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Marc Ravalomanana, ex-président de Madagascar :« La réélection de Rajoelina est grave pour le pays »

Entretien réalisé par : Joël Achille.

L’entretien téléphonique se tient ce samedi vers la mi-journée, au moment même où la Commission électorale nationale indépendante de Madagascar (CENI) annonce officiellement les résultats provisoires de présidentielles tendues et contestées à Madagascar. L’ancien président de la Grande-île rejette la tenue de ce scrutin et s’oppose à la candidature d’Andry Rajoelina, en raison de sa naturalisation française obtenue en 2014.
A 73 ans, Marc Ravalomanana dit avoir toujours la force et la conviction de se battre pour son pays. Membre du Collectif des 10, soit des candidats de l’opposition appelant au boycott du scrutin, il dépeint la situation à Madagascar, revient sur le décès tragique de la Reine du Salegy, et retrace les actes d’intimidation à l’encontre des voix dissidentes, lors desquels il a été visé.

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Ne craigniez-vous pas, en acceptant cette interview via internet, d’être « surveillé » par le logiciel Predator mis en place par le gouvernement de Rajoelina ?

Non, je n’ai pas peur de Predator parce que je dis la vérité. Ce logiciel constitue une violation de la loi internationale car la liberté de tout un chacun est violée.

Ce samedi, la CENI présente officiellement les résultats provisoires des présidentielles à Alarobia. Suivez-vous cette annonce ?

Nous n’avons pas accepté les élections du 16 novembre, car elles sont faussées et mal préparées. La Haute Cour Constitutionnelle (HCC ), qui a désormais dix jours pour confirmer les résultats provisoires,  n’est pas neutre et n’a pas agi comme gardien de la Constitution.

La HCC a validé la candidature d’Andry Rajoelina, qui n’est pas Malgache. De plus, la CENI n’était pas indépendante. C’est pour cela que le Collectif des 10 candidats et la majorité de la population malgache ont refusé catégoriquement cette élection faussée. Il y a également eu la violation des lois en vigueur et l’intimidation de l’opposition, jusqu’aux violences et des arrestations.

Comment avez-vous vécu les violences policières à l’encontre du Collectif des 10 et des voix dissidentes ?

C’était terrible ! J’ai été visé par des cartouches de gaz lacrymogènes et des grenades. J’ai été blessé à Mahamasina et ma voiture a été endommagée. Le manque d’indépendance des organismes de contrôle, de même qu’une multitude d’autres facteurs, rendent ces élections inacceptables.

Nous avons assisté à un contrôle de la presse et à une manipulation de l’information opérés par les équipes de Rajoelina. Il bénéficiait, d’ailleurs, de moyens financiers disproportionnés sans justification de leur origine. Son camp a dépensé beaucoup d’argent qui provient d’on ne sait où.

D’autre part, le rapport de l’audit national et des auditeurs internationaux disent clairement que le fichier électoral actuel ne peut être utilisé pour les présentes élections.

Pourquoi considérez-vous la candidature d’Andry Rajoelina comme illégitime alors que la HCC et la CENI ne voient aucun souci quant à sa nationalité française ?

C’est pour cette raison que nous parlons de violation de la Constitution et de la loi en vigueur. La Constitution est claire à l’effet qu’il faut être Malgache pour participer aux élections. Or, Rajoelina a été naturalisé français en 2014.

La question est simple : la HCC a-t-elle vérifié tous ses dossiers ? Nous, le Collectif des 11, avons rencontré la HCC trois fois et avons leur demandé de nous montrer le certificat de nationalité malgache de Rajoelina. Toutefois, la HCC a refusé.

La demande que nous avons déposée au niveau de la Cour, le tribunal de première instance, pour nous éclairer sur la vérité, n’a obtenu aucune réponse. Nous n’avons pas refusé les élections comme cela ; nous avons demandé les documents nécessaires justifiant la participation de Rajoelina au scrutin.

Andry Rajoelina affirme dans sa défense que « la binationalité est acceptée par le Code de nationalité malagasy ».

Vous avez raison de me préciser cela. Il s’agit du président de la République de Madagascar, un homme d’Etat, le premier responsable de la nation. Donc, sa nationalité française n’est pas compatible avec le poste de président de la République ! Surtout que la nationalité française a été obtenue par naturalisation et non par filiation. Ce n’est pas compatible !

La binationalité en soi ne constitue pas un problème. D’ailleurs, nous avons beaucoup de Français Malgaches ici. Il n’y a pas de souci non plus au niveau des [postes de] ministres ou de Premier ministre. Mais en tant que président de la République, il y a des questions de sécurité d’Etat et de défense qui entrent en jeu.

Nous nous dirigeons, selon toute vraisemblance, vers la réélection d’Andry Rajoelina. Qu’aura-t-il manqué à l’opposition et au Collectif des 10 pour avoir davantage de poids dans ce scrutin ?

Ce n’est pas uniquement le Collectif des 10 ou des 11… La majorité des Malgaches n’est pas favorable à ces élections, qui représentent un danger pour Madagascar. La réélection de Rajoelina est grave pour le pays, souffrant d’une instabilité politique. Elle va empirer la crise ici.

L’appel au boycott des élections, lancé par le Collectif des 10, était-il une réponse réfléchie face à l’illégitimité alléguée de Rajoelina ? Car, au final, il accèdera au poste de président une nouvelle fois.

Je tiens à préciser cela car ce n’était pas clair pour tout le monde : ce n’était pas possible d’opérer un boycott. Nos noms et nos photos étaient déjà inscrits à la liste électorale. Donc ce n’était pas un boycott, mais un appel pour arrêter la propagande et la tenue du scrutin.

Nous avons répété qu’il faut corriger les erreurs de la CENI et respecter les recommandations des experts internationaux. Pourquoi l’Union européenne (UE) n’envoie-t-elle pas des observateurs à Madagascar ?

Je viens tout juste de poser cette question à l’ambassadrice de l’UE à Madagascar. Je leur ai pourtant envoyé un rapport avec des points à respecter, qu’il incombait d’observer. Cependant, l’UE a pris la décision de ne pas envoyer d’observateurs.

Que prévoit le Collectif des 10 une fois la réélection d’Andry Rajoelina entérinée ?

Nous ne considérons pas sa réélection parce que nous avons déjà refusé cette élection truquée. Nous tiendrons des réunions avec la communauté internationale dès cette semaine.

Revenons un peu en arrière désormais. En 2001, quand vous vous présentiez comme candidat, vous vous éleviez contre « les dinosaures de la politique ». Aujourd’hui à 73 ans et après deux mandats, vous vous présentez tout de même comme candidat. Pourquoi ce choix en 2023 ?

En 2018, j’avais gagné les élections parce qu’il y avait eu des doublons (NdlR : les chiffres officiels indiquent que Rajoelina l’a emporté par une majorité de 55,66 % contre 44,34 % pour Ravalomanana). Cependant, ce n’était pas le poste de président qui m’intéressait mais l’intérêt supérieur de la nation.

Cette année, je n’ai pas participé à la campagne mais je suis tout de même deuxième. Ce sont les Malgaches qui me poussent à me présenter. A 73 ans, je suis encore en forme. Je tiens à sauver le pays car il est malade.

Que répondez-vous à ceux qui considèrent désormais que vous faites partie des « dinosaures politiques » ?

Vous voyez le président des Etats-Unis, Joe Biden… il y a encore du temps et j’ai toujours la force de le faire. Je ne suis pas encore en retraite politique. Madagascar a, surtout en ce moment, besoin de gens d’expérience notamment dans notre situation. Chez vous aussi vous aviez un ancien Premier ministre. J’ai encore la capacité d’être président.

Que dites-vous aux jeunes malgaches qui ont perdu confiance en la politique et en les politiciens ?

Les problèmes des jeunes à Madagascar sont l’intimidation, le manque d’emplois et de ressources. Ils n’ont pas d’espoir d’avoir une vie meilleure, comme dans d’autres pays développés. C’est l’opportunité pour eux aussi de faire quelque chose. Toutefois, la majorité des jeunes veulent quitter Madagascar. C’est dommage !

Ces élections constituent-elle pour vous une dernière chance ?

Non, nous irons jusqu’au bout. C’est maintenant que le combat commence. J’ai été homme d’affaires et j’ai de l’expérience en relations bilatérales et multilatérales. Il est de mon devoir de faire quelque chose pour mon pays.

En 2007, lors de votre déplacement à Maurice, vous aviez déclaré « je gère mon pays comme je gère mon entreprise ». Vous disiez alors que le socialisme était l’une des raisons derrière la misère malgache. Votre bilan atteste, certes, d’importants développements infrastructurels. Cependant, il est également relevé que l’écart entre riches et pauvres s’est creusé durant votre mandat. Que proposez-vous cette fois face à l’inégalité dans la distribution des richesses à Madagascar ?

Chez vous en 2007, j’ai dit clairement « pourquoi Madagascar n’est pas comme Maurice ? ». Ici, nous avons une surface très large par rapport à vous. Nous avions également 25 millions d’habitants à l’époque. Quand j’étais président, nous avions eu des résultats positifs avec 8,3% de croissance économique. Je travaillais beaucoup avec les paysans et les fermiers.

Et que proposez-vous cette fois face à l’inégalité dans la distribution des richesses à Madagascar ?

Il faut un plus grande décentralisation effective. J’ai déjà visité 24 régions à Madagascar. A cet effet, il incombe de reconsidérer le développement par région, par district. Les mêmes conditions et situations ne se retrouvent partout.

Dans ce but, j’avais mis en place le Madagascar Action Plan Plus. Mais, plus important encore, il faut qu’il y ait une séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Actuellement, tout cela est contrôlé par un homme, avec quelqu’un à l’arrière, voire un étranger.

Durant votre mandat, vous avez choisi le Malagasy comme langue d’enseignement. Pourquoi ce choix et quelles ont été ses résultats ?

La majorité des Malgaches se trouvent dans la campagne. J’insiste pour que nous gardions ici, à Madagascar, la langue maternelle, sans que nous oubliions d’apprendre les autres langues. J’ai envoyé mon fils en Angleterre comme cela pendant 12 ans. Le Malagasy permet à beaucoup de Malgaches de suivre des formations professionnelles.

Ces derniers mois, les universités malgaches sont en grève pour diverses raisons, notamment le non-paiement des salaires aux professeurs. Comment réagissez-vous par rapport à cela ?

Je discutais tout juste de cela avec l’ambassadrice de l’UE. Les autorités ont coupé les salaires des professeurs et chercheurs, et en ont emprisonné d’autres. C’est grave ! Ces professeurs sont les premiers responsables de notre avenir à Madagascar.

Durant la semaine, les autorités ont emprisonné le secrétaire régional de mon parti, le TIM (Tiako I Madagasikara) et le président du groupe parlementaire, qui a une immunité. Ils l’ont enlevé devant tout le monde et l’ont mis dans une camionnette dans le cadre des grèves universitaires.

Ninie Doniah, la Reine du Salegy et membre de votre parti, est décédée dans des circonstances tragiques le dimanche précédent. Plusieurs appels avaient été lancés, notamment par le chanteur Wawa Salegy, pour son transfert depuis la prison, où elle avait été condamnée dans son combat contre l’accaparement de terres malgaches, jusqu’à un centre de soin approprié, la militante étant souffrante. Quel sentiment vous anime par rapport à cette perte ?

La situation est très grave. Ninie Doniah était emprisonnée depuis plus d’un an. Elle était membre du bureau politique de TIM et responsable des femmes dans sa zone. Elle était malade et avait été arrêtée pour avoir fait son maximum en vue de protéger des propriétés terrestres appartenant aux paysans.

Je l’ai supportée jusqu’au bout. J’avais fait la demande pour qu’elle soit traitée. Il n’y avait pas encore eu de jugement définitif mais des charges provisoires. Elle avait malgré tout été envoyée en prison, alors qu’elle était très malade. Sa sœur m’avait téléphoné récemment, et j’avais fait une demande de transfert. Ninie Doniah a été transportée de Diego, mais elle est morte sur la route. C’est une atrocité. A ses funérailles, j’étais présent aux côtés des membres de notre bureau politique pour présenter nos condoléances et faire venir ses fils.

Vous disiez à Maurice que « l’un de mes plus grands défis est de changer la mentalité et les habitudes des Malgaches ». Au vu des retombées du scrutin, pensez-vous que le peuple malgache est sur la voie du changement ?

Cela dépend du contexte. En raison de la pauvreté très profonde, il est facile de changer le caractère des Malgaches. C’est le système que Rajoelina a utilisé, en promettant de donner de l’argent pour des votes, 300 000 Ariary (Rs 3 000). Toutefois, des gens n’ont pas encore reçu un sou. Ils devront attendre le mois de décembre.

Ce changement dépend beaucoup des dirigeants. S’ils considèrent comme priorité l’éducation civique, la moralité et l’intégrité, les changements surviendront facilement. Nous parlons tous la même langue ici, pas comme en Afrique du Sud. D’autre part, il faut protéger la population, et non emprisonner et tuer. A Madagascar, les businessmen sont déjà partis en raison de l’insécurité et de l’absence de stabilité.

Quel est votre rêve pour votre pays ?

Mon rêve pour Madagascar, c’est d’aller loin. Il faut travailler avec le secteur privé, donner de l’emploi à tous les Malgaches, surtout les jeunes, dont beaucoup d’entre eux ont terminé leurs études. Il faut aussi aider les paysans. C’est cela la vie : donner de l’espoir aux jeunes et d’aider les pauvres. Voilà mon rêve.


Bio express

Né d’une famille de fermiers en 1949 à l’Est d’Antananarivo, l’ancien laitier s’est développé en homme d’affaires à succès en fondant l’entreprise de produits laitiers Tiko. Il a entamé la politique en 1999, devenant maire de la capitale dans la même année, et ce jusqu’en 2001.

Marc Ravalomanana remportera les présidentielles de 2002 face à l’ancien président Didier Ratsiraka. La transition donnera lieu à de sanglantes manifestations. Avec son parti TIM, il prendra au final les rênes de Madagascar, se faisant réélire en 2006. Des développements infrastructurels importants interviennent durant son mandat, axé sur le capitalisme.

Toutefois, les inégalités entre riches et pauvres se creusent, alors que des scandales éclaboussent son mandat. Il lui est notamment reproché de confondre ses intérêts personnels aux intérêts publics. Un coup d’Etat, mené par Andry Rajoelina et l’armée, le pousse à quitter le pouvoir en 2009.

Andry Rajoelina devient président, sous la contestation internationale, qui demande l’apaisement et la tenue d’élections. Entre-temps, Marc Ravalomanana subit l’exil en Afrique du Sud, avant de revenir en octobre 2014 et d’être condamné pour abus de pouvoir. Il sortira second des élections de 2018. En 2023, il est l’un des treize candidats briguant les suffrages.

 

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