— Carina Gounden (Mru2025) : « Il faut planifier avec les scientifiques, et la connaissance précieuse des gens de la mer »
Une semaine après la présentation du budget 2024-25, les choses semblent beaucoup plus limpides. Parmi les mesures annoncées sujettes à moult controverses, l’on retiendra celle faisant état du come-back (non désiré) de l’extraction de sable, un pas de géant… en arrière, comme le remarquent les nombreux observateurs environnementaux. Une activité pourtant abolie en 2001 sous le gouvernement MMM-MSM dans une tentative désespérée de sauver nos régions côtières et nos plages d’une mort certaine… pourquoi donc déterrer cette mesure vieille d’une vingtaine d’années, dans un contexte moderne où les discours environnementaux dominent encore plus ? Nous avons fouillé dans nos archives.
Dans un passé pas très lointain, près de 800 000 tonnes de sables étaient extraites par an, sous la Removal of Sand Act de 1982. Une nouvelle industrie voit alors le jour sur la côte nord et est de l’île. Près d’un millier de travailleurs sont officiellement recensés. Toutefois, en 1992, face à la désintégration de nos plages et au boom du tourisme, la décision est évoquée pour abolir toute activité d’extraction de sable à Maurice et c’est en octobre 2001 sous l’ère MMM-MSM que l’extraction de sable est officiellement abolie à Maurice, sonnant le glas de toute une industrie composée majoritairement des habitants des régions côtières.
La Sand Extraction Act est amendée et les permis des extracteurs ne sont pas renouvelés. Si à l’époque les autorités tenaient ferme, refusant catégoriquement de revenir sur leur décision, vu ses implications sur l’environnement marin et le tourisme, ce sont les entreprises d’extraction de sable qui campaient sur leur position, dénonçant une mise à mort d’une industrie, selon eux, florissante, mais qui, selon les experts, avait des conséquences désastreuses pour l’écologie. S’ensuivront une série de manifestations, de rencontres, de contestations, de compensations pour finalement arriver au consensus.
20 ans de réhabilitation pour rien ?
20 ans après la promulgation de la loi, les fraudeurs sont réprimandés et des mesures sont prises au niveau des autorités pour essayer, tant bien que mal, d’endiguer le problème d’érosion des plages… 20 ans de travail qui partent pourtant en fumée. En effet, malgré les sérieuses mises en garde des chercheurs-scientifiques, des universitaires et autres, pourquoi donc ce changement de décision soudain, maintenant ? Depuis une semaine, les observateurs environnementaux essaient de comprendre le sens de cette décision. La semaine dernière, l’océanographe Vassen Kauppaymoothoo et la militante écologiste Adi Teelock partageaient leurs appréhensions. Cette semaine, c’est au tour de l’Organisation non gouvernementale (ONG) Mru2025.
« Arrêtons de vandaliser notre environnement ! Extraire le sable de nos lagons reviendrait à cela. Une solution court-termiste et le gouvernement n’aurait pas dû céder à cette demande. Les hôteliers doivent aussi se remettre en question sur la manière d’occuper cet espace sensible et fragile qu’est notre littoral. Il est fini le temps ou il suffisait de dire, “c’est pour le tourisme”. Que dit la science ? Qu’en pensent les habitants, ceux dont le gagne-pain dépend de la bonne santé de nos lagons ? Nous vivons à l’ère de l’urgence climatique et nos stratégies pour préparer notre littoral aux impacts à venir, doivent être à la hauteur », confie vertement Carina Gounden, de Mru2025. Elle poursuit : « Mais encore une fois, on opte pour la solution superficielle qui, en plus, risque de causer plus de dégâts à cet environnement marin souffrant. Samem devlopman dirab la sa ? Green destination ? »
Une approche interdisciplinaire
Selon elle, la protection des écosystèmes marins nécessite une compréhension approfondie et une gestion proactive des sources de perturbations. « Cela demande une approche interdisciplinaire et que les différents ministères harmonisent aussi leurs stratégies. Qui dit écosystème dit interconnexion et cela va de la crête de la montagne jusqu’aux récifs. Respecter l’interconnexion des écosystèmes est un principe majeur en matière de Gestion Intégrée de la Zone Côtière (GIZC). Tous ces lourds travaux de réhabilitations des plages déjà entrepris sont des échecs à ce jour et la majorité ont causé plus de dégradations. Il conviendrait d’abord de revenir sur toutes ces pratiques et de faire un bilan scientifique. »
Carina Gounden et tous les collectifs citoyens abondent dans le même sens et rejettent totalement cette mesure rétrograde pour l’environnement. N’a-t-on donc pas appris de nos erreurs ? « Mais l’extraction de sable pour remettre sur les plages n’est pas la solution miracle, telle qu’elle nous est présentée. Au contraire, elle est accompagnée de gros risques d’accélération de l’érosion des plages justement. L’extraction de sable sur la terre à partir des dunes a contribué directement à l’érosion de nos plages. Quant à l’extraction en mer, elle a causé plusieurs dommages environnementaux, notamment la perturbation des écosystèmes et la destruction des habitats marins entraînant une diminution de la biodiversité marine », souligne-t-elle.
Les Maldives, pas un exemple rassurant
Par ailleurs, elle explique que « nous savons aussi que l’extraction de sable en mer modifie les courants marins, ce qui a des effets imprévisibles sur les écosystèmes côtiers, notamment aggraver l’érosion côtière. Il suffit de faire une recherche pour voir le nombre de cas et d’études scientifiques sur ce problème. Il y avait de bonnes raisons pourquoi l’extraction de sable fut interdite ! Nous perdons nos plages, c’est un fait. Mais nous ne pouvons pas nous embarquer dans cette voie de manière irréfléchie. Où sont les études qui disent que c’est une approche souhaitable ? Et prendre pour exemple les Maldives, où se joue une catastrophe écologique ne nous rassure absolument pas. »
Elle soutient que continuer à modifier le bord de mer, créer de plus en plus d’environnements artificiels en mettant du béton et des rochers pour arrêter l’érosion n’est pas la solution. « Nous n’arrêterons pas la mer, par contre, nous devons impérativement remettre en question notre manière d’intervenir sur le littoral. Nous ne pouvons nous substituer au fonctionnement naturel des écosystèmes, et de ce fait nous devons rester à notre place. C’est-à-dire ne pas déstabiliser davantage ces écosystèmes, et permettre à la nature de se stabiliser », dit-elle.
Par ailleurs, Carina Gouden explique qu’ « il faut intégrer le fait qu’il faut immédiatement arrêter la bétonisation de nos côtes et ne plus permettre d’autres constructions en bord de mer, notamment sur la bande des Pas Géométriques (terres de l’État). Qu’on le veuille ou non, il faudra impérativement associer à ces plans de réhabilitation la nécessité de faire reculer certaines constructions existantes, car nous n’arrêterons pas la mer. Nous aurons beau remettre le sable, mais s’il n’y a pas suffisamment de recul lorsque la mer rentre dans les terres, le sable remis sera emporté une fois de plus. Un vrai plan de réhabilitation de notre littoral demandera une réelle bonne volonté de toutes les parties concernées. Arrêtons de faire les choses dans la précipitation. Ayons une approche scientifique et inclusive. Il faut planifier avec les scientifiques, et la connaissance précieuse des gens de mer. »