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Diversité linguistique : les langues spécifiques aux Outre-mer français

Du 20 au 22 juin 2024 s’est déroulé à Saint-Denis un séminaire sur les langues des Outre-mer français organisé par Lofis La Lang, présidé par Axel Gauvin. Il réunissait des enseignants-chercheurs et des praticiens de huit espaces de l’outre-mer sur trois océans et un sous-continent lointain : Martinique, Guadeloupe, Wallis et Futuna, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Guyane, Mayotte et La Réunion ; cet ensemble constituant un Arbre de « la glottodiversité » (Michel Launay). La synthèse des travaux a été confiée au géographe Mario Serviable. Nous donnons à lire cette synthèse de ce dernier.

Axel Gauvin pose les termes et les enjeux des débats. Ce qui nous réunit est la volonté d’analyser ensemble, en dépit des longitudes, les perspectives nouvelles pour les langues régionales de la France de partout, dans leurs relations avec la langue politique de la République – le français – après le vote de la loi du 21 mai 2021 relative à la promotion et à la protection de ces langues, dite loi Molac. Ce féklèr (terme créole de séminaire) souhaite réexaminer, à la lumière des études récentes, la dénomination de ces langues et de se pencher sur les enjeux, en termes de stratégie éducative pour les apprentissages – gouvernance instituée et moyens mobilisés – et en termes de conformité juridique dans les différents scénarii d’évolution statutaire. Il demande de faire une archéologie des savoirs sur la Langue, puis l’inventaire des situations des langues dites régionales, avant de se pencher sur les problèmes rencontrés et les perspectives. Quatre considérations sont consignées : qu’est-ce qu’une langue ? Quelles sont les fonctionnalités des langues dites régionales ou maternelles ? Comment appréhender la taxinomie des langues ? Et enfin, comment aborder les jeux d’interrelations entre les écosystèmes linguistiques.

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Qu’est-ce qu’une langue ? Elle serait objet et eau ! « Objet méticuleux » qui porte l’intelligence humaine et transporte, tout le long de la vie, l’humanité apprenante. La langue serait une eau dans laquelle baigne l’enfant – eau amniotique, conséquemment maternelle (« lang ventre-maman » guadeloupéen), conférant identité native, ou eau apocalyptique, pour les traversées dangereuses vers d’autres rives, celles de l’Autre – ce semblable dissemblable – , pour noyer dans l’onde les attributs de la nativité et renaître, ailleurs, autre. La langue est, au-delà des fantasmes de pureté archétypale qui masquent souvent des desseins inavouables, mélange interlectal avec d’autres langues, par attouchement ou par attrition, afin de prospérer. Elle a quatre éléments constitutifs : la grammaire-charpente, le vocabulaire-parement, la syntaxe-conformité et la sémantique-orientation. Elle se vérifie dans quatre compétences à jauger : comprendre, parler, lire et écrire.

Langue régionale ou langue maternelle ? Le débat a enrichi la palette onomastique ! On a proposé langue naturelle, native, première, locale, préférentielle, traditionnelle, légitime (qui serait le pendant d’illégitime ?), matricielle, patrimoniale (autour d’un monument de mots compris), véhiculaire, communautaire, identitaire, majoritaire, spécialisée et fonctionnelle, opaque, dévalorisée.

Les langues n’auraient pas le même éclat et la même puissance dans des espaces hybrides marqués par la contention coloniale et le contrôle des corps physiologiques et symboliques. À la langue du « maître » – utilisée pour la production, l’évangélisation et la scolarisation, au centre d’un exercice de domination – ont fonctionné des moyens anthropologiques de survie dans la socialisation duquotidien : des langues vernaculaires d’existence et de résistance, donnant un bilinguisme soustractif et inégal. Peut-on avoir deux langues en bouche ? La question est contournée par l’urgence du vivre-ensemble : « J’habite une langue et la seconde m’habite ». « Toutes les langues du monde intéressent tout le monde », rappelle Michel Launey. Dans la vie, la langue est porteuse de confort, de coutumes et de confusion. Il n’y a pas de correspondance automatique : chaque langue est unique pour affronter toutes les vagues polyphoniques, notamment les polynésiennes de Jacques Vernaudon ; néanmoins, développer la conscience phonologique dans une langue aide l’apprentissage dans une autre langue.

L’inventaire des langues régionales : Nuages de points et orages

L’inventaire des situations a fait apparaître trois nuages de points :

Les îles créolophones et francographes : Guadeloupe, Martinique, La Réunion. Les territoires de la profusion des langues sans l’émergence d’une langue totémique : Guyane avec ses 40 langues parlées et les 12 reconnues, dont un créole non-majoritaire, et le Pacifique de la vivacité des langues minuscules de petits territoires isolés sur un espace océanique considérable (Wallis et Futuna, Polynésie française et Kanaky-Nouvelle Calédonie) avec des situations de conflictualités. Mayotte aux deux langues traditionnelles (shimaoré et kibushi) aux deux possibles graphies – arabe et latine, idéographique et alphabétique – au croisement d’une langue continentale bantoue (kibushi) et d’une langue océane austronésienne (shimaoré).

Les trois difficultés majeures identifiées sont : Le retour des langues du territoire, longtemps minorées, dans l’espace public, à partager avec une langue prédominante, s’effectue parfois dans une relative impréparation institutionnelle ; au risque de produire une bi-littéracie médiocre sur le mode perdant/perdant. Un deuxième risque étant double : que la langue maternelle territoriale ne serve parfois de marchepied pour le français académique d’une part et que cette dernière ne dérive vers une langue trouée d’insuffisances et d’impuissances. La progression des langues du territoire est parfois confrontée au dilemme parental, considérant que ces langues, supposément maîtrisées à la maison, est perte de temps et péril à l’école pour le devenir de l’enfant ; et que le plurilinguisme vanté est parasitage et interférence bloquants, l’empêchant de devenir maître incontesté d’une Parole. D’ici et d’ailleurs, remonte dans les âges l’anathème de la non-fiabilité de l’autorité de prescription dans la permanence de ses choix, jusqu’à imputer à l’École de la République sa partialité, comme le fait Pierre Bourdieu : « L’École française favorise les favorisés et défavorise les défavorisés » (2009).

Les perspectives : Un désir de sédimentation pour le bien-être.

Quatre pistes sont proposées : Stabiliser la graphie des langues régionales par/ou avec un organisme certificateur ayant franchises éducatives et académiques. Stabiliser la doctrine et les parcours éducatifs par l’autorité régalienne dans les détails de l’opérationnalité (horaires, personnels formés, projections professionnelles). Sauter le pas du bilinguisme ou de la bi-littéracie et s’engager dans le plurilinguisme. L’apprentissage de plusieurs langues s’apparente à la technique de l’engrenage – cemécanisme révolutionnaire inventé par les Grecs permettant à tous les éléments linguistiques de progresser ensemble et en même temps. Sortir les langues de territoire de l’appellation générique créole pour leur donner la pleine reconnaissance et la pleine autonomie culturelle : le guadeloupéen, le martiniquais, le guyanais, le réunionnais. Langues plastiques et poreuses pour toutes les hospitalités, elles semblent à jamais marquées par les contextes géographiques et les conditions sociohistoriques de leur émergence ; le mot créole (de l’espagnol criollo) – langue, culture, civilisation – décrit des réalités construites par les puissances européennes à l’angle mort de la colonisation et de l’esclavage ; elles sont marquées par la subduction, ce geste mécanique de passer sous une réalité supérieure.

En guise de conclusion

« Pourquoi ne pas profiter de ce que la plupart des enfants de nos écoles connaissent et parlent encore ce qu’on appelle d’un nom grossier « le patois ». Ce ne serait pas négliger le français : ce serait le mieux apprendre au contraire » (La Dépêche, 15 août 1911). Michel Launey a rappelé la démonstration de Jean Jaurès sur l’utilité des langues et leur interaction salutaire ; Jaurès, le sublime pédagogue, a pourtant perdu : il ne sauvera pas l’occitan. Et si Jaurès, malgré son autorité et son rayonnement dans la Troisième République, n’a pas été entendu, que pèseront nos débats sur le cours des choses ? Le Grand Dehors exotique, indigène et allogène de la France réussira-t-il là où le Grand Dedans a échoué ? La loi Molac, dans le sillage des avancées de la recherche universitaire et de l’engagement des enseignants, procure des raisons d’espérer.

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