À l’ombre des JIOI : Madagascar bousculée par la hausse vertigineuse des prix

Les échos de la cherté de la vie résonnent dans l’ensemble des ruelles de Tana, qui traduisent pauvreté et misère à différents niveaux. Les installations infrastructurelles mises en place dans le cadre des JIOI détonnent de la réalité accablante à laquelle des Malgaches sont confrontés. De : Joël Achille.

« Oui, c’est cher 10 000 ariary ». Un mince sourire aux lèvres, Fabien concède qu’il ne pourra s’offrir un billet pour assister aux compétitions tenues dans le cadre des JIOI. L’homme à tout faire de cet hôtel de passe l’affirme : de nombreux Malgaches vivent dans la même condition que lui, voire pire, avec moins d’un euro par jour, soit Rs 50.

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Le poids de la pauvreté et de misère se révèle criant à Antananarivo, la capitale, pourtant théâtre de projets d’infrastructures d’envergure.

Les silhouettes des enfants de rue pourchassant les véhicules pour quémander ne serait-ce qu’une pièce se reflètent dans les vitrines d’un prestigieux salon automobile. Élégamment vêtus, les bureaucrates évitent d’effleurer les vêtements en lambeau des gamins, couverts de poussière d’argile ou de charbon.

Les regards ne se croisent guère dans cette ville où deux mondes cohabitent en s’ignorant. Rien ne semble avoir changé pour les miséreux depuis l’accession du prometteur Andry Rajoelina à la présidence en 2019.

« Nous n’avons rien eu aujourd’hui ! S’il vous plaît, achetez quelque chose », regrette un commerçant de rue, en tendant un lot de bâtons de vanille locale. Autour de lui, d’autres Malgaches se pressent auprès des passants pour remettre des artefacts artisanaux, des huiles diverses, ou même du tabac et d’autres substances dissimulées sous leurs marchandises.

« Le pouvoir d’achat du Malgache a beaucoup baissé depuis 2019, surtout après le Covid », relate Vonjy Nonjy, 37 ans, appuyé à un commerce de tabac.

« C’est très difficile pour nous », ajoute une jeune fille, 17 ans, qui dort dans les environs du marché fleuriste Anosy, à quelques mètres de l’imposant stade Barea. La robe délabrée que porte son amie, 14 ans, dissimule difficilement sa silhouette de mère précoce.

« Nous ne suivrons pas les Jeux des îles », traduit l’aînée, dans de vifs gestes, qui soulignent leurs autres préoccupations.

Une gamine demandant l’aumône dans la capitale

À quelques mètres derrière des barricades en tôle, trois enfants baignent dans la suie de charbon qu’ils confectionnent de leurs petites mains. Leurs ongles rongés par l’effort détonnent des sourires amuseurs qu’ils affichent. L’école étant payante à Madagascar, la déscolarisation accable les nouvelles générations.

Toutefois, dans les avenues de la débrouille, ils ne récoltent que de quoi survivre.

« Quelqu’un qui coud des vêtements ou fait du charbon gagne moins de 10 000 ariary (Rs 100) par jour », explique Adriatiana RazaFinjara, un vendeur de rue, en brandissant des cookies au chocolat. L’ancien agent de port a quitté Tamatave, bordant la côte est.

« La situation était très compliquée là-bas. Vous pouvez vous faire tuer pour un rien. C’est pour cela que je suis venu m’installer à Tana il y a neuf mois », soutient-il.

Un repas par jour

« Je gagne au maximum 20 000 ariary dans les bons jours », ajoute-t-il. « C’est très difficile de trouver du boulot à Madagascar si vous ne connaissez pas quelqu’un. Il faut tous les jours se motiver pour trouver de l’argent pour survivre. C’est comme cela la vie des Malgaches ».

La situation se complique davantage, car les prix du carburant et de l’électricité ont également augmenté. « Je payais l’électricité à 800 000 francs en 2014. Désormais je dois débourses 5 millions de francs », déplore une gérante d’hôtel, dont les affaires ont été affectées par une fraude de plus d’un milliard d’ariary. Il en est de même pour des denrées de base (riz, sucre, farine et huile, dits « PPN »), dont les prix ont subi des hausses vertigineuses.

Une scène usuelle à Antananarivo

« Beaucoup de Malgaches vivent avec un seul repas par jour », raconte un chauffeur de profession, en manœuvrant parmi les rues bondées de la capitale.

Seuls quelques grains de lumière s’immiscent dans ce restaurant dissimulé au fond d’un couloir de Tana. Ici, le riz accompagné de zébu, de poulet, poisson ou de porc — cuisinés de diverses manières — se vend pour moins de 10 000 ariary.

« J’ai commencé à cuisiner depuis 5h ce matin », raconte une autre restauratrice en découvrant une marmite en fonte pour laisser s’échapper un doux parfum de zébu baignant dans une onctueuse sauce. Dans cette gargote visitée par beaucoup, les saucisses et les haricots coûtent 3 000 ariary et les côtelettes de porc et le poulet se vendent pour 4 000 ariary.

Ces bas prix se révèlent malgré tout onéreux pour une partie de la population, qui se tourne alors vers les bols de pâtes vendus pour environ 1 000 ariary en bordure de route. Pour ceux qui, agenouillés à même le sol, remplissent leur estomac de ce fade repas, les Jeux des îles de l’océan Indien n’ont de poids.

« Qu’est-ce que le président fait pour nous ? » s’interroge une gamine de rue, avant de reprendre le chemin du marché, non sans avoir tenté de demander de l’argent.

En tout cas, Madagascar, la grande sœur de l’océan indien, demeure l’exemple où la nuit côtoie le jour dans l’indifférence la plus totale.

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