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AFFAIRES IMPLIQUANT LES PROCHES DU GOUVERNEMENT : Ces témoins gênants qui dérangent l’État

Hormis le fait que la série d’interrogatoires et d’inculpations provisoires — médiatisées —, qui se tiennent depuis quelques temps aux Casernes centrales relèvent d’enquêtes policières initiées après des dénonciations officielles par des présumées victimes, il y a un élément qui n’a échappé à quiconque observant de près l’actualité : ceux qui ont, d’une manière ou d’une autre, dénoncé ceux qu’ils accusent d’abus, de complot, d’entrave à la loi… ont atterri en cour après avoir été inculpés, au même titre que les présumés accusés, par la police ! Pendant que Rama Valayden s’insurge contre la « persécution » dont il se dit victime, parce qu’il a trop dit sur certains dossiers, le PMSD, partenaire du gouvernement, l’opposition au Parlement et d’autres voix, réclament justice pour le juge Eddy Balancy. Ce dernier, qui se remet d’un séjour en clinique, n’a pas caché sa déception. Évincé au poste de Senior Puisne Judge, Eddy Balancy est connu pour son franc parler et n’a pas hésité à prendre position sur le Criminal Appeal Amendment Bill, entre autres… Au final, les citoyens à qui leurs dirigeants ont vainement demandé de faire confiance aux institutions du pays sont plus perplexes que rassurés.
Faire confiance au judiciaire. Croire dans nos institutions. Laisser la police mener ses enquêtes en toute indépendance… Pendant des mois, les membres du gouvernement, qui commentaient les grands faits-divers impliquant directement ou indirectement un des leurs ou des proches du parti au pouvoir, n’ont cessé de réitérer leur foi dans les différents systèmes du pays qui ont pour mission première de protéger les droits, la sécurité et les intérêts des citoyens. Mais, au fil des jours, les événements aux Casernes centrales attiseraient plutôt le scepticisme des citoyens. Lorsque, dans le sillage du VarmaGate, Mario Jeannot, le père de Florent, 19 ans, qui a porté plainte contre lex-Attorney General Yatin Varma pour coups et blessures, traduit en cour après avoir été arrêté, est relâché sans avoir à payer de caution comme l’exige la procédure légale, cette situation laisse perplexe ! Le défilé des membres de la famille Jeannot aux Casernes Centrales a continué la semaine dernière, avec l’aîné des fils, accusé de complot. Ce dernier a même été prié par la police de soumettre ses empreintes digitales, chose à laquelle il s’est refusé.
Si au cours de la même semaine Narrain Chedumbrum, instructeur au MITD dénoncé dans un premier temps auprès de sa hiérarchie pour avoir eu des relations sexuelles avec une de ses élèves, mineure, a été arrêté par la Central Investigation Division, son arrestation survient quelques mois après l’inculpation (qui a pris de court plus d’un) de la psychologue Pascale Bodet et l’ex-instructrice Sudha Singh pour complot. Il est reproché à cette dernière d’avoir référé l’adolescente à sa collègue psychologue, laquelle après avoir rencontré l’étudiante a rédigé un rapport à cet effet.
Puis, la « bonne nouvelle » est tombée pour la Réunionnaise Catherine Boudet. Elle ne sera pas déportée du pays. Qui voulait se « débarrasser » de la jeune femme, ancienne journaliste sur le territoire mauricien ? Officiellement, personne ! Personne n’en voulait à celle qui avait accusé un ancien consultant d’origine française, de la Commission Justice et Vérité, de plagiat. Poursuivie pour diffamation, les charges contre elle ont été récemment rayés. Une victoire pour Catherine Boudet, qui était privée de son passeport et de son permis de travail le temps qu’a duré l’affaire. Mais, au lieu de lui remettre ses documents, le Passport and Immigration Office devait sommer la jeune femme de quitter quasi illico le territoire mauricien parce qu’elle serait en situation irrégulière.
Persécution
Ces affaires controversées ont soulevé tant d’interrogations sur la surprenante position attribuée aux présumées victimes, sans compter l’acharnement et la pression sur elles, après qu’elles aient dénoncé des membres voire des proches du gouvernement. Rama Valayden, inculpé également pour entrave à la justice dans le scandale GamblingGate, évoque la thèse de la vengeance. Dans son cas, il estime être « persécuté » par la police et il payerait le prix fort de ses déclarations sur les manquements de celle-ci dans l’enquête sur l’assassinat de l’Irlandaise Michaela Harte et ses prises de positions fermes sur d’autres sujets brûlants de l’actualité, dont la nouvelle carte d’identité biométrique. Rama Valayden est convaincu que la police agirait selon des instructions qui viennent « d’en haut. » De son côté, Mario Jeannot confie avoir depuis « perdu confiance dans la police et dans tous les systèmes du pays. » Lesquels, affirme-t-il, amer, « sont pourris. » Pour sa part, Catherine Boudet relève « un dysfonctionnement » dans le système en place. Et qui dit « système » dit aussi judiciaire…
Un franc parler cher payé ?
La non-nomination du juge Eddy Balancy — numéro trois de la Cour suprême — au poste de Senior Puisne Judge en l’absence de l’actuel titulaire, le juge Keshoe Parsad Matadeen, est venue compléter le sentiment d’incompréhension qui a pu prévaloir ces derniers temps. Cette affaire a choqué l’opinion. Mais divisé celle de la classe politique. Le PMSD, partenaire du PTr au gouvernement, parle de « ti malaise » et plaide pour le respect de la hiérarchie dans le judiciaire. Le parti fait même appel à « la sagesse du judiciaire pour continuer à respecter les procédures ! » Connu pour son franc parler, le principal intéressé est resté plutôt discret à ce sujet. Néanmoins, il a levé le voile sur son état d’âme sur les ondes de deux radios privées. Il s’est dit « peiné » et « déçu. »
Rappelons que c’est le juge Balancy, qui a remplacé le juge Bushan Domah pour entendre le procès intenté aux groupes de presse La Sentinelle Ltd et Le Mauricien Ltd par l’activiste du PTr Nandanee Soornack. En février dernier, le juge Eddy Balancy a levé le gagging order émis par le juge Domah. Puis, à plusieurs reprises, le juge Balancy s’est exprimé sur des topiques, le fonctionnement du judiciaire, le rôle du secrétaire de juge, peu après l’éclatement du GamblingGate, le Criminal Appeal Amendment Bill… qui ont dominé l’actualité. A-t-il trop dit ?
La Fédération des syndicats du service civil, qui a tenu à rendre publique son soutien à Eddy Balancy, est d’avis que « celui qui est connu pour son ouverture d’esprit et son objectivité s’est toujours exprimé en tant que citoyen, exerçant son droit à l’expression dans un pays démocratique ! » Et de ce fait, dit-elle, à travers son président, Narendranath Gopee, « pour éviter la perception de discrimination envers le juge Eddy Balancy et au nom de la transparence, le chef juge se doit d’expliquer la non-nomination du numéro trois du judiciaire. »
Au PTr, le parti du Premier ministre qui a pour habitude ces derniers temps de défendre « les victimes de lynchage » dans ses conférences de presse hebdomadaires, a préféré rester loin de l’évincement d’Eddy Balancy. Dans le cas Balancy, l’argument du PTr est simple : « Il ne faut pas mêler la politique et le judiciaire. » Pourtant, les rouges n’avaient pas hésité à hausser le ton pour décrier « l’injustice » subie par deux « victimes de deux groupes de presse et de l’opposition », en l’occurrence Nandanee Soornack et la famille Sungkur. Quant au Premier ministre, c’est dans l’hémicycle qu’il s’est prononcé sur cette affaire, en répondant à une Private Notice Question de l’opposition. Navin Ramgoolam a défendu l’indépendance du judiciaire et déclaré que la séniorité n’est pas le critère absolu pour les nominations.
« No fear to go and report cases », disait le PM
Les citoyens témoins d’une affaire se doivent « de faire confiance à nos institutions, d’autant que plusieurs proches du PTr ont déjà fait l’objet d’enquêtes policières », déclarait Patrick Assirvaden, président du PTr, en mai dernier en commentant l’affaire Varma/Jeannot peu après l’accident entre l’ex-Attorney General et le jeune étudiant. Une semaine avant cette déclaration, Florent Jeannot avait consigné une déposition contre Yatin Varma, alors toujours en poste comme Attorney General, pour agression physique suite à un accident impliquant la voiture respective des deux protagonistes. On connaît le reste : la contre-attaque de Varma, les interventions de Maurice Allet et du député Reza Issack, les tentatives de négociations entre Yatin Varma et les Jeannot, les révélations, l’inculpation de Varma et de Mario Jeannot…
Cette affaire, toujours entre les mains de la justice, est suivie avec un très grand intérêt par le public. Pour cause, la Varmagate est la preuve même que n’importe quel citoyen de la République peut se retrouver dans une situation où il est confronté à quelqu’un d’important, occupant une fonction au plus haut sommet de l’État. D’ailleurs, l’hésitation des témoins oculaires, le jour de l’accident, à déposer en faveur du jeune Florent Jeannot attestait de la sensibilité de cette affaire. Prendre position, de manière officielle, pour un citoyen contre un représentant du gouvernement est un risque qui peut être cher payé. Ce n’est un secret pour personne que même des fonctionnaires, voire leurs proches, subissent des représailles lorsqu’ils mettent en pratique leur respect pour l’éthique qui les guide dans l’accomplissement de leur devoir.
Mais pour le PTr, parti au pouvoir et parti auquel appartient Yatin Varma, les témoins n’ont aucune raison d’avoir peur. Même le Premier ministre réitérait au Parlement, à propos des témoins dans l’affaire Varma/Jeannot, que : « There should be no fear to go and report cases. » Sans doute convaincus et rassurés, des témoins ont été rapporter ce qu’ils avaient vu le samedi 5 mai à Sodnac. Des intimidations suivant leur démarche, il y en a eu… Comme d’ailleurs pour toutes les affaires qui ont été récemment entendues par la police et scandalisé l’opinion publique, parce qu’en révélant des dessous peu orthodoxes, les whistleblowers et autres présumées victimes ont fini par endosser le mauvais rôle. Mais, malgré le tourbillon infernal dans lequel les Jeannot, Sudha Singh ou encore Catherine Boudet se sont retrouvés, ils affirment tous ne pas regretter leur action respective. « Et ce n’est pas encore fini… « , confie Sudha Singh.

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