« Lorgey mari bate kan trouv nasion roul loto », (Polico Crapo, Armada 666, 2022). « Lorgey, aret met lorgey », (Lorgey, Roots Blakarol, 2021). « Pis ar bann zalou, bann lorgey », (Mari Latoile, Donovan, 2022). « Boukou lorgey pe bate kan tann dir Yanky inn revini », (Ratatata, Yanky, 2022). « Gopia fini vinn bobok, met lorgey ar kamwad », (Millionaire, Tii Raffa, 2023).
De nombreux artistes et formations de la Newschool 2.0. – entre autres groupes – usent du mot « lorgey »… à outrance. Nous le retrouvons ainsi sous diverses formes, des fois à de multiples reprises dans un même tube.
A l’instar de Foss Ti Garson. « Boukou lorgey zalou mwa », chante Zantakwan, avant que le terme ne soit repris par Tii Raffa : « So lorgey pe bate depi mo pe sante ». Pour après avoir comme refrain : « Enn bann fos ti garson, zot lorgey ar pwa, ar tonn, ar lour, ar kilomet (…) Bann fos ti garson, pe mari met lorgey ».
Et enfin être repris par le doyen Don Panik : « N’oublie pas, si l’orgueil (est) au commande, la jalousie qui fait sa demande, c’est la vanité avec sa bande, panik burn dem avec le gang ».
Ainsi, « lorgey » se décline sous différentes expressions, entre « met lorgey », « lorgey bate », « lorgey for »…
Toutefois, en remontant à l’origine de ce mot, il semble que sa signification – et son utilisation – a évolué avec le temps.
« Français, je konn ».
Dans le Diksioner Morisien, « lorgey » a comme définition une « apresiasion eksesif ouswa santiman fierte ki enn dimounn ena lor limem ». Il y est également indiqué que « lorgey » se rapporte au mot français « orgueil ».
Le dictionnaire Le Petit Robert le décrit comme une « opinion très avantageuse qu’une personne a de sa propre valeur aux dépens de la considération due à autrui ».
Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales définit « l’orgueil » comme une « présomption, estime exagérée, (un) amour excessif de soi-même, qui fait que l’on est persuadé de sa propre excellence, que l’on se juge supérieur aux autres ».
Quelqu’un d’orgueilleux « manifeste de l’orgueil, de la prétention », en ayant une « estime excessive de sa propre valeur », soutient le dictionnaire Larousse.
Pour résumer, l’orgueil, c’est être hautement – voire outrageusement – fier de sa personne.
Ces synonymes sont, entre autres, « outrecuidance », « arrogance », « vanité », « fierté », « suffisance ».
Dès lors, l’expression « to lorgey for » indique qu’un individu a une très haute estime de lui-même, une fierté excessive de sa personne. Il s’agit peut-être même de l’arrogance.
Qu’en est-il du coup de « met lorgey ar dimounn »? Car, si l’on se fie à la définition française de « l’orgueil », ladite formule n’a aucun sens.
« Met lorgey ar dimounn » signifierait de porter la très haute estime de soi-même sur quelqu’un d’autre… Compris?
Du coup, est-ce une utilisation erronée de « lorgey »?
Libérer, délibérer…?!
Pour répondre à cette question, l’anthropologue Daniella Bastien revient sur le tube Vanité de Natty Jah et un couplet en particulier : « Si tou zom ti ena lafwa, nou ti pou delibere ».
L’emploi ici du mot « delibere » (à quatre syllabes) est retenu pour coïncider avec le temps de la mélodie, à la place de « delivre » (trois syllabes).
Alors qu’en vérité, le chanteur veut dire que l’homme serait libéré (delivre) s’il avait la foi. Vu que délibérer signifie « réfléchir sur une décision à prendre ».
Dans de nombreux cas, « lorgey » est retenu à la place de « pe met lizie ar kikenn » ou « zalou kikenn », détermine l’anthropologue.
Bien que « c’est une mauvaise utilisation du mot ‘orgueil’, on voit comment à travers des textes de chansons, il y a de nouveaux référents. Des significations et des mots changent », relève Daniella Bastien.
« Je prends le postulat du chercheur. Je ne dis pas que ce qui se passe est bon ou pas, je prends simplement note (des faits). Mo trouv sa enn zafer extra inportan dan prosesis standardizasion langaz kreol », souligne-t-elle.
Daniella Bastien affirme que ce procédé est largement favorisé par « des textes de musique ». D’ajouter : « Zordi, si mo demann enn zenn ki ete enn royos, li pou dir mwa enn zenes ki koz langaz street, ki ena ledan platinn, etc. Me demann enn dimounn 50 an ki ete enn royos. Li pou dir ki se enn droge ».
Malgré tout, des puristes ou bien-pensants soutiennent que « lorgey » est, en ces temps, mal utilisé.
A ceux-là, on ne peut que leur répondre : « Aret met lorgey! »