité sur une radio selon laquelle on peut désormais avec un O-Level et en suivant un cours à la cybercité obtenir un degré. Cela va remettre en question une base de l’éducation à Maurice. Nous allons produire des gradués qui ne seront reconnus qu’à Maurice. Est-ce une mesure pour permettre au ministre Jeetah de réaliser sa promesse selon laquelle il faut un gradué par famille.
Que pensez-vous des remous qui agitent cette semaine le PMSD dont un des membres est député correctif de Curepipe ?
Cette agitation m’a ramené à mon enfance et aux exceptions grammaticales françaises avec les mots en AL qui ne prennent pas AUX au pluriel. Ce qui se passe au PMSD, il y a eu carnaval, où Sik Yuen a eu son régal avec les Brésiliennes. Nous sommes en plein dans le bal qui est un festival pour les chacals. C’est d’un ridicule. Comme la déclaration de Michael Sik Yuen selon laquelle il aurait fait une réunion dans son fief, Curepipe. Voilà donc que le best loser illégitime sorti en quatrième positif a un fief…
Pourquoi best loser illégitime ?
Vous avez oublié comment Michael Sik Yuen est devenu best loser ? En ayant écrit sur sa fiche d’inscription de candidat qu’il appartenait à la population générale. Mais laissons ça de côté et demandons au ministre Sik Yuen au nom de la transparence de nous dire pour quelle raison il a révoqué Robert Desvaux de la MTPA. Est-ce que cela aurait trait aux danseuses brésiliennes du dernier carnaval, des danseuses au sexe indéterminé ? Je pense que tout ce tapage est utilisé par Navin Ramgoolam pour faire oublier d’autres scandales.
Que pensez-vous de votre autre colistier à Curepipe, Éric Guimbeau ?
Je crois qu’il voulait être au MMM ce que le PMSD était au PTr. Après trois mandats, il pensait avoir une assise qui lui aurait permis de faire élire une majorité de conseillers municipaux, il n’en a fait élire qu’un seul. Grace à un vote de sympathie et en se plaçant dans l’opposition, mais si le MMSD se range avec le PTr, les données vont changer drastiquement. Vous savez, il y a douze cités ouvrières qui ont été totalement négligées par le gouvernement à Curepipe et je ne vois aucun ministre y entrer pour faire campagne avec ou sans macaroni. Les problèmes sont énormes dans ces cités qui ont été pratiquement abandonnées.
Êtes-vous pessimiste pour l’avenir de Maurice ?
Je suis réaliste quand j’analyse la situation actuelle. Mais je suis optimiste pour l’avenir parce que je sais que le Mauricien va réagir aux prochaines élections. Pour le moment on ne peut rien faire. Nous avons un Premier ministre qui a les pouvoirs d’un roi. Il a ses ministres qu’il ne voit pas souvent mais sa cour et ses superconseillers qui peuvent le joindre à tout moment et il a ses socioculturels. Il a sa MBC. Ils contrôlent tout pour le moment, mais tout cela va changer aux prochaines élections.
Dernière question d’actualité : comment se porte le MMM en l’absence, pour raisons médicales, de son leader historique ?
Quel est le politicien du MMM et quel est le politicien tout court qui va dire que l’absence de Paul Bérenger meneur d’hommes ne se fait pas sentir ? L’adjoint fait de son mieux, nous lui sommes solidaires, mais Bérenger nous manque. Mais avec la grâce du Seigneur, sans passer par les socioculturels, il sera rapidement de retour et le combat continuera de plus belle.
SATISH BOOLELL : « Les socioculturels tentent de balkaniser le pays »
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