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INTERVIEW: La balle est dans le camp de Navin Ramgoolam, a déclaré Ashok Subron

Notre invité cette semaine est Ashok Subron, responsable du mouvement Rezistans ek Alternativ qui fait la une de l’actualité depuis quinze jours. En effet, suite à sa plainte déposée devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations unies, ce mouvement a obtenu une réponse qui pourrait contraindre le gouvernement à revoir la loi électorale mauricienne. Pour d’autres, l’initiative de Rezistans ek Alternativ pourrait, au contraire, pousser le gouvernement à recommunaliser la loi électorale. Dans cette interview, réalisée vendredi en début d’après-midi, Ashok Subron revient sur la démarche de son mouvement, explique sa position et répond aux critiques.
Rezistans ek Alternativ est né d’une scission au sein du parti Lalit en 2004, tout comme Lalit était lui-même né d’une scission au MMM au début des années 1980. L’histoire se répète…
Pas totalement. Nous sommes partis de Lalit en raison d’un manque d’audace et d’un enfermement dans la lutte politique, pour des divergences d’ordre organisationnelles. Pas pour des raisons idéologiques. La séparation, qui ne s’est pas passée à l’amiable, a été suivie de persécutions et d’intimidations. En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais fait d’attaque publique contre Lalit…
… mais dimanche dernier, vous regrettiez toutefois dans l’express ne pas avoir quitté Lalit plus tôt…
C’était l’expression d’un sentiment personnel, pas une attaque. Nous avons laissé aux gens qui nous suivent le soin de juger la pertinence de notre action au lieu d’entrer dans un débat ou un conflit stérile.
Peut-on dire que Rezistans ek Alternativ est « un meilleur Lalit », une version améliorée de ce parti ?
Nous ne renions rien de notre passé et pensons que la contribution de Rezistans ek Alternativ au débat politique et social est pertinent et reconnu. C’est une continuité, mais aussi un uplifting de ce que nous faisions à Lalit en termes d’action et d’audace. Il faut le savoir : ce sont les jeunes qui ont décidé de quitter Lalit, et je les ai suivis pour entrer dans la lutte sociale et syndicale à Maurice et nous engager aux côtés des jeunes, des travailleurs et des opprimés de ce pays.
Êtes-vous un parti politique ou un regroupement de citoyens ?
Nous sommes un mouvement politique. Nous nous sommes donnés pour objectif d’agir comme un maillon dans la création d’un nouveau mouvement d’émancipation et de transformation sociale. C’est un mouvement qui s’inscrit dans la lignée politique qui a donné naissance au parti Travailliste en 1936, et au MMM à la fin des années 1960. Il existe aujourd’hui un vacuum politique, un décalage, entre les aspirations des jeunes et de beaucoup de Mauriciens, et les partis politiques traditionnels qu’il faut remplir.
Y a-t-il uniquement des jeunes et des travailleurs à Rezistans ek Alternativ, ou retrouve-t-on également quelques bourgeois, grands et petits ?
Il y en a autour de Rezistans ek Alternativ, pas dans les structures du mouvement. Tous les citoyens qui croient dans notre projet politique et nos idées sont invités à venir nous rejoindre en connaissance de cause.
Maintenant que les présentations ont été faites, procédons au rappel des événements qui ont conduit votre mouvement devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations unies.
Avec Lalit, nous avions toujours refusé la classification communale, et pour participer aux élections nous procédions à un tirage au sort. C’était une action pertinente et valable, qui a du être abandonnée en 2000 en raison d’un jugement de la Cour Suprême sur la classification communale. Poussé par ses jeunes militants, Rezistans ek Alternativ a décidé d’attaquer de front cette situation, et ce qu’elle codifie dans le système électoral mauricien. Nous avons décidé de participer aux élections de 2005 en refusant de déclarer l’appartenance communale que nous sommes supposés avoir. Comme l’a dit un de nos membres, comment peut-on demander à un enfant né d’un mariage mixte de choisir entre son père et sa mère ? Nous avons donc fait de la désobéissance civile pacifique.
Comme vous l’aviez prévu, les candidatures de Rezistans ek Alternativ ont été rejetées.
Nous voulions élever la conscience politique des Mauriciens sur cette question, et nous y sommes parvenus. Nous avions attiré l’attention sur cette question et nous étions satisfaits. Nous ne pensions pas aller contester le rejet de nos candidatures en Cour, mais les jeunes nous ont poussé à aller au bout de cette action. Nous avons porté l’affaire en Cour et, par la suite, le juge Balancy nous a donné raison. Mais cinq mois plus tard, son jugement devait être renversé par la Cour Suprême. J’aimerais souligner que le renversement du jugement Balancy s’est fait pratiquement sans Rezistans ek Alternativ. C’est à la veille de la session de la Cour Suprême que notre avocat a été informé de sa tenue, et invité à être présent pour entendre le jugement.
À quoi attribuez-vous cette curieuse manière de faire juridique ?
Je crois qu’il y a une section de l’État qui a entamé une procédure légalement faisable, mais malhonnête sur le plan éthique. Rezistans ek Alternativ n’a pas eu la possibilité de défendre le jugement Balancy qui a été renversé. Nous avons alors continué d’aller jusqu’au bout de notre démarche et pris deux dans pour suivre les procédures nous permettant de devenir partie prenante de cette affaire. Nos demandes, dont celle d’aller devant le Privy Council, ont été rejetées par la Cour Suprême et nous avons fait appel au Comité des Droits de l’Homme des Nations unies en 2007. Deux ans plus tard, nous avons remporté la première manche quand notre cas a été accepté. Nous avons remporté la deuxième manche, il y a quelques jours, quand le Comité des Nations unies a statué que la déclaration communale obligatoire des candidats mauriciens est une violation…
… par rapport au recensement de 1972. Cette recommandation du Comité des Droits de l’Homme des Nations unies n’est pas une condamnation, ni un rejet, du système électoral, mais elle vient souligner une contradiction entre les clauses du recensement de 1972 et celui de 1982.
En 1982, après le raz-de-marée 60-0 face au désir des Mauriciens de décommunaliser le système, le gouvernement avait modifié les clauses du recensement. Les Nations unies demandent au gouvernement de revoir ou d’expliquer sa position sur ce point précis. Certains politiciens rétrogrades jouent dessus dans le cadre de leur agenda rétrograde.
Ne faites pas comme ces « politiciens rétrogrades » qui attaquent et dénoncent sans nommer. Donnez-nous donc les noms de ces « politiciens avec des agendas rétrogrades ».
Je parle de Paul Bérenger, de Shakeel Mohamed et Arvin Boolell et, depuis jeudi soir, du MSM qui les a rejoints. Le Comité des Nations unies dit qu’il y a une violation dans le cas mauricien, et parle des réparations qui doivent être faites. Et je ne parle pas des frais légaux de cette affaire. Le Comité des Nations unies demande au gouvernement mauricien « to reconsider whether the community-based electoral system is still necessary ». La question de la « remise à niveau » du recensement est liée à la phrase précédente. Si la réponse est non, la question de l’uplifting du recensement ne se pose pas. Ceux qui accusent ces jours-ci Rezistans ek Alternativ d’ouvrir la porte à une possibilité de réintroduire dans le recensement les conditions de 1972 sont totalement malhonnêtes. Ce sont les politiciens qui défendent « a community-based electoral system » qui exposent notre pays à un recul, à une recommunalisation.
Pour recommunaliser, il faut avoir décommunalisé au préalable. Pensez-vous que cet exercice a été fait ?
Je crois que nous avons fait du progrès dans ce domaine. Les institutions ne sont pas encore décommunalisées, mais je pense que les Mauriciens le sont davantage qu’il y a quelques années.
Je ne partage pas votre avis, surtout quand on sait sur quels arguments les élections sont remportées à Maurice. Mais allons plus loin : est-ce qu’à force d’avoir accepté ou pratiqué le communalisme, le Mauricien ne l’a pas assimilé et en a fait une partie intégrante de sa manière de penser ?
Ce n’est pas le Mauricien qui a intégré le communalisme, mais la Constitution. À chaque fois que le peuple mauricien a dépassé ce qui est codifié dans la Constitution, cette même Constitution, le système et la pratique électorale sont là pour rappeler que nous devons être communalistes.
Pensez-vous que les Mauriciens sont moins communalistes que les politiciens ?
Absolument. Il y a eu, dans les années 1970, un rapprochement entre les aspirations du peuple et la mouvance MMM. Quand cette mouvance s’est séparée pour donner naissance au MSM, une dynamique communale assez importante est née dans le pays. La mouvance MMM a « évolué », si l’on peut dire, pour devenir l’héritier de l’ancien PMSD. L’absence de différences dans les projets de société, la philosophie politique et économique, font que les partis politiques reposent de plus en plus sur une forme de clientélisme communal. Depuis 20 ans, tout ce que ces partis font aux élections, ce sont des alliances de circonstance reposant sur des formules pour les remporter. Ces partis ont intérêt à communaliser les élections, et le système les aide à le faire. Je crois que le communalisme existe dans la société mauricienne, et que c’est l’existence d’une force et d’une conscience anti-communale permanentes qui le diminue. C’est ce que Rezistans ek Alternativ incarne aujourd’hui en partie…
Rezistans ek Alternativ seulement ?
J’ai dit « en partie », et j’ajoute « humblement ». C’est ce qu’incarnait la mouvance de 1936, puis, plus tard, celle des années 1970. Cette conscience anti-communale existe et s’exprime en fonction des moments et des projets politiques proposés. Je ne crois pas que, comme on le dit trop souvent, le système garantit la stabilité politique à Maurice. Je crois – et un des jeunes de notre mouvement l’a très bien expliqué – que ce système favorisant le communalisme est notre mur de Berlin. Il est temps de l’abattre.
Avec les réactions enregistrées à la suite des recommandations du Comité des Droits de l’Homme des Nations unies, avez-vous le sentiment qu’on a touché à notre mur de Berlin, ou plutôt qu’on l’a consolidé ? Ce qui justifierait la réaction de Paul Bérenger : votre action a donné l’occasion à tous ceux en faveur du système communal de se mobiliser.
Je pense que Paul Bérenger a tort et qu’il fait désormais partie de ces conservateurs. L’action de Rezistans ek Alternativ a créé une brèche dans le mur qui va nous permettre de mieux attaquer le système. Nous avons logé un autre cas devant la Cour Suprême, qui sera entendu avant la fin du mois.
Après le renversement du jugement Balancy, pensez-vous que la Cour Suprême pourrait aller dans l’autre sens ?
Je ne crois pas que les juges de la Cour Suprême puissent ne pas prendre en considération ce que 18 juristes de renommée internationale, dont faisait partie feu Rajsoomer Lallah, ont écrit.
Au niveau politique, avec le MMM d’accord pour le maintien du Best Loser System à 50%, le MSM qui refuse que l’on y touche, et le PTr qui ne s’est pas encore prononcé, nous sommes encore bien loin du changement espéré.
Le combat est politique et notre action a eu une triple dimension : une de désobéissance, une juridique, et une dernière politique. Cette action visait à créer les conditions pour une réforme électorale prenant en compte les différentes sensibilités et courants politiques. Nous avons réussi à lancer le débat et on a entendu, entre autres, des propositions de certains partis. C’est aux Mauriciens maintenant de leur poser des questions sur ces propositions, de leur demander de s’expliquer sur leurs contradictions. La rapidité dans cette affaire qui concerne tous les Mauriciens dépend des citoyens, des forces sociales qui doivent se faire entendre.
Croyez-vous que cette question intéresse réellement le citoyen mauricien ?
Je crois qu’une majorité de citoyens mauriciens en a assez du système actuel, dans lequel ils se retrouvent plongés malgré eux à chaque campagne électorale. Notre action, je vous le répète, vise à débloquer le verrou qui empêche l’émergence d’un nouveau mouvement d’émancipation et de transformation sociale. Nous souhaitons pouvoir faire sauter le verrou et pousser vers une réforme électorale qui mettrait fin à la bipolarisation et laisserait émerger d’autres courants politiques.
Pourtant, même Ram Seegobin, de Lalit, ne semble être tout à fait d’accord avec votre action et son résultat.
Pendant sept années, Lalit n’a pas été d’accord avec notre action et nous n’avons jamais répondu à ses critiques et ses attaques. Nous laissons le soin à ceux qui suivent notre action de se faire leur propre opinion.
D’autres se demandent si au lieu de le faire tomber, votre action ne va pas finir par consolider le système électoral communaliste…
Tout va dépendre de la manière dont Maurice va répondre à la question posée par le Comité des Droits de l’Homme des Nations unies. La question est la suivante : Maurice va-t-elle reconsidérer la question. Si la réponse est non, la possibilité de revenir à la case départ existe. Mais la responsabilité historique de cette réponse et de ce retour à la case départ repose sur les politiques qui siègent au Parlement. Nous avons fait ce que nous pouvions, dans la limite de nos moyens. Aux politiques d’assumer leurs responsabilités devant le pays et l’Histoire. Il est totalement injuste de dire que notre action va recommunaliser le système et, d’ailleurs, personne ne peut y croire. À moins d’avoir un agenda rétrograde ou mesquin.
On dirait que l’on est train de reprocher à Rezistans ek Alternativ d’avoir ouvert une porte qu’on croyait fermée à jamais…
L’un des principaux critiques de notre mouvement et de son action est le leader du MMM. Non seulement critique-t-il, mais va jusqu’à insulter également les jeunes en disant que ces derniers ne connaissent pas l’Histoire de leur pays. Cette attitude arrogante, que les jeunes n’acceptent pas, est d’autant plus étrange que Bérenger est en train de faire subir à notre mouvement ce que lui-même et les jeunes avaient dû endurer dans les années 1970, de la part de l’ancienne génération politique. Tout ceci est la confirmation que le MMM est devenu une force politique traditionnelle, assez arrogante vis-à-vis des jeunes. Les jeunes ont appris l’histoire qui était enseignée dans le système éducatif, avec les moyens dont ils disposaient, et que les politiciens n’ont pas changée. Les jeunes ne sont pas contents de cette arrogance et l’ont fait savoir dans leurs réponses sur les réseaux sociaux et dans les journaux.
Si Rezistans ek Alternativ est la continuité des mouvements de 1936 et des années 1960, vous pourriez être le Paul Bérenger des années 2010 ?
Non merci. Quand le MMM est né à la fin des années 1960, il a dû tirer un certain nombre de leçons de ce qui était arrivé vers 1936. Nous avons tiré beaucoup de leçons de ce qui s’est passé pendant les années 1970 et après, et nous ne souhaitons pas, surtout pas, les reproduire. Nous avons retenu de ces années la nécessité de la critique. Nous les acceptons, mais pas quand Bérenger nous attaque comme il le fait.
Paul Bérenger serait-il le principal adversaire de Rézistans ek Alternativ ?
C’est lui qui a déclenché les hostilités, pas nous. C’est lui qui a fait une émission de radio pour éclaircir sa position et attaquer Rezistans ek Alternativ.
On peut aussi interpréter ses attaques comme une preuve de votre existence sur le champ politique.
Il est clair que l’activité de Rezistans ek Alternativ sur le terrain anti-communal et le syndicalisme vient gêner le MMM sur deux de ses anciens territoires socio-politiques.
Plus ça va, plus je trouve que vous pourriez être le Bérenger des années 2010 : vous avez le bagage idéologique, un peu plus à gauche, une pratique politique, et vous êtes en train de ratisser sur ses terrains et de reprendre ses thèmes de prédilection.
J’ai fait partie de la mouvance MMM et Bérenger a incarné tellement d’espoir à une certaine époque. Mais aujourd’hui, il faut remettre en question son style et ses pratiques et je suis content d’être ce que je suis. Il n’est pas question de reproduire une copie du lider maximo.
N’avez-vous rien à dire sur Navin Ramgoolam par rapport à la recommandation du Comité des Droits de L’Homme des Nations unies ?
Non, dans la mesure où il n’a pas encore exprimé sa position. C’est, par contre, ce qu’ont fait Shakeel Mohamed et Arvin Boolell en prenant une position rétrograde. Nous attendons que Ramgoolam fasse connaître sa position.
Que va faire Rezistans ek Alternativ pendant les 180 jours accordés à Maurice pour faire connaître sa position ?
La responsabilité est désormais entre les mains des politiciens. Nous avons fait notre part de travail, mais c’est désormais au Premier ministre d’assumer ses responsabilités. Surtout que le MMM a donné sa position, que nous considérons rétrograde, tout comme celle du MSM. La balle est désormais dans le camp de Navin Ramgoolam, qui est le chef du gouvernement et contrôle donc la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale. C’est à lui de proposer un projet de loi sur la réforme…
… mais à chaque fois qu’il est sur le point de contracter une alliance politique, Navin Ramgoolam annonce qu’il va proposer un projet de loi sur la réforme.
C’est peut être ça le grand problème : la question de la réforme électorale fait partie du jeu des alliances politiques. Nous demandons à tous les partis politiques de séparer les deux questions. La réforme électorale touche à la démocratie, à la vie du pays et à son avenir. Les alliances électorales ne concernent que la survie politique des partis. Mais quoi qu’il en soit, et quoi que l’on puisse dire, l’action de Rezistans ek Alternativ oblige les partis politiques à prendre position sur un sujet fondamental pour notre pays.
Êtes-vous fier d’avoir réussi cela ?
Nous sommes fiers, certes, mais nous restons humbles. Nous sommes en train de toucher à un fondement de la Constitution. Cette action s’insère dans un projet politique menant à l’émergence d’une nouvelle république pour plus de démocratie, de participation des citoyens, de respect des droits économiques et sociaux contre le discrimination, avec une révision du fonctionnement de l’économie et l’inclusion de nouvelles données comme l’écologie et la protection de l’environnement. Allons-nous réussir ce projet de gauche, anti-communal et écologique – éco-socialiste – ou non, c’est le temps qui le dira.

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