Entrer en guerre est assez linéaire, en sortir est beaucoup plus improbable, conviennent les analystes du monde entier. Parmi les scénarios possibles en Ukraine, cinq reviennent régulièrement dans leurs projections, elles-mêmes frappées d’incertitudes.
Poutine tombe
C’est le scénario dont rêvent les Occidentaux. En frappant l’économie russe de sanctions élaborées depuis novembre, avec un nouveau train en cours de préparation, ils entendent fragiliser Vladimir Poutine jusqu’à provoquer sa chute.
L’armée pourrait décider de ne plus le suivre, le peuple se révolter face à une crise économique majeure, les oligarques s’éloigner après la saisie de leurs avoirs. Mais la perspective reste confuse.
« Un changement de régime en Russie peut sembler la seule porte de sortie dans cette tragédie. Mais (…) cela n’est pas plus susceptible d’améliorer les choses que de les empirer », écrit sur son compte Twitter Samuel Charap, chercheur à la RAND corporation.
« Le scénario d’un successeur libéral réformateur implorant le pardon pour les pêchés de Poutine serait génial mais ce serait génial aussi de gagner au loto », ironise-t-il.
Même prudence du côté d’Andrei Kolesnikov, du Carnegie Center, qui constate que Poutine, selon des analyses indépendantes, reste populaire. Et « pour le moment, la pression financière occidentale sans précédent » a transformé la classe politique russe et les oligarques « en supporters indéfectibles » de leur chef.
L’Ukraine soumise
C’est cette fois le scénario écrit par Poutine. L’armée russe est supérieure et pourrait le conduire à soumettre l’Ukraine. Mais les difficultés semblent à beaucoup insurmontables.
« C’est une guerre que Vladimir Poutine ne peut pas gagner, quelle que soit sa durée et la cruauté de ses méthodes, assure l’historien britannique Lawrence Freedman, du King’s College de Londres. « Entrer dans une ville n’est pas la même chose que la tenir. »
Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), expose plusieurs alternatives.
Annexion pure et simple ? « Cela n’a peu près aucune chance de se produire » écrit-il. Division de l’Ukraine, comme la Corée ou l’Allemagne en 1945 ? A peine plus plausible, selon lui. Reste l’option où « la Russie parvient à battre les forces ukrainiennes et installer un régime fantoche à Kiev ».
L’enlisement
Les Ukrainiens ont surpris les Russes, l’Occident, eux-mêmes peut-être, avec une mobilisation totale, même si destructions et pertes sont massives.
« L’Etat, l’armée, l’administration ne se sont pas effondrés », constate un diplomate occidental. Contrairement au discours de Poutine, « la population n’accepte pas les Russes comme des libérateurs », ajoute-t-il, évoquant « probablement dans la chaîne militaire russe des difficultés qu’il est trop tôt pour qualifier ».
La résistance est en outre portée par Volodymyr Zelensky, un ex-comique devenu président de l’Ukraine qui a stupéfait le monde par son sang-froid et son courage.
Soutenues par les services de renseignement occidentaux et des livraisons d’armes, les forces ukrainiennes peuvent entraîner leur adversaire dans un conflit urbain destructeur mais où la connaissance du terrain sera décisive. Or l’expérience montre que les guérillas sont rarement défaites.
Le conflit s’étend
L’Ukraine partage ses frontières avec quatre membres de l’Otan jadis membres du bloc soviétique, pour lequel Poutine ne cache pas sa nostalgie. Après avoir absorbé le Bélarus, envahi l’Ukraine, peut-il regarder du côté de la Moldavie, petit Etat coincé entre l’Ukraine et la Roumanie, voire la Géorgie, sur la côte Est de la mer Noire ?
Moscou pourrait tenter de rompre les équilibres de sécurité européens et transatlantiques « en provoquant des incidents aux frontières de l’Europe » ou via notamment des cyberattaques, estime Bruno Tertrais.
Mais la Russie osera-t-elle défier l’Otan et son article 5, qui impose à l’alliance de répondre si un membre est attaqué ? « Peu probable tant les deux parties veulent l’éviter », avance Pascal Ausseur, ex-amiral, directeur de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES).
Pour autant, « la rentrée de forces russes dans un pays de l’Otan, la Lituanie par exemple pour relier Kaliningrad (au Bélarus) reste envisageable », précise-t-il à l’AFP.
« Une méprise ou un accrochage sont également possibles aux frontières (européennes) de l’Ukraine ou en mer Noire, où de nombreux aéronefs et navires de guerre sont déployés dans un espace restreint et une ambiance électrique. »
La confrontation nucléaire
Poutine a fait monter les enchères en plaçant en « état spécial d’alerte » ses forces nucléaires dimanche dernier, déclaration à la fois inquiétante et sans substance réelle – une partie des armes nucléaires sont constamment utilisables en un rien de temps.
De là, deux types d’opinions. Celles portées notamment par Christopher Chivvis (Carnegie) pour qui une bombe, fut-elle « tactique » et donc d’impact localisé, pourrait être utilisée.
« Franchir le seuil nucléaire ne signifierait pas nécessairement (…) une immédiate guerre thermonucléaire mondiale. Mais elle constituerait un tournant extrêmement dangereux dans l’Histoire du monde », écrit-il.
D’autres, comme Gustav Gressel, du Conseil européen des relations internationales (ECFR), sont plus rassurants.
« Il n’y a pas de préparation côté russe pour une frappe nucléaire », estime t-il. Les annonces de Poutine « sont essentiellement destinées aux publics occidentaux pour nous faire peur ».