Il y a six mois, Béatrice Bijoux Bellepeau créait la surprise en annonçant, dans nos colonnes, qu’après 15 ans de succès, elle fermait Busy B. Magasin unique en son genre et référence pour des milliers de Mauriciennes, principalement les rondes, la marque de vêtements ayant subi des pertes financières de plus de Rs 10 M en raison des travaux du Metro Express devant l’atelier de l’enseigne, à rue Vandermeesch, Rose-Hill.
Figure incontournable dans le monde de l’entrepreneuriat féminin, elle nous confiait alors ses tribulations et ses moments sombres parce qu’elle perdait une entreprise qui avait encore de l’avenir. Mais Béatrice Bijoux Bellepeau n’est pas une femme qui se laisse abattre. Déjà, elle laissait entrevoir sa volonté de rebondir et de passer à autre chose.
C’est fait ! Quand nous l’avons, cette semaine, rencontrée dans le lounge du groupe pour lequel elle travaille à Ebène, depuis juin dernier, c’est une femme au visage lumineux qui s’est avancée vers nous. Pour en arriver là, elle a accepté la mission que lui a donné son employeur. Elle a aussi suivi des formations et travaillé dur en peu de temps pour faire un grand saut dans le marketing 2.0. De cheffe d’entreprise, elle est passée à Head PR… et s’en porte bien !
Quand vous nous aviez annoncé la fin de Busy B, il y a six mois, vous vous apprêtiez à liquider votre magasin. Depuis, où en êtes-vous avec sa fermeture ?
Il est plus aisé d’ouvrir 20 compagnies que de fermer une. Busy B a cessé ses activités, mais je n’ai pas encore fermé l’entreprise. On ne peut imaginer la quantité de choses qu’il reste à faire. La première démarche a été de sauvegarder les intérêts des employés par le biais des négociations pour leur compensation auprès de la Mauritius Revenue Authority et du ministère du Travail. Tout s’est passé dans les meilleures conditions et leurs droits ont été respectés. Nous avons vendu tous ce que Busy B possédait comme logistique et stock pour payer les employés. C’était une priorité. Ensuite, nous avons eu à payer tout ce que nous devions à la MRA, entre autres, le Portable Retirement Gratuity Fund, les dettes auprès des banques, lesquelles sont d’ailleurs presque soldées. Nous avons eu à mettre toute cela à jour pour que les autorités nous donnent le feu vert pour fermer le magasin. Donc, tout se passe pour le mieux et tranquillement.
Dans tout cela, comment allez-vous ?
Aujourd’hui, je vais très bien. Mais je suis passée par des tourmentes, des moments très difficiles. Heureusement que j’ai été soutenue tout au long de cette phase par ma famille, mon époux, mes amis…
Cela a été dur car il s’agissait de tourner la page sur 20 ans de ma vie. Vingt années durant lesquelles je me suis battue pour un idéal, pour mon entreprise. J’ai donc eu à me réinventer. Ce qui a été, sans doute, le plus difficile à faire. Je n’ai plus 20 ans pour passer à autre chose aussi facilement. Mais tout en effectuant cet exercice de liquidation, avec la tristesse que cela peut comporter, je me devais de garder ma lucidité pour réfléchir sur les prochaines étapes de ma vie. Je n’allais pas attendre d’en finir complètement avec Busy B pour penser à mon avenir. J’ai 45 ans, je devais savoir ce qui m’attendait dehors. Je n’ai pas eu le temps pour la déprime. Et je pense avoir adopté la bonne méthode pour avancer et trouver mes réponses.
J’ai contacté des boîtes de recrutement, afin de me faire évaluer dans l’optique de trouver du travail. Pendant 20 ans, c’était moi qui dirigeais et il fallait que je me situe pour connaître mes atouts et mes lacunes pour rebondir et me projeter sur le marché de l’emploi. Entretemps, j’ai dû aussi trouver des formations, en ligne pour la plupart, pour m’aider à me recycler et me familiariser avec les outils digitaux. Donc, pendant la journée, je faisais les comptes pour la liquidation de BusyB et, le soir, je faisais des devoirs et des recherches pour me mettre à jour. Durant tout ce processus tourbillonnant, Week-End m’a donné l’occasion de parler des derniers moments de BusyB, de mon expérience douloureuse en tant qu’entrepreneure. Et cet entretien a interpellé mon actuel patron. Lorsqu’il l’a lu, il s’est dit que j’étais la personne qu’il lui fallait pour s’occuper de la communication et du marketing de son groupe. Il m’a contactée et, depuis, j’y suis.
Quelles sont vos nouvelles responsabilités professionnelles ?
Je suis Head of Public Relations pour le groupe Hyvec. Celui-ci va sur ses 30 ans d’existence. C’est un groupe qui brasse un chiffre d’affaires avoisinant Rs 3 MD par an. Je m’occupe de son marketing, des relations publiques et de la communication. Je suis venue créer une identité forte pour que notre audience externe, des consommateurs à nos investisseurs, entre autres, puissent s’y identifier. Le groupe n’a jamais communiqué sur toute la transformation qu’il a connue. Il faut savoir qu’avant d’être cette grosse entreprise, elle a démarré comme une petite compagnie de construction. Le groupe a désormais 5 pôles d’activités distinctes : la construction et le développement foncier ; les finances et investissements – à travers une entité qui gère un portefeuille de près d’un million de pied carrés d’espaces pour les bureaux rien qu’à Ébène – ; le commerce avec des franchises haut de gamme de marques internationales ; la distribution ; les loisirs et hospitalité.En parallèle, nous sommes en train de développer quatre projets hôteliers dans l’île, dont un hôtel d’affaires, des villas de luxe et, en dernier, l’alimentation, qui comprend des restaurants ainsi que la restauration rapide avec Burger King. Comme vous pouvez constater, il y a beaucoup à entreprendre. Je n’ai pas fait mon entrée sur un terrain conquis, mais un terrain vierge où il y a tout à faire.
Vous avez, donc, fait un virage complet ?
Pas tout à fait. La communication est en moi. C’est un domaine que j’adore et que j’ai étudié à l’université de Maurice. D’ailleurs, j’ai commencé ma carrière à la MBC comme journaliste, avant de me joindre à la presse écrite à La Sentinelle Ltd. Ensuite, j’ai été responsable des relations publiques pour le groupe Sun Resorts Ltd. Cependant, tout cela remonte à plus de 25 ans. Les relations publiques ont évolué et avec les réseaux sociaux et la digitalisation, la donne a changé. Il a fallu que je m’y adapte. C’est dans cette optique qu’il y a, en effet, eu un grand virage dans ma vie professionnelle. Ajouté à cela, j’ai intégré un très grand groupe. J’ai dû comprendre très vite comment il fonctionne, quels sont ses pôles d’activités, où il se situe sur le marché, et faire un audit interne pour connaître ses objectifs, afin de développer une stratégie et des moyens pour l’y conduire. Comme je l’ai dit, je n’avais pas fait tout cela depuis 25 ans.
Mais c’est comme monter à vélo, il y a des réflexes et pratiques qu’on n’oublie pas. Je me suis documentée et ai travaillé dur en peu de temps pour revenir en force, car qu’on se le dise, j’ai été employée par l’entreprise pas pour y faire un apprentissage. On m’a employée parce que j’ai des compétences. On a cru en moi comme une valeur ajoutée. Mon groupe me fait pleinement confiance, on m’a donné carte blanche pour implémenter ma stratégie et les outils dont j’avais besoin pour effectuer mon travail. Le CEO et tous mes collègues m’ont accueillie à bras ouverts et m’ont énormément soutenue. Et quand on a traversé des moments aussi difficiles et que quelqu’un vous ouvre ses portes, croyez-moi, on n’a pas le temps de se morfondre sur son sort. On se retrousse les manches et on se met au travail. Je suis très heureuse d’être là où je suis, dans un grand groupe où chacun a sa place pour ses compétences, et c’est tout ce qui compte.
Vous auriez-pu avoir fait le choix de rester dans le textile, secteur que vous maîtrisiez ?
J’aurais pu avoir fait le choix de rester dans le textile, l’habillement et la mode, d’autant que j’ai eu des opportunités dans ce sens. Mais j’ai pris la décision de tourner la page. Busy B m’a apporté beaucoup de bonheur. Cependant, les dernières années ont été très difficiles et je ne souhaitais plus rester dans ce domaine et tourner dans le même giron. Je voulais passer à autre chose et mettre mes compétences à l’œuvre, ailleurs. J’avais aussi envie de rencontrer d’autres personnes, apprendre et grandir dans une autre sphère. J’avais la maturité pour cette transition.
Quels ont été les retours, surtout dans le monde de l’entrepreneuriat, après votre témoignage, ici, sur la fermeture de Busy B ?
Depuis que j’ai parlé de mon expérience dans vos colonnes, j’ai eu des retours positifs. Et parce que j’en ai justement parlé, on a compris que je suis une personne ouverte et abordable. Ce qui a encouragé des personnes à venir vers moi en quête de conseils, pour que je les aide, les guide et leur ouvre mon carnet d’adresses… Ce qui fait que j’ai toujours un pied dans l’entrepreneuriat en tant que coach. L’entrepreneuriat masculin ou féminin reste mon dada. Je n’ai pas pour autant quitté ce monde, je demeure très active auprès des entrepreneurs. Je ne compte pas ranger mon expérience de l’entrepreneuriat dans un tiroir, non ! Je voudrais en faire profiter à ceux qui en ont besoin. Ce n’est pas parce que je n’ai eu d’autre choix que de fermer boutique que je dois oublier mon passé et laisser les autres tomber.
Je collabore toujours avec des plateformes qui accompagnent les entrepreneurs dans la gestion de leur business. Je mets mon expérience à leur disposition ainsi qu’à ceux qui frappent à ma porte en quête de conseil et de coaching. Je suis très active sur ce plan. D’ailleurs, je travaille actuellement sur l’élaboration d’une formation pour les entrepreneurs qui sera MQA Approved. Aussi, ce n’est pas parce que je ne suis plus dans l’entrepreneuriat que je n’encouragerai pas les autres à s’y lancer. L’entrepreneuriat demeure une voie appropriée pour ceux – surtout les femmes – qui veulent se réinventer. Mais cela demeure plus difficile pour elles, car elles ont aussi toute la charge familiale à porter. Elles doivent bien s’organiser avant de se lancer, parce qu’à terme, être entrepreneur c’est développer de la richesse pour le pays, créer de l’emploi… Avoir une nation d’entrepreneurs est cent mille fois mieux que d’avoir une nation d’assistés. Je ne peux qu’encourager l’entrepreneuriat.
Vous semblez épanouie dans votre nouvelle vie professionnelle. C’est le cas ?
Ah oui ! Et c’est sans regrets. J’évolue dans une structure où je suis bien encadrée par celui qui m’a fait confiance, le management et mes collègues. Comme nous avons plusieurs segments d’activités, j’apprends beaucoup tous les jours. J’exerce de nouvelles responsabilités, avec une confiance renouvelée au quotidien, ce qui me pousse à me dépasser. À une période de ma vie où je tournais la page sur mon entreprise, mes 20 années tumultueuses dans l’entrepreneuriat, j’avais besoin de ces nouveaux challenges et de stabilité. En effet, je suis comblée.
L’entrepreneure qui est en vous ne risque pas de prendre le dessus ?
J’ai la possibilité de grandir et de m’épanouir dans mon nouvel emploi, tout en continuant à aider les entrepreneurs. Si j’ai toujours un pied dans l’entrepreneuriat, c’est parce que je mets mon expérience au service des entrepreneurs. Donc, en faisant de la formation et du coaching, je change de cap. Je resterai là où je suis parce qu’il y a beaucoup de projets qui m’intéressent et parce que j’ai pris le pari d’aider mon CEO à passer à un autre palier, c’est un engagement auquel je tiens car je veux être témoin des transformations à venir et auxquelles j’y participe pleinement. J’ai 45 ans, j’ai encore de quoi donner dans le monde de l’entreprise.