Jeunes : qu’arrive-t-il à votre cerveau à 25 ans ?

Avis aux jeunes de 25 ans, cet article est pour vous. Pour bien commencer 2023, nous vous proposons de découvrir… votre cerveau. Dans un article publié sur le site Slate.fr, des chercheurs en neurosciences essaient de comprendre le fonctionnement du jeune cerveau, à mi-chemin entre l’adolescence et l’âge adulte, via l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Nous vous en proposons quelques extraits. Bonne lecture.

Qu’arrive-t-il à votre cerveau à 25 ans ? Et pourquoi tant de gens sont-ils convaincus qu’un changement profond se produit à cet âge précis ? Les deux dernières décennies de recherche en neurosciences fournissent quelques indices. Les avancées spectaculaires réalisées dans l’étude du cerveau et quelques découvertes intrigantes semblent être à l’origine d’une idée puissante mais pas nécessairement étayée par les faits. La véritable réponse à ces questions est, peut-être, à chercher dans l’avènement d’une culture qui peine à démêler ce que la science peut (et ne peut pas) nous dire sur nous-mêmes.

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Il y a une trentaine d’années, une nouvelle technique d’imagerie cérébrale a révolutionné les neurosciences. Cette technologie est issue de l’IRM, plus connue, qui est utilisée en médecine pour créer une image statique des organes, des tissus et des os – par exemple, vous pouvez passer une IRM si vous vous êtes fracturé le genou, ou pour examiner de plus près une tumeur.

En 1991, des scientifiques ont mis au point une nouvelle technique utilisant ces imposantes machines cylindriques pour mesurer les modifications du flux sanguin, qu’ils ont appelée imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, ou IRMf. Si les IRM étaient des photos de l’intérieur de votre corps, les IRMf sont comme des vidéos. Au cours des années qui ont suivi, les scientifiques ont perfectionné la technique, ouvrant ainsi un nouvel horizon aux neurosciences : la possibilité d’observer le cerveau pendant que les gens pensent.

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L’avènement de l’IRMf a indéniablement été une aubaine pour la compréhension du fonctionnement interne du cerveau, et le public s’est passionné pour ses applications. Les neurosciences ont validé certaines de nos intuitions : le fait, par exemple, que notre esprit traite la douleur émotionnelle de la même manière que la douleur physique, que nous avons tous une réaction instinctive aux visages de personnes d’une autre ethnie, ou que notre cerveau réagit lorsque nous regardons une personne que nous aimons. Grâce à ces nouveaux outils d’imagerie, nous pourrions avoir une meilleure compréhension de nous-mêmes et de notre évolution tout au long de la vie. Ceci a, par ailleurs, amené les chercheurs à s’intéresser à un problème spécifique : pourquoi les adolescents semblent-ils particulièrement enclins à prendre de mauvaises décisions ?

Rien de magique

L’essentiel des recherches concernant les adolescents a consisté à visualiser la structure du cerveau en prenant des images détaillées de celui-ci, puis à étudier son fonctionnement en enregistrant l’activité cérébrale en temps réel pendant que les personnes étaient soumises à des stimuli visuels ou auditifs. Sur le plan structurel, les chercheurs ont découvert que durant la croissance, le cortex préfrontal – une zone du cerveau responsable du contrôle cognitif – subissait des changements physiques. En particulier, ils ont constaté que la matière blanche – les faisceaux de fibres nerveuses qui facilitent la communication entre les zones du cerveau – augmente, ce qui suggère une plus grande capacité d’apprentissage. Ces changements se poursuivent jusqu’à l’âge de 20 ans. Les chercheurs ont également trouvé des indices importants sur le fonctionnement du cerveau. Une étude de 2016 a, par exemple, révélé que, face à une émotion négative, les jeunes de 18 à 21 ans avaient une activité cérébrale dans les cortex préfrontaux qui ressemblait davantage à celle de jeunes adolescents qu’à celle de personnes de plus de 21 ans.

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Alexandra Cohen, autrice principale de cette étude et aujourd’hui chercheuse en neurosciences à l’université Emory, a déclaré que, selon les scientifiques, le développement du cerveau se poursuit jusqu’à la vingtaine. Cependant, écrivait-elle dans un mail, « Je ne pense pas qu’un phénomène magique se produise à 25 ans. » Il semble pourtant que ce soit une conviction répandue. Tel est l’effet de grossissement de la pop culture : lorsque les gens font référence aux conclusions des travaux de Cohen et d’autres chercheurs, la nuance se perd. Par exemple, pour donner un air de crédibilité à sa théorie sur DiCaprio, YourTango extrait un passage d’une tribune publiée en 2012 dans le New York Times, signée par le psychologue Larry Steinberg : « On observe encore des changements significatifs dans l’anatomie et l’activité cérébrales chez les jeunes adultes, en particulier dans les régions préfrontales qui sont importantes pour la planification, l’anticipation des conséquences futures des décisions, le contrôle des impulsions et la confrontation des risques et des récompenses », écrit-il.

Pour certaines personnes, les changements dans le cortex préfrontal pourraient vraiment plafonner autour de 25 ans, mais pas pour tout le monde. Steinberg est un grand spécialiste du développement de l’adolescent, bien connu pour ses 40 ans de recherche sur les adolescents et les jeunes adultes. Sur cette fixation sur le nombre 25, et il a répondu à peu près la même chose que Cohen : les neuroscientifiques s’accordent à dire que le développement du cerveau se poursuit jusqu’à la vingtaine, mais il n’existe pas de consensus sur un âge spécifique qui définirait la frontière entre l’adolescence et l’âge adulte. « Honnêtement, je ne sais pas pourquoi les gens ont choisi 25 », a-t-il ajouté. « C’est un chiffre qui sonne bien ? C’est divisible par cinq ? »

Pas d’idée claire de la maturité

Kate Mills, spécialiste des neurosciences du développement à l’université de l’Oregon, était également perplexe : « C’est bizarre pour moi – je ne sais pas pourquoi 25. La recherche ne nous permet pas encore de dire que le cerveau est mature à 25 ans, car nous n’avons pas encore une idée claire de la maturité. » La maturité est un concept glissant, surtout dans les neurosciences. Une banane peut être mûre ou non, mais on ne dispose pas d’un critère unique pour déterminer la maturité d’un cerveau. Dans de nombreuses études, cependant, les neuroscientifiques la définissent comme le moment où les changements dans le cerveau se stabilisent.

C’est ce critère que les chercheurs ont pris en compte pour déterminer que le cortex préfrontal continue de se développer jusqu’au milieu de la vingtaine. Cela signifie que pour certaines personnes, les changements dans le cortex préfrontal pourraient vraiment plafonner autour de 25 ans, mais pas pour tout le monde. Le cortex préfrontal n’est, en outre, qu’une zone du cerveau ; les chercheurs se sont concentrés sur elle parce qu’elle joue un rôle majeur dans la coordination de la « pensée supérieure », mais d’autres parties du cerveau entrent également en jeu dans un comportement aussi complexe que la prise de décision. Le lobe temporal aide à traiter le discours et le langage des autres, afin de comprendre la situation, tandis que le lobe occipital rend attentif aux indices sociaux. En définitive, c’est à nous de définir le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Selon un article paru en 2016 dans Neuron et rédigé par Leah Somerville, psychologue à Harvard, la structure de ces zones du cerveau ainsi que d’autres évolue (en se développant ou régressant) à des rythmes différents tout au long de la vie ; en fait, les changements structurels du cerveau se poursuivent bien au-delà de la vingtaine. « Une étude d’envergure a montré que pour plusieurs régions du cerveau, les courbes de croissance structurelle n’avaient pas atteint un plateau, même à l’âge de 30 ans, l’âge le plus avancé de l’échantillon considéré », écrit-elle. « D’autres travaux axés sur les mesures structurelles du cerveau à l’âge adulte montrent des changements volumétriques progressifs entre 15 et 90 ans qui ne se ‘stabilisent’ jamais et qui, au contraire, évoluent constamment tout au long de la phase adulte de la vie. »

Pour compliquer encore les choses, il existe d’énormes différences entre les cerveaux. Tout comme vous pouvez arrêter de grandir à 23 ans, à 17 ans, l’âge auquel le cerveau atteint son plateau peut varier considérablement d’une personne à l’autre. Une étude portait sur des personnes âgées de 7 à 30 ans ; les chercheurs ont essayé de prédire « l’âge de leur cerveau » en cartographiant les connexions cérébrales de chacun. Leurs prédictions d’âge se sont avérées valables pour environ 55% des participants, mais pas la totalité, loin s’en faut.

« Certains cerveaux âgés de 8 ans présentaient un ‘indice de maturation’ supérieur à celui de cerveaux âgés de 25 ans », écrit M. Somerville dans son article paru dans Neuron. Certaines de ces différences peuvent être dues à des variations génétiques aléatoires, mais le comportement et l’expérience ont également une influence. « Les expériences de l’enfance, l’épigénétique, la consommation de drogues, la génétique liée à l’anxiété, la psychose et le TDAH – tout cela aussi affecte le développement du cerveau », explique Sarah Mallard Wakefield, psychiatre médico-légale. Tout cela signifie que les cerveaux peuvent être très différents les uns des autres à 25 ans. Si nous laissons aux neurosciences le soin de définir la maturité, la réponse est tout sauf claire. Le concept d’âge adulte existe depuis bien plus longtemps que les neurosciences. En définitive, c’est à nous de définir le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

On se marie aujourd’hui autour de la trentaine, voire pas du tout

On ne s’étonnera pas que la popularité de cette assertion (« le cerveau atteint sa maturité à 25 ans ») coïncide avec une période de mutation culturelle. Depuis la publication de la première série d’études sur le développement du cerveau dans les années 2000, les États-Unis ont connu deux récessions et ont vu évoluer la manière dont les jeunes abordent les étapes traditionnelles de « l’âge adulte ». Alors qu’en 1950, les gens se mariaient au début de la vingtaine, ils se marient aujourd’hui autour de la trentaine, voire pas du tout.

L’université, désormais fortement liée à la mobilité économique, est plus chère que jamais ; les étudiants sont fortement endettés lorsqu’ils obtiennent leur diplôme, alors que les salaires stagnent, ce qui rend très difficile l’accès à l’indépendance et la stabilité financières. Comme les gens passent plus de temps à l’école, se marient et se stabilisent plus tard sur le plan professionnel, ils ont aussi des enfants plus tard (s’ils en ont). Les experts ont appelé ce phénomène le « grand retard ». Dans un article paru en 2010 dans le New York Times, la journaliste Robin Marantz Henig posait la question suivante : « Pourquoi les jeunes de 20 ans mettent-ils tant de temps à grandir ? » Henig s’est appuyée sur une théorie du sociologue Jeffrey Arnett. Les modèles classiques de développement sautent de l’adolescence à l’âge adulte, mais Arnett a proposé l’ajout d’une nouvelle étape, l’entrée dans l’âge adulte. Selon Arnett, au tournant du millénaire, les 18-25 ans ne sont pas encore des adultes à part entière. Les chercheurs ont débattu la question de savoir si le phénomène est nouveau et s’il s’agit à proprement parler d’un stade de développement, étant donné que contrairement aux autres stades, il ne semble pas être un passage obligé.

De plus, contrairement aux étapes classiques telles que l’enfance ou la petite enfance, il ne s’agit pas d’un phénomène universel ; il apparaît plutôt dans les sociétés occidentales. Bien que beaucoup le vivent comme une période de doute et d’instabilité, l’entrée dans l’âge adulte reste une sorte de privilège puisque beaucoup de jeunes n’ont pas la possibilité de faire des études, ni d’explorer leurs options en termes de carrière et de mariage. En réalité, les conclusions des neurosciences sont rarement indiscutables, d’où la difficulté d’évaluer le rôle que ces études devraient jouer dans l’élaboration des politiques relatives aux droits et aux responsabilités des jeunes. Tout comme les psychologues, les neuroscientifiques doivent prendre des décisions quant à la manière de collecter et d’interpréter les données, sans disposer de certitudes. Étudier les gens, c’est compliqué. Comme l’ont écrit trois chercheurs spécialistes de la santé des adolescents dans un article publié en 2009 : « Bien qu’elles soient généralement considérées comme révélant la “vérité objective”, les techniques de neuro-imagerie comportent une part de subjectivité. »

Donc, définir ce qu’est réellement la maturité ou l’âge adulte est une tâche difficile qui nous incombe en tant que société. Le discours que nous tenons sur ces deux notions – et les preuves que nous utilisons pour l’étayer – a des conséquences sur notre comportement et sur la perception que nous avons de nous-mêmes. Il est impossible de mesurer pleinement l’effet de cette prétendue « maturité des 25 ans ».

Article complet sur https://www.slate.fr/story/237944/mythe-cerveau-25-ans-neurosciences-developpement-cognitif-leonardo-dicaprio

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