Depuis ces dix dernières années, le mot « Smart City » a fait son entrée dans notre vocabulaire quotidien. Récemment, un nouveau projet de Smart City, à Roches Noires, a rouvert le débat sur l’utilité de tels développements fonciers sur une île comme la nôtre. En 2015, de nombreux collectifs citoyens, dont Lalit, avaient élevé la voix pour dire « stop ! » à la « smartification » des villes. Aujourd’hui, deux ans après la pandémie, de telles interrogations sont d’autant plus pertinentes. Nous revenons cette semaine sur les grands projets de Smart Cities à Maurice et sur la nouvelle définition que les conglomérats locaux leur donnent, favorisant, semble-t-il, un développement durable vert. Après tout, s’il y a bien une leçon à tirer de la pandémie, c’est que le monde a besoin de nouveaux poumons.
Week-End était durant la semaine à Beau Champ pour découvrir les contours de la nouvelle Smart City d’Anahita, en gestation depuis près de trois ans. Et grande fut notre surprise… en découvrant non pas un Ébène bis, mais un village — de luxe, certes — intégré à la région de l’est. Ainsi, des 118 hectares que compte exploiter Anahita pour construire ce village annexé au village de Beau Champ, quelques dizaines d’hectares seront consacrés à des espaces verts de détente et publics, qui plus est ! Par ailleurs, au lieu de tout déraciner, une pépinière a été mise en place, pour au contraire, reboiser le site, avec des plants endémiques, mais aussi des fruits d’antan, comme le carambole et le cœur de bœuf, entre autres. Un point positif.
En effet, selon un rapport des Nations Unies, d’ici 2050, les deux tiers de la population mondiale migreront dans les zones urbaines. Ce qui pourrait expliquer la tendance mondiale de vouloir repenser les villes de manière intelligente et, en contrepartie, de tenter de revaloriser les zones rurales, les rendant plus attrayantes pour les potentiels investisseurs. Nous pensons, parmi, les professionnels en quête de quiétude et les touristes seniors. La silver tourism, étant, en passant, un marché en pleine expansion. Bref, un peu comme ce que propose Beau Champ, pour n’en citer qu’un parmi tant d’autres. Par ailleurs, le Smart City Scheme indique noir sur blanc que « the Smart Cities, revolving around the work, live and play concept, are large-scale mixed-use developments in cosmopolitan conurbations with smart technology and pioneering innovation at their core. » Le « mixed-use » et le développement vert sont les deux éléments qui deviennent ainsi de plus en plus centraux pour les développements futurs.
Parc naturel à Roches Noires
C’est d’ailleurs un peu dans cette direction que compte aller le Collectif mauricien pour Roches Noires. Il y a deux semaines, le collectif composé pour l’heure des Groupes Eclosia, IBL, Currimjee, Scott et d’autres communiquait son souhait de créer un parc naturel pour préserver ce site écologique fragile tout en favorisant la mise sur pied de « projets d’économie verte et bleue ». Et ce, afin de développer la région. Une proposition qui semble avoir fait écho auprès des habitants et des collectifs citoyens engagés dans la protection de l’environnement, qui ont pour la grande majorité affiché une satisfaction. Évidemment, rien n’est encore joué et la balle est encore dans le camp des autorités, qui devront trancher soit en faveur d’un projet foncier en béton, soit un parc naturel « pérenne et ouvert » à tous.
Pour rappel, le Grand Argentier avait lui-même répondu dans une question parlementaire de la députée Joanna Bérenger, en début d’année, que « nous, nous allons demander à l’Economic Development Board si c’est le cas réellement. Si c’est réellement le cas, on ne fera pas de projet sur cet endroit » concernant la crédibilité des premiers promoteurs français pour la Smart City de Roches Noires…
L’État comme garde-fou
Bref, lors de notre visite à Beau Champ, c’est une tout autre image de la Smart City que l’on a découverte, un peu à l’image de Moka, qui s’est transformé en l’espace de quelques années, mêlant tradition, modernité et arts. « Il est vrai que cela fait tiquer lorsque l’on entend Smart City, mais ce que c’est réellement, c’est uniquement un cadre légal », expliquait David Martial, CEO du pôle immobilier d’Alteo et d’Anahita lors de notre visite, avouant que ce terme, qui est devenu au fil des années assez péjoratif, est un comme un cheveu sur la soupe. Par ailleurs, il précise que le but n’est pas de cloisonner le village, mais de l’intégrer au paysage rustique de Beau Champ. « Nous contribuons beaucoup au développement de cette partie de l’est et c’est tant mieux », dit David Martial.
De plus, les terrains utilisés pour la construction des lots résidentiels sont essentiellement des anciens champs de canne… inutilisables et inexploitables, selon le promoteur. À cet effet, le Smart City Scheme serait avant tout un projet-cadre d’urbanisation définissant les paramètres pour tout développement foncier. Encore faudrait-il que les investisseurs sachent en faire bon escient, tout en prenant en compte la topographie du site et que les autorités veillent qu’aucun abus ne soit commis sur le territoire mauricien et sous l’œil de l’État mauricien, qui reste signataire de nombre de conventions pour la protection de l’environnement et de zones sensibles environnementales…
La voix des habitants
et des écocitoyens
C’est aussi, un peu le nerf de la guerre, lorsqu’un énième projet de Smart City est évoqué, avec d’une part les promoteurs qui sont là pour vendre un produit et d’autre part les écocitoyens qui s’inquiètent de la surexploitation des ressources naturelles du pays. « Nous ne sommes pas contre le développement ! » martèlent les nombreux collectifs citoyens, « mais pour un développement durable, réfléchi, qui s’accorde avec l’environnement du site. » À Maurice, c’est essentiellement l’Economic Development Board, entité paraétatique qui se charge, depuis 2015, de revoir les demandes d’application d’investisseurs mauriciens et étrangers pour ce type de développement.
Par ailleurs, pour en revenir à notre visite d’Anahita Beau Champ, les promoteurs ont ainsi pris l’engagement de laisser intactes toutes les zones environnementales sensibles, dont la vallée, les wetlands, le rivulet et le bassin de camarons présents sur le site. Idem pour l’usine sucrière de Deep River Beau Champ, qui sera restauré et reconverti — tout en gardant au maximum les structures existantes — en espace bureaux et autres. Si les promesses sont bien tenues, nous pourrons pousser un ouf de soulagement.
Sur le site de l’EDB, l’on compte 13 projets ayant déjà leur Smart City Certificate en main, notamment Mon Trésor Smart City ltd, Cap Tamarin Ltée, Uniciti Ltd, Moka City ltd, Mauritius Jinfei Economic Trade and Cooperation Zone Co. Ltd, Beau Plan Development Ltd, Mont Choisy Smart City Ltd, Hermes Properties Ltd, Yihai Investment Ltd, Royal Saint Louis Development ltd, New Montebello Development Ltd, Côte D’Or Data Technology Park Ltd et le Saint Felix Smart City Ltd. Affaire à suivre…