Julien Forgeron est une entreprise familiale connue de tous à Port-Louis. Gérée par Roger Julien, un habitant de Tranquebar âgé de 67 ans, cette entreprise est spécialisée dans la fabrication d’objets en métal et en fer forgé, notamment des portes, des fenêtres et des antivols. Elle a été créée dans les années 1900 et les Julien travaillaient sur une forge à la main. Aujourd’hui, cette famille attend qu’un membre de la quatrième génération montre un signe d’intérêt dans le métier pour assurer la survie de la compagnie.
Le fer forgé chez les Julien est avant tout une histoire de famille. Ce savoir-faire a été transmis de génération en génération et aujourd’hui, la famille attend que la quatrième génération prenne la relève. Cette petite entreprise familiale, baptisée Julien Forgeron, a vu le jour dans les années 1900. C’était le père de Roger, Louis André Julien, qui s’est lancé dans ce métier. Puis, il a entraîné ses sept fils, dont Roger, ainsi que des neveux dans le domaine.
Roger relate que le métier de forgeron le fascinait depuis qu’il est petit. Il va d’ailleurs abandonner ses études pour se joindre à son père dans le métier. « J’ai grandi dans l’atelier de mon père qui se trouve toujours rue Poudrière, à Port-Louis. Après les études du primaire, mon père m’encourageait à poursuivre mes études au secondaire parce que, selon lui, j’étais un élève brillant. Mais le métier que pratiquait mon père me fascinait tellement que j’ai décidé de lui emboîter le pas », raconte-t-il. Roger avait alors 12 ans. « Si vous êtes passionné par quelque chose, l’âge ne fait pas défaut. Tous les travaux se faisaient alors à la main. Mais cela ne m’a jamais découragé », dit-il.
La famille possédait alors une forge à la main. Roger ainsi que ses frères ont appris à travailler sur la forge à main. « Travailler avec le feu n’est chose facile mais j’y suis arrivé. Mon père était toujours sur notre dos pour assurer que l’entreprise continue à tourner. C’était dur, je l’avoue mais cela n’a fait qu’augmenter mon intérêt pour ce métier. Mon père croyait que j’allais abandonner mais un jour je l’ai entendu dire à ma mère que je suis intelligent et que je captais vite les techniques du métier », affirme Roger. Des années plus tard, un ami de la famille propose à Louis André d’installer un moteur pour faire tourner la forge, ce qui a facilité le travail pour les Julien.
Quand il a commencé, Roger fabriquait des clous pour les rails. « Mon père pouvait fabriquer et réparer tout ce qu’on lui apportait. À l’époque où je venais juste de le rejoindre, il réparait des coffres-forts, des balances pour les établissements sucriers, entre autres. J’avais eu la responsabilité de fabriquer des clous pour les rails pour les établissements sucriers », confie le forgeron. Une fois qu’il a commencé à maîtriser le métier, Roger s’est lancé dans la fabrication de divers objets, comme les portes en fer forgé, de grands portails, les bancs en fer forgé, entre autres.
Le fer forgé, selon lui, est un métier très minutieux. « Le forgeron est obligé de se concentrer sur la forge pour obtenir un objet précis. Que ce soit à la main ou avec le moteur, nous devons continuellement tourner le métal jusqu’à ce que nous obtenions la forme voulue. Mais un excès de chaleur peut aussi déformer le métal. D’où l’importance de rester concentré dans le métier. De plus, en hiver, il fait bon travailler devant la forge mais en été, il était plus difficile. La chaleur du feu est insupportable », souligne Roger.
Par ailleurs, il se souvient que ce métier ne lui apportait pas beaucoup d’argent à l’époque, mais il vivait pleinement sa passion. « Quand j’ai commencé, mon père n’a pas voulu m’offrir un salaire. Puis, je commençais à avoir un peu de sous avec les commandes que je recevais. Je touchais environ Rs 96 par semaine. Mais au fil des années, les revenus ont commencé à augmenter. C’était un parcours bien riche et rempli de souvenirs », dit-il.
Parmi ses beaux souvenirs, Roger se souvient avoir fabriqué un étal à l’occasion d’une exposition agricole au jardin botanique de Pamplemousses en 1976. « C’était un des plus beaux étals à l’époque. Puis, nous avions fabriqué un grand bateau à l’occasion d’un concours par la Banque commerciale, pour lequel nous avons décroché le premier prix. Ce sont mes plus beaux souvenirs. Pour ce qui est des mauvais souvenirs, les blessures que j’ai eues pendant mon parcours resteront à jamais gravées dans ma mémoire. J’avais eu une fracture des côtes en tombant dans l’atelier un jour. Puis, j’ai failli perdre un œil avec un métal qui s’y était enfoui pendant que je travaillais. Le médecin m’a dit que j’avais eu beaucoup de chance », fait part Roger.
Aujourd’hui, Julien Forgeron fabrique toutes sortes d’objets : des portes, de grands portails, des antivols, des fenêtres, des structures pour maison ou autre bâtiment, des bancs, entre autres. La qualité est un élément que cette famille de forgeron a privilégié depuis la création de l’entreprise. « Notre devoir est d’offrir la qualité à nos clients. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous avons maintenu la tradition de travailler à la main. Pour une petite anecdote, l’autre jour je suis parti installer une porte chez un client qui m’a montré une porte fabriquée par notre famille il y a quarante ans. Cela m’a rendu heureux, surtout de savoir que notre fabrication est toujours aussi solide après quarante années », fait-il ressortir.
En ce qui concerne sa clientèle, Roger explique qu’elle est variée : des clients particuliers, des entrepreneurs, des hôtels, entre autres. « Les clients viennent de partout. Vu la qualité de notre travail, les clients ne peuvent s’empêcher de revenir. Depuis peu, nous travaillons principalement avec des entrepreneurs qui ont décroché des contrats pour des maisons ou bâtiments. Par ailleurs, j’ai toujours mes anciens clients qui sont restés fidèles à notre entreprise », précise-t-il.
Interrogé sur ses projets d’avenir, Roger répond qu’il a atteint un âge où il ne peut penser y penser. « Autrefois, nous étions toute une famille à travailler dans l’entreprise, une dizaine. Aujourd’hui, il ne reste plus que deux, mon neveu et moi. J’ai des cousins et neveux qui ont appris le métier et se sont installés à l’extérieur. Après moi, la relève sera assurée par mon neveu. Personnellement, je ne veux pas que cette entreprise familiale meure, mais tout dépend des prochaines générations. Si cela ne tenait qu’à moi, j’aurais déjà fermé l’entreprise et serais parti à la retraite mais je reste pour soutenir mon neveu. D’ailleurs, même si je n’ai plus de force, je viendrai le soutenir et superviser son travail », souligne Roger.
Et d’ajouter que le métier de forgeron n’est pas prisé parmi les jeunes. « Les jeunes ne sont plus attirés par ce métier. La tendance a changé. C’est un métier dur et ce n’est pas ce dont rêvent les jeunes de nos jours. D’ailleurs, il est même difficile de chercher de la main-d’œuvre », dit-il.