L’Allemagne autorise depuis lundi l’usage très encadré du cannabis, devenant le plus grand pays de l’UE à légaliser cette substance avec une réforme qui suscite autant d’attentes que de craintes.
Les adultes amateurs de cannabis peuvent désormais en détenir, en consommer, en cultiver dans des conditions limitées par la loi.
A minuit, l’heure des premiers « joints » légaux, quelque 1.500 personnes ont célébré ce changement dans des volutes de fumée devant l’emblématique porte de Brandebourg, au cœur de Berlin, a constaté une journaliste de l’AFP.
Au milieu d’une foule jeune et joyeuse, Niyazi, âgé de 25 ans, dit voir dans la dépénalisation « un peu de liberté supplémentaire ».
C’est « la fin de la criminalisation de plusieurs millions de personnes en Allemagne », a salué de son côté Torsten Dietrich, militant de la légalisation depuis plusieurs décennies.
Après la dépénalisation engagée par Malte en 2021 et le Luxembourg l’an dernier, l’Allemagne applique ainsi l’une des lois les plus libérales d’Europe : la possession de 25 grammes de cannabis séché est autorisée dans les lieux publics, ainsi que la culture à domicile, jusqu’à 50 g et trois plants par adulte.
Une approche diamétralement opposée à celle de la France et différente de celle des Pays-Bas, où la consommation de haschich n’est pas légale mais tolérée, notamment à travers les « coffeeshops ».
La distribution se fera, à partir du 1er juillet seulement, via des « clubs cannabis ». Ces associations à but non lucratif pourront vendre à leurs membres un maximum de 25 grammes par jour et pas plus de 50 grammes par mois.
D’où la mise en garde de Georg Wurth, représentant de la fédération allemande du chanvre: jusque là, « il ne faut pas que le consommateur dise au policier où il a acheté son cannabis », explique-t-il à l’AFP, puisqu’il n’y a pas encore de circuit légal.
– Jardins partagés du cannabis –
Les clubs, sortes de jardins partagés du cannabis, pourront cultiver la drogue. Contrôlée par les autorités, chaque association pourra accueillir, moyennant une cotisation, au maximum 500 personnes qui résident depuis au moins 6 mois en Allemagne.
Nombre de représentants des professionnels de santé ont dit craindre une augmentation de la consommation, particulièrement chez les jeunes.
Jusqu’à 25 ans, la consommation de cannabis comporte des risques accrus pour le cerveau encore en formation, selon les experts.
Selon le gouvernement, la nouvelle législation, ardemment voulue par écologistes et libéraux de la coalition du chancelier social-démocrate Olaf Scholz, devrait permettre de lutter plus efficacement contre les trafics.
Le cannabis « sort de la zone taboue », a salué lundi le ministre de la Santé Karl Lauterbach, médecin de profession, sur le réseau social X. « C’est mieux pour une véritable aide aux toxicomanes, pour la prévention auprès des jeunes et pour la lutte contre le marché noir (…) », a-t-il ajouté.
– Interdit aux moins de 18 ans –
Il a promis des moyens renforcés pour sensibiliser les jeunes aux dangers du cannabis, sans pour autant annoncer de montants précis. La consommation, réservée aux majeurs, est interdite dans un rayon de 100 mètres autour des écoles, des crèches, des terrains de jeux.
Les policiers craignent un « monstre bureaucratique avec beaucoup de réglementations parcellaires », selon le président du syndicat de branche (DPolG), Rainer Wendt.
« A partir du 1er avril, nos collègues vont se retrouver dans des situations de conflit avec les citoyens, car l’incertitude règne de part et d’autre », explique le vice-président du syndicat de la police (GdP), Alexander Poitz.
La Fédération des juges allemands (DRB) anticipe un surcroît de travail: en raison des amnisties découlant de la loi pour les délits liés au cannabis, il va falloir réexaminer plus de 200.000 dossiers.
La phase de transition va entraîner une « augmentation ponctuelle de la charge de travail » pour la police et la justice mais à long terme, elle « sera allégée », a promis le ministre de la Justice, Marco Buschmann, dans une interview lundi au groupe de médias RND.
Selon lui, la politique répressive a « imposé une lourde charge à la police et aux procureurs mais n’a en réalité guère empêché la consommation, poussant les consommateurs vers les dealers de produits de mauvaise qualité et de drogues dures ».