La contre-autopsie pratiquée par le médecin légiste français Dr Pierre Perich sur la dépouille de Steeve Jacquelin Juliette pourrait constituer un tournant décisif dans l’enquête judiciaire qui se déroule devant la Cour de district de Pamplemousses. Les conclusions de cet exercice crucial, attendues en Cour mercredi prochain, pourraient enfin lever le voile sur les circonstances dramatiques entourant la mort de cet habitant de Cité Sainte-Claire, Goodlands, survenue en janvier 2023.
Une affaire relancée par les « Misie Moustass Leaks »
La mort brutale de Jacquelin Juliette avait initialement été traitée comme un décès naturel. Mais en octobre et novembre 2024, les « Misie Moustass Leaks » – fuites massives de conversations et de documents – ont révélé de graves irrégularités dans le traitement de cette affaire, ce qui avait déjà été dénoncé par Me Valayden, l’avocat de la famille Juliette. Parmi ces éléments troublants :
Une bande sonore d’une conversation entre l’ancien commissaire de police Anil Kumar Dip et le Chief Police Medical Officer, Dr Sudesh Kumar Gungadin, dans laquelle des directives suspectes auraient été données pour maquiller les causes du décès.
Une vidéo montrant l’agression sauvage de Jacquelin Juliette par des officiers de l’ADSU, circulant sur les réseaux sociaux.
L’absence de preuve d’un mandat d’arrêt le jour de l’intervention policière.
Des témoignages faisant état de pressions sur la famille pour éviter toute contre-autopsie et de signatures obtenues sur des documents vierges.
Face à ces révélations accablantes, le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) a ordonné la réouverture du dossier et sollicité une enquête judiciaire approfondie.
Le jeudi 24 avril 2025, sur ordre de la magistrate Neela Ramdewor-Naugah, la dépouille de Steeve Jacquelin Juliette a été exhumée du cimetière de Poudre-d’Or. L’opération, menée par la Special Mobile Force (SMF) et supervisée par le Scene of Crime Office (SOCO), s’est déroulée en présence de nombreux acteurs clés : Me Nataraj Muneesamy représentant du DPP, les avocats de la famille Juliette (Mes Rama Valayden, Sanjeev Teeluckdharry et Anoup Goodary), ainsi que plusieurs médecins légistes, dont le Dr Perich lui-même et le Dr Gert Saayman, pathologiste sud-africain agissant comme « Watching Brief » pour la police.
Recouvert d’une bâche verte, le cercueil a été transféré à la morgue du Sir Seewoosagur Ramgoolam National Hospital. Le Dr Perich a entamé l’exercice de contre-autopsie dans l’après-midi, indiquant que malgré un cercueil légèrement vermoulu, l’exhumation s’était déroulée sans incident.
Deux experts de renommée internationale
Le choix du Dr Pierre Perich, ancien médecin militaire français, chargé de cours à l’Université d’Aix-Marseille et expert auprès de la Cour pénale internationale, témoigne de la volonté du DPP d’apporter une expertise indépendante et rigoureuse. Le Dr Gert Saayman, Professor Emeritus en médecine légale à l’Université de Pretoria, apporte également son regard d’expert pour assurer la transparence du processus.
Soupçons renforcés par des contradictions policières
Les éléments réunis en Cour jusqu’à présent renforcent les soupçons de dissimulation :
Le policier PC Horeesoran, chargé d’enregistrer certaines dépositions, a reconnu une « erreur » de diagnostic en Cour, sans pouvoir s’expliquer.
La sœur de la victime, Sweta Juliette, a affirmé n’avoir jamais rencontré Horeesoran, ni signé le document en question.
Ironie tragique, ce même policier avait été décoré en mars 2023 pour « bons et loyaux services ».
Depuis janvier 2023, la famille Juliette – représentée notamment par la veuve, la mère et les sœurs de Steeve – lutte pour que la vérité éclate. Elles n’ont cessé de dénoncer les pressions et les tentatives d’étouffement de l’affaire. Lors de l’exhumation, leur émotion était palpable. Pour elles, la contre-autopsie représente une ultime lueur d’espoir pour que justice soit enfin rendue.
Une décision judiciaire lourde d’enjeux
Si le rapport du Dr Perich confirme l’hypothèse de violences fatales, les conséquences pourraient être lourdes, tant sur le plan judiciaire que politique. La responsabilité de plusieurs acteurs clés de l’époque de l’ancien gouvernement Jugnauth serait engagée. Le bureau du DPP avait déjà estimé qu’il existait des « strong indications of foul play », justifiant ainsi la réouverture de l’affaire et l’exhumation du corps.
L’audience prévue mercredi prochain pourrait ainsi marquer un moment historique : celui où, après des mois d’attente et d’indignation publique, la vérité judiciaire pourrait commencer à émerger.
