Dan balizaz barlizour : Michel Ducasse reprend Aimé Césaire en kreol morisien

Sera lancé à l’Institut Français de Maurice, ce vendredi, Dan balizaz barlizour, recueil bilingue : créole mauricien et français du poète Michel Ducasse. Dan balizaz barlizour est la version en créole mauricien du Cahier d’un retour au pays natal, l’œuvre la plus emblématique du poète martiniquais Aimé Césaire et éditée à Paris en 1939. Cette traduction, accompagnée des textes en français de Césaire, a été rendue possible grâce à l’autorisation de la prestigieuse maison d’édition Présence Africaine. En prime, une publication mondiale pour Dan balizaz barlizour. Jacques Martial, acteur et metteur en scène d’origine guadeloupéenne, et aussi adjoint à la maire de Paris, signe la préface du recueil de Michel Ducasse. En 2003, Jacques Martial avait créé un spectacle autour d’extraits choisis du Cahier d’un retour au pays natal. Il sera présent, ce vendredi à Rose-Hill, aux côtés de Michel Ducasse. Pour l’occasion, l’événement, qui se tiendra à 18 h, sera ouvert au public.

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Une rencontre littéraire avec Aimé Césaire, cela marque. Cela laisse des traces qui transpercent l’épiderme, touchent le coeur et titillent l’âme. Découvrir Césaire à travers le Cahier d’un retour au pays natal, c’est la promesse d’une métamorphose. C’est le point de départ vers une transformation qui fait de l’être un homme, une femme… prêt/e à comprendre sa quête intérieure, une brûlante sensation de rébellion. Alors qu’il est un jeune étudiant en France, le poète Michel Ducasse n’a pas échappé à ce tourbillon d’émotions lorsqu’il lit les premières lignes des 40 pages de Cahier d’un retour au pays natal.

« J’ai rencontré Césaire par un recueil qui m’a cueilli alors que je pensais avoir trouvé ma voie en poésie, après une dizaine d’années de vagabondages et d’errements. Un recueil qui m’a accueilli au bout d’un après-midi pluvieux à Nancy, en France, où j’essayais de terminer une thèse en sociolinguistique. Un recueil qui ne m’a pas quitté des yeux et des mains, une fois la première page lue », écrit-il dans l’avant-propos de Dan balizaz barlizour (éditions vilaz métis). Et de nous confier : « Césaire m’a fait grandir comme un être humain, comme une personne. »

« Césaire m’a appris à être un homme libre »

La lecture de Cahier d’un retour au pays natal de Césaire a poussé l’étudiant mauricien d’alors à faire une introspection, une sorte de mise au point intimiste pour qu’il entrevoie de nouvelles perspectives sur la poésie, l’engagement et le lyrisme. « J’ai appris à habiter d’autres blessures sacrées pour mieux apprécier les longs silences qui nous aident à vivre et à aimer […] J’avais compris qu’un poète n’est pas seulement voyant. » Un poète n’est pas seulement quelqu’un qui voit le monde différemment, mais qui le dissèque et l’analyse. Il s’offusque, bouscule et nourrit l’esprit des autres.

Aimé Césaire a questionné la réalité sociale, politique et historique de son peuple. Il exprime la fierté des Martiniquais malgré les chaînes invisibles qui les limitent, mais qui n’emprisonnent pas leur dignité. Sous d’autres latitudes, loin de la Martinique d’Aimé Césaire, avec ses mots en vers pour une île qu’il aime et contre les injustices, Michel Ducasse est devenu le poète engagé, défenseur de la langue créole, une langue dans laquelle il exprime sa poésie dans des tons libres. « Césaire m’a appris à être un homme libre, un poète engagé, un citoyen qui aime son île en dénonçant les dérives de ceux qui la gouvernent. »

En Martinique, pour être au plus près du poète

En 2017, dans son sixième ouvrage Enn bouke bwa tanbour, Michel Ducasse traduit Le cristal automatique du recueil Les armes miraculeuses d’Aimé Césaire. S’il avait d’abord pensé à puiser un extrait du Cahier d’un retour au pays natal, il s’est vite rendu compte qu’il aurait été délicat et complexe de prélever un passage d’une œuvre aussi emblématique, dense et complète. L’idée de la traduction complète du Cahier d’un retour au pays natal en kreol morisien ne l’avait pas quitté. Et six ans plus tard, c’est en Martinique, sur le sol d’Aimé Césaire, que Michel Ducasse a été au plus près de lui, de son aura, de sa présence, pour sentir le souffle du poète. Il s’en est imprégné pour, à son tour, se mettre à l’œuvre et donner vie à Dan balizaz barlizour.

Cette démarche est aussi le témoignage de sa reconnaissance envers Césaire, mais également envers ceux qui lui ont permis d’être le premier poète et auteur du monde créolophone à traduire Cahier d’un retour au pays natal dans la langue créole. Après l’allemand, le slovaque, le catalan et l’anglais, voilà le kreol morisien qui ajoute à la dimension universelle d’un texte qui est resté résolument contemporain.

« C’est dans Cahier d’un retour au pays natal qu’apparaît le terme’négritude’pour la première fois », rappelle Michel Ducasse. Aimé Césaire, poète de la négritude, qui initie ce mouvement littéraire dans une autre langue, celle d’une France colonisatrice et qui n’aurait pu imaginer qu’un jour, un autre poète aurait traduit ces vers :

« Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour

Ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre

Ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale. «

De négritude à negritid :

« Mo negritid pa enn ros, so sourdisman lanse kont vakarm lizour

Mo negritid pa enn tas dilo mor lor lizie mor later

Mo negritid pa enn latour ni enn katedral. »

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