Notre invitée de ce dimanche est la députée travailliste Nita Deerpalsing qui vient de lancer le débat réclamant que Maurice devienne, dans les faits, un État séculier. Une proposition qui est rejetée par certains présidents d’associations “socioculturelles”, mais qui serait, affirme la députée rouge, soutenue par la majorité silencieuse. Dans cette interview réalisée jeudi, elle défend son point de vue et demande à la majorité silencieuse de se faire entendre.
Qu’est-ce qui se passe au PTr? Patrick Assirvaden critique la lenteur de la politique énergétique du gouvernement et vous critiquez la puissance des lobbies socioculturelles sur le gouvernement. Le Parti Travailliste est en train de découvrir l’Amérique sur la carte du monde?
Pas du tout. Il y a toujours eu au PTr des députés qui ont la liberté de parole et c’est d’ailleurs un des problèmes que nous avons eus au MSM. Au MSM, on ne comprenait pas pourquoi des backbenchers travaillistes questionnaient le ministre des Finances d’alors. C’est le travail du backbencher d’interpeller le gouvernement. J’ai toujours cru que bousculer, poser des questions fait partie du jeu démocratique et c’est en ce faisant que les députés peuvent construire et améliorer les choses dans le pays, ce qui est leur travail.
Depuis quand avez-vous découvert que Maurice n’était pas un État séculier et que le pays est parfois dirigé par les lobbies socioculturelles?
Ce n’est pas une découverte nouvelle pour moi. Je l’ai dit dès mon entrée en politique, en 2005. On m’a alors dit de ne pas en parler. En 2006, j’avais abordé la question des subsides aux religions, ce qui était une grande première. Ce que je pensais être une question normale – puisque j’ai vécu dans l’État séculier qu’est le Canada – avait fait la une de la presse mauricienne. On n’en revenait pas que cette question ait pu être posée! Deux événements récents m’ont poussée à reposer publiquement cette question dont je n’ai cessé de parler en privé: la censure de Susheela Raman et le débat sur l’avortement au Parlement. J’ai pensé que le débat occasionné par ces deux événements était l’occasion de faire entrer le mot séculier dans le débat parlementaire.
Mais vous saviez quand même depuis 2005 que nous étions loin d’être un État séculier et que les associations socioculturelles ont leurs entrées au gouvernement et dans l’opposition, de même que leur mot à dire sur beaucoup de choses qui n’ont rien à faire avec le social et le religieux?
Moi, je veux élargir le débat et ne pas le cantonner uniquement aux lobbies socioculturels. L’État – pas seulement le gouvernement mais aussi les parlementaires – doit avoir un cordon de sécurité pour se protéger de toutes formes de lobbies. Les députés sont censés représenter leurs électeurs et les intérêts de ces derniers, pas ceux des lobbies, quels qu’ils soient. Les lobbies sont internationaux, mais les pays qui marchent bien sont ceux qui savent s’en protéger.
Mais le député mauricien doit, dans beaucoup de cas, son ticket de candidat à divers lobbies.
Je pense que c’est plus une perception que la réalité. Je refuse de souscrire à ce que vous dites.
Etes-vous disposée à voter une loi pour abolir les subsides que l’État puise des finances publiques pour verser aux religions ?
Je pense que nous aurions été mieux dans ce pays si les gens vivaient vraiment leur foi au lieu de montrer leur religiosité. Je suis pour qu’on aide les gens à vraiment vivre leur foi, ou leur non-foi. Toutes les religions poussent leurs fidèles à devenir de meilleurs êtres humains, à respecter son prochain dans tous les aspects du quotidien. Il y a dans ma circonscription des associations animées par des femmes qui font un travail formidable au niveau social, mais dans l’anonymat, sans faire de publicité. Ce sont ces gens- là qui doivent être aidés par l’État. Il faut aider les gens qui font du vrai travail socioculturel dans l’anonymat. Je réponds à votre question maintenant: abolir les subsides? Pas nécessairement. Je souhaiterais que les subsides soient réorientés avec un cahier de charge comptable pour que l’on sache à quoi a servi l’argent donné. Je souhaiterais qu’un rapport public sur l’utilisation des millions des subsides soit déposé au Parlement.
Dans l’interview que vous avez accordée à Deepa Bhookun, de l’Express, vous disiez que “nous avons permis à trop de socioculturels d’envahir l’État séculier.” Qui est ce nous, les politiques ou l’ensemble des Mauriciens?
Tout le monde. Tous les politiciens de tous les bords et les Mauriciens. Nous avons tous été partie prenante de cet envahissement: les politiciens, en se laissant gagner par ce mouvement; les Mauriciens, en se taisant. Depuis que ce débat, qui couve depuis longtemps, a été lancé, j’ai été assaillie sur les réseaux sociaux, par téléphone, dans la rue, dans les supermarchés, par des Mauriciens de tous les bords, de toutes les ethnies, de toutes les classes sociales. Ils me disent tous: il faut refaire de Maurice un État séculier et remettre les socioculturels à leur place. Je dis à ces gens: ne restez pas tranquilles, ne soyez pas la majorité silencieuse qui devient complice par son silence.
Vous avez également dit dans cette interview, “il faut un sursaut sinon l’État séculier sera envahi par les forces conservatrices socioculturelles.” Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard quand on voit comment se comportent les porte-parole de certaines associations socioculturelles?
Il n’est jamais trop tard. Je pense qu’il y a une réelle volonté de faire bouger ce pays vers une société moderne et je suis convaincue que c’est la vision de Navin Ramgoolam.
J’étais en train de me demander à quel moment vous alliez rendre hommage à Navin Ramgoolam!
Moquez vous, si vous le voulez, mais la vision du Premier ministre est importante. Si le PM n’avait pas cette vision, je n’aurais pas été partie prenante de son parti. C’est ce gouvernement qui a fait voter le Equal Opportunities Bill. C’est, sans doute, un petit pas mais c’est un grand mouvement dans une direction donnée, la bonne. S’il y a des obstacles, il y a également des avancées dont la loi partielle sur l’IVG. Il faut donner un coup de pouce, un soutien à ce mouvement vers un pays moderne.
Vous dites croire dans la vision de Navin Ramgoolam, mais sa réponse à votre PNQ sur l’État séculier ne donne pas le sentiment qu’il soit résolument en faveur.
Je ne suis pas d’accord avec vous. Il a dit qu’il fallait un débat.
N’aurait-il pas été plus simple qu’il dise: je suis pour un État séculier ?
Je suis convaincue que ça va venir. C’est seulement sous la direction de Navin Ramgoolam que Maurice va devenir un État séculier. Bien sûr, il doit composer avec certaines choses, avec certaines réalités, mais il maintient le cap. S’il n’avait pas été d’accord, la loi sur l’IVG n’aurait pas été votée en dépit des pressions qu’il a dû subir. Je ne suis pas sûre qu’un autre Premier ministre, chez les travaillistes ou dans l’opposition, aurait résisté aux pressions. Navin Ramgoolam compose, mais il continue à frayer également un chemin vers la modernité.
Il se fraye un chemin vers la modernité quand il procède aux nominations au PMO et dans les corps para étatiques “sans subir des pressions”, selon ses propres dires?
Il ne faut pas perdre de vue le chemin qu’il est en train de frayer et qu’il faut soutenir. Dans sa réponse à la PNQ, il a dit qu’il fallait avoir un débat dépassionné sur la question. Ce qui est important, c’est que l’idée ait été passée.
Vous êtes convaincue que vous avez été entendue et que Maurice deviendra un jour un État séculier?
J’en suis de plus en plus convaincue. Surtout quand je sens cette force latente, silencieuse, encore trop silencieuse à mon goût. Je profite de cette interview pour lancer un appel aux Mauriciens qui veulent d’un État séculier. Qu’ils se fassent entendre. Plus on reste silencieux, plus on laisse les autres gagner du terrain.
Parmi ces autres, il y a le président de la Mauritius Andhra Sabha Federation qui a dit avoir peur que vous puissiez un jour devenir PM de Maurice! Et souligne que vous avez été élue grâce aux voix des associations socioculturelles que vous dénoncez.
J’ai été élevée dans la foi hindoue avec le Bhagavad Gita qui enseigne qu’on doit faire ce qui doit être fait, sans jamais attendre quelque chose en retour. Je ne me reconnais pas dans ce que dit ce président, je fais ce qui doit être fait, sans penser à ce que cela pourrait me rapporter. Je ne sais pas, d’ailleurs, combien de temps je vais rester en politique.
Justement, vous avez déclaré que vous commenciez à être lasse etque vous vous demandiez ce que vous faisiez à Maurice. Vous jetez le gant après sept ans à peine?
Je n’ai jamais considéré la politique comme une carrière, mais comme un engagement. J’ai fait la déclaration que vous citez parce que j’étais exaspérée par certains arguments utilisés dans le débat autour du projet sur l’avortement au Parlement.
A propos de ce débat, vous avez dit avoir honte pour les députées qui avaient voté contre le projet de loi. Vous n’acceptez pas qu’on puisse avoir une opinion différente de la vôtre?
J’accepte les opinions des autres et me réserve le droit de les combattre si je ne suis pas d’accord avec. Peut-être que le mot honte était trop fort. Mais j’ai utilisé ce mot parce que je ne comprends pas que des politiciennes, à qui leurs mandantes viennent confier des problèmes intimes – des problèmes dont elles ne parleraient jamais à un député –, n’aient pas compris l’importance, pour les femmes, de ce projet de loi. Quand une femme qui a trois enfants est violée par son mari et tombe enceinte, est-ce que je peux lui dire de garder cet enfant au nom de la morale?
Vous vous rendez compte que vous êtes devenue la bête noire des dirigeants des associations culturelles?
Je vous disais qu’il faut revenir vers la vraie foi parce qu’à Maurice, certains pensent avoir le monopole de la foi. Dans le panthéon hindou, Doorga, la déesse qui n’a pas besoin d’un prénom masculin pour exister, est ma préférée. Les hindous célèbrent le Doorga puja parce qu’autrefois, des démons perturbaient la société et qu’on a fait appel à des dieux masculins pour les combattre. Les dieux masculins n’ont pas pu battre les démons et on a alors fait appel à Doorga qui, seule contre tous les démons, les a vaincus.
Permettez-moi de vous donner le surnom de Doorga de la politique mauricienne et adversaire des dirigeants des associations socioculturelles.
Non merci ! Je ne suis pas aussi présomptueuse, mais je m’inspire de cette histoire. Je n’ai pas peur de combattre qui que ce soit, surtout quand, comme c’est le cas dans le débat actuel, je suis entièrement en phase avec ma foi de Mauricienne hindoue. Je vis la vraie foi hindoue, contrairement à d’autres.
Vous vous rendez compte que vous avez pratiquement la même position sur les présidents d’associations socioculturelles que sir Anerood Jugnauth? Il avait dit: les présidents des associations culturelles ne représentent qu’eux-mêmes.
Je veux mettre l’emphase sur les vraies associations et mouvements socioculturels de toutes les communautés mauriciennes qui font un travail formidable au niveau de la société, au niveau du combat contre la pauvreté, de l’accompagnement des femmes battues. J’aimerais également faire ressortir une chose. Les associations socioculturelles sont toujours présidées par des hommes, toujours les mêmes. Aucune d’entre elles n’est dirigée par les femmes qui sont, pourtant, plus de 50% de la population mauricienne. Alors, qui représentent les porte-parole de ces associations socioculturelles sinon eux-mêmes et leurs intérêts? Il y a les vrais mouvements socioculturels et puis, il y a ceux qui se servent de la religion pour se faire voir. Quant à Anerood Jugnauth, il a fait beaucoup de zigzags après la déclaration que vous venez de citer.
Comme tous les politiciens en ce qu’il s’agit des associations socioculturelles. Passons au 2e volet de cette interview, qui est plus politique. Vous avez déclaré: nous sommes prêts pour les municipales. Mais c’est au gouvernement dont vous faites partie de proclamer la date des élections municipales. Si vous êtes prêts, qu’est-ce qu’on attend?
Vous savez qu’il y a eu des contestations auprès de la Commission électorale et qu’il y a des détails à régler.
Une fois ces détails reglés, vous – je veux dire le PTr/PMSD – êtes prêts à aller aux municipales?
Évidemment.
Vous êtes prêts à les gagner aussi, ces élections municipales?
Je parle pour Quatre-Bornes, pas pour les autres régions dont j’ignore la situation. Je n’ai aucun doute que nous allons remporter la victoire municipale à Quatre-Bornes.
Comment se porte l’alliance PTr/PMSD?
Très bien. Xavier et moi travaillons en étroite collaboration, en très bonne harmonie même.
J’aurai une question à vous poser tout à l’heure sur certaines informations de presse sur l’état de l’alliance.
Il ne faut pas croire tout ce qui est écrit dans les journaux.
Tout comme il ne faut pas croire tout ce que disent les politiciens.
Je suis d ‘accord mais je ne suis pas sûre que la presse soit plus crédible.
Quel est le regard que vous jetez sur l’alliance MSM/MMM, le remake?
Il paraît qu’ils ont froid, c’est pourquoi ils ont arrêté les meetings. Personnellement, cette alliance ne me fait ni chaud ni froid, et la vie continue.
Il y a des rumeurs d’alliance PTr/MMM qui ont fait réagir les ténors du PMSD qui ont dénoncé les koz kozé entre Bérenger et Ramgoolam.
Il y a plein de rumeurs dans ce pays; il y en a trop, en fait. Nous sommes à trois ans des prochaines élections, de quelle alliance est-on en train de parler? Que l’on soit d’accord ou pas, le gouvernement est dans une mouvance d’actions. Les rumeurs sont là pour entertain la galerie, moi je n’y prête aucune attention.
Une éventuelle alliance PTr/MMM vous étonnerait?
Rien ne m’étonnerait, mais nous n’en sommes pas là.
Si une alliance était en cours de négociation, vous en seriez informée?
Je ne veux même pas discuter de ça. Ces rumeurs n’affectent en rien mon action politique. Quand le temps des élections viendra, si jamais il y a des pourparlers avec X ou Y, on verra. Pour le moment, nous sommes déjà dans une alliance qui marche bien. Mon action politique sur le terrain s’insère dans la mouvance du gouvernement, et cela me suffit. Je n’ai pas le temps d’ajouter l’analyse des rumeurs aux complications de l’action politique. Cela ne m’intéresse pas.
Vous êtes moins préoccupée par une alliance politique que par le combat pour faire de Maurice un véritable État séculier?
Je suis plus intéressée à marcher vers cette direction que le pays doit prendre. Le reste, c’est du tapage. Le moment venu, on verra pour les alliances et les élections.
Quel est le mot de la fin de cette interview que les présidents des associations socioculturelles vont lire avec une loupe?
Je voudrais, une fois encore, m’adresser à la majorité silencieuse. Ma circonscription, comme toutes les autres, regroupe des Mauriciens de toutes les communautés. La majorité des hindous de ma circonscription ne sont pas des sectaires.
Comme la grande majorité des Mauriciens de toutes les communautés.
Je suis d’accord avec vous, mais laissez-moi terminer pour bien comprendre mon propos. Ce sont des gens bien, qui travaillent dur pour eux et leurs enfants. Ils sont venus me dire que X, Y ou Z, c’est-à-dire des associations socioculturelles précises, ne nous représentent pas. Comme toutes les autres composantes de la communauté mauricienne, ils ne veulent qu’une chose: qu’on leur fiche la paix et que l’État soit un État neutre qui regarde chaque citoyen en égalité, qu’il soit croyant ou pas. Mes mandants, comme la majeure partie des Mauriciens, veulent qu’on les laisse vivre en paix et construire leur avenir et celui de leurs enfants. C’est tout ce qu’ils veulent.
J’ajoute la question suivante: seriez-vous pour une législation qui interdise aux politiciens de s’occuper des associations socioculturelles et que les présidents de ces associations ne soient plus traités comme des dignitaires pratiquement inscrits sur la liste du protocole?
Oui, je suis pour une initiative allant dans ce sens. Il y a un chemin à faire et c’est dans ce sens qu’il faut interpréter la réponse du PM à ma PNQ. La démarche vers la modernité est une constante pour lui. Je n’ai jamais pensé que si demain, on introduisait le mot séculier dans la Constitution, tous les problèmes que nous avons abordés dans cette interview seraient réglés comme par magie. Il y a un chemin à faire, il fallait que le débat soit relancé et que le mot séculier arrive au Parlement. C’est fait et j’en suis satisfaite.
Il y a une autre constante chez vous, Nita Deerpalsing: quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, vous comprenez toujours Navin Ramgoolam!
INTERVIEW: Que les Mauriciens qui veulent d’un État séculier se fassent entendre, a déclaré Nita Deerpalsing
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