Catherine Boudet : dans le chant des soleils tombés sur l’autre rive

Le souffle du manuscrit révélé

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L’invention poétique traverse l’ouvrage de Catherine Boudet intitulé Dans le chant des soleils tombés sur l’autre rive (CARAÏBEDITIONS), paru en avril 2024 et présenté cette année lors du festival Mai.Poésie en Martinique. Loin des exagérations, voire des délires, la poétesse se place sur un “autre plan, rationnel et limite au monde visible” pour inventer de manière très personnelle la langue lémurienne qui n’existe pas… ou plutôt n’existe plus. L’invention prend sa source autrement que dans unefidélité « translative ». C’est qu’il faut se saisir d’une langue dans son manque et l’assujettir à l’invention d’un idiome dans toute sa complexité. On retrouve régulièrement cette idée d’invention littéraire dans le dernier livre en date de Catherine Boudet – une voix ou un souffle qui échappe à toute détermination formelle, mais révèle l’originalité du contenu. Ce recueil a fait l’objet d’une mention spéciale du jury de la deuxième édition du Prix international de l’invention poétique (2023). Dans le chant des soleils tombés sur l’autre rive laisse entendre une voix singulière. Le recueil ouvre un cycle de chants. Le titre, de même que le contenu du recueil renvoient à une vision. “Le soleil fait référence à l’initiation solaire, c’est le soleil de la conscience. Comme il s’agit de saisir la parole des derniers survivants avant la disparition de ce monde (la Lémurie) englouti dans le déluge, comme une pompéi insulaire, la chute des soleils c’est donc la fin/chute de la conscience. Pour ma part, je ne me situe pas du tout dans la perspective biblique d’une chute initiale (de l’humanité), c’est plutôt une conception cyclique, des mondes se succèdent, disparaissent et laissent la place à d’autres (comme dans les cosmogonies maya, aztèque et hindou). La chute des soleils parce qu’il n’y a pas qu’un seul soleil dans l’univers. Quant à la chute sur l’autre rive, déjà cela signale la mer (référence au cataclysme de destruction) et aussi l’idée d’une autre perspective, de quelque chose d’autre à atteindre…”

Outre cet éclairage de la part de l’autrice, il existe une filiation spirituelle avec la Lémurie. Catherine Boudet tend vers une écriture qui se veut poétique par la brièveté de sa forme, son caractère dense, mais aussi par la fabrique d’un objet linguistique à partir d’une vision qui résume à elle seule l’invention poétique. C’est la beauté de la poésie qu’on a envie de faire revivre, nous dit Boudet. D’ailleurs, le langage poétique traduit/formule en mots des choses, images, visions, messages, impressions qui, à l’origine justement, ne viennent pas en mots… “La notion de manuscrit révélé, je la tire de ma fascination pour ce qu’on appelle dans le bouddhisme bon, les « gtermatextes ». Des textes secrets codés et cachés dans les recoins de la nature par les anciens maîtres tels que Padmasambhava, et qui ont été codés et cachés à la connaissance humaine pour n’être révélés que dans les époques ultérieures, à condition de pouvoir être décodées…”

N.L.

Juste avant la chute des soleils sur la Lémurie, la parole des derniers témoins du cataclysme fut recueillie en songe par la Grande prêtresse du Temple des Lémures, Elethia. Son témoignage nous lègue leur parole épuisée, un chant qui s’éteint dans la splendeur apocalyptique des derniers soleils. Parmi ces voix, celle accusatrice du Porteur de colères, mais aussi la complainte grégaire des Insulés, le cri blessé du Guerrier des sables, l’appel terrifiant des Conquérants de la lune noire… Leur souvenir se dresse dans cette nuit lémurienne où se fabulait l’épopée majeure d’un monde en déhiscence. Venues d’un monde disparu, ces voix restent éminemment contemporaines en nous disant la fragilité de notre monde, que nous croyions bâti sur des évidences.

Voici un morceau choisi :
Le Chant des Insulés
Sommeil ample de la ville tropicale
Dans ce bruit de feuilles
Ils se hâtaient
Enlisés parmi des soleils verts
Encordés à ce bout d’île
Le châtiment fait terre
***
Peuples roides
Tenus loin de l’énigme
Quelles grandes clauses
En vos envols La pluie en marche
Dans vos livrées de batailleurs
L’éclair vous quitte
En ces fortunes
***
Dans la rétine se reflète
L’autre pensable
Une île de rechange
Scarifiée
Narrations collectives
Dans l’épaule du croire
À hauteur de paupière
Cousu sous la peau
Le lien déjà consumé
***
Encore syncopé
Et jusque dans la houle
C’est tout un peuple
Qui procède au pillage
Captif de l’épisode
Petit monde au saccage
***
Nous avons besoin
De ces racines
Nos remparts aériens
Nous avons bu
À la bouche de l’incendie
Sous ces soleils verts
Avons appris le crime
Dernier sursaut en avant
Prises du jour brandies
Jetées par-dessus bord
Ce que nous sommes
Absences absentées
Sur la chair-commerce
Roue d’étoiles
Plus ivres
Plus près des tempes
Du dieu-volcan
Espaces quadrillés
Déjà surveillés
Version tronquée républicaine
Anticyclone encore
***

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