Sarah, 40 ans, mère d’une adolescente tombée enceinte avoir été abusée par son père de 44 ans, veut faire entendre sa voix. Parler, dit la maman de la jeune fille, est important, d’une part, pour sensibiliser à la souffrance et aux dégâts causés par la violence sexuelle sur un enfant. Et d’autre part, pour dénoncer le mécanisme de soutien dysfonctionnel offert par la Child Development Unit. Durant les épreuves qu’elle traverse, Sarah relate avoir eu à faire face à des situations incompréhensibles, telle l’arrestation de son mari qui a eu lieu plusieurs jours après la déposition de sa fille. Depuis, en liberté conditionnelle, ce dernier serait, affirme-t-elle, un danger pour d’autres mineures. Sarah insiste : “Il est un pédophile en liberté ! Ce qui n’est pas normal.”
En attendant que cette affaire passe à la Children’s Court, Sarah a en parallèle entamé des procédures de divorce. Là aussi, c’est un combat, dit-elle, auquel les autorités devraient prêter attention quand ces procédures impliquent des mères dans sa situation. Si Sarah lance un appel à l’aide psychologique, c’est aussi parce que sa fille abusée depuis ses sept ans, dyslexique et scolarisée, nécessite une prise en charge soutenue pour se reconstruire. La jeune fille, qui a dû subir un avortement thérapeutique par césarienne en raison d’une grossesse extra-utérine, avait passé pratiquement un mois à l’hôpital.
Onze mois après avoir découvert que sa fille a été victime d’inceste, pendant sept ans, Sarah (nom modifié) vit, dit-elle, une épreuve qu’elle n’arrive pas à surmonter seule. Lorsque cette affaire, qui avait fait les titres des faits divers, a éclaté en janvier dernier, son monde s’est écroulé et elle n’a eu ni la force et ni le temps de témoigner de son désarroi. Aujourd’hui, avance-t-elle, elle se doit de sortir de son mutisme pour trouver de l’aide. Elle a pourtant essayé de se confier à son entourage. Mais elle s’est heurtée à des préjugés. Et surtout des reproches “pour n’avoir rien vu venir.” Sarah reconnaît avoir “trouvé normal” quand son époux passe ses nuits dans la chambre de sa fille depuis qu’elle est enfant.
“Parce qu’un père, dit-elle, ne devrait pas faire de mal à sa fille.”
Convaincue que l’enfant avait peur de dormir seule, Sarah trouvait même cela rassurant. Elle qui n’a pas connu d’affection paternelle ne s’est jamais douté que son mari profitait de ces moments pour voler l’enfance de sa fille. “Qui plus est, ma fille ne voulait pas dormir dans ma chambre.” Mais lorsque l’adolescente a raconté dans sa déposition de plusieurs pages, précise Sarah, que les agressions avaient débuté quand elle avait 7 ans, elle a compris qu’elle avait laissé la porte de la bergerie grande ouverte au loup et elle s’en est voulue.
Comment recoller deux vies brisées, celle de son enfant et la sienne ? Comment retrouver sa place de mère auprès d’une adolescente meurtrie, introvertie, et qui, sous l’emprise de son père violeur, l’a rejetée. “La communication est un obstacle” entre nous, concède Sarah en poursuivant : “Il a tué mon enfant.” Les dommages subis par la jeune fille sont profonds. “Je suis frustrée, anéantie, triste, en colère, démolie… tout cela à la fois. Mais je n’arrive pas à extérioriser ce que je ressens au plus profond de moi. C’est comme cela depuis le jour où j’ai appris toute la vérité autour de la grossesse de ma fille. Je n’ai pas eu le temps d’avoir des émotions. J’ai poursuivi ma vie sans que je n’aie eu le temps de me poser et pleurer toute la tristesse que je ressens jusqu’à maintenant. Je n’ai pas arrêté de réfléchir. Je pense à l’avenir de ma fille : comment parviendra-t-elle à vivre avec ça ; si elle sera heureuse ou mère ?”, confie Sarah.
Après avoir rassemblé des pièces d’un sordide puzzle, la mère de famille dit comprendre certaines phrases et le comportement de son mari envers sa fille. Ce père, qu’elle pensait aimant et protecteur, n’était en somme qu’un monstre machiavélique. Il y a quelques jours, son benjamin, âgé de 10 ans, lui a lancé une réflexion qui résonne encore dans sa tête : “Il m’a dit : Maman tu sais, nous ne sommes pas une famille normale. Il a raison.”
En janvier dernier, à la veille de la rentrée des classes, Sarah et sa fille se rendent au magasin pour acheter le matériel scolaire de celle-ci. Prise d’un malaise, l’adolescente perd connaissance. “J’étais alors très inquiète. Comme nous n’étions pas loin d’un hôpital, je l’y ai conduite”, raconte Sarah. Elle prévient alors le père de sa fille, qui la rejoint. La collégienne est admise à l’hôpital. La première prise de sang et d’urine révèle que la jeune fille est enceinte. Tandis que Sarah refuse catégoriquement d’admettre les résultats, son époux, lui, reste calme. Face à la réaction de Sarah, le personnel lui propose une deuxième analyse, qui s’avère également positive. S’ensuit une échographie, mais le fœtus n’est pas visible.
Le personnel médical, certain que la jeune fille est enceinte, explique à sa mère qu’une échographie transvaginale doit être effectuée pour situer le positionnement du fœtus. Mais en attendant cet examen, l’hôpital étant face à une grossesse juvénile, déclenche le protocole appliqué dans cette situation, à commencer par des questions sur le géniteur du bébé. “On insistait pour qu’elle nous dise qui était son petit copain. Ma fille refusait de décliner son identité et moi, certaine qu’elle ne fréquentait personne, j’étais doublement inquiète”, raconte Sarah, entretemps seule à l’hôpital, son mari étant parti. L’échographie transvaginale devait révéler que le fœtus se trouvait dans une trompe de Fallope. Devant les faits, la jeune fille dévoile tout à la police. Elle raconte que son père abusait d’elle depuis qu’elle a 7 ans et même que les rapports sexuels étaient réguliers.
Tandis que Sarah s’attendait à ce que la police interpelle son mari, elle tombe des nus quand elle apprend que celui-ci n’a pas été inquiété pendant quelques jours. Il se serait même permis d’aller voir sa fille discrètement à l’hôpital. Il aurait été mis en état d’arrestation que lorsqu’il s’est présenté au poste de police de sa localité. “Il avait été informé par ses connaissances que la police l’attendait au poste. Il a pris les devants en y allant”, s’indigne Sarah. Et pendant qu’il était en cellule, puis transféré à la prison de Beau-Bassin, sa fille a subi un avortement thérapeutique. Cette décision avait été prise, car le fœtus ne pouvant se développer dans le cas d’une grossesse extra-utérine, il y allait de la survie de l’adolescente. Elle aura passé en tout quatre semaines à l’hôpital, ne reprenant le collège que deux mois après la rentrée des classes. “Actuellement, il est en liberté conditionnelle. Est-ce que la justice peut garantir qu’un pédophile ne fasse pas de tort à d’autres mineurs ? C’est un pervers pédophile qui est en liberté, ce n’est pas normal !”, s’indigne Sarah.
Sarah explique qu’elle avait décidé de se séparer de son mari, il y a quelques années, après avoir été victime de violences domestiques répétées. “Peu de temps après notre mariage, il s’est montré indifférent, irresponsable, et passait beaucoup de temps à faire la fête. J’ai toujours été la seule à payer les factures, à faire tourner la maison et à m’occuper des enfants. Ma fille avait 4 ans lorsque mon fils est né. C’est à ce moment-là que j’ai découvert des photos de très jeunes filles sur son portable et qu’il flirtait avec une collégienne. Il s’est embrouillé dans des explications qui ne tenaient pas debout”, raconte Sarah, qui décide néanmoins de faire table rase de cet épisode. Mais entre les deux époux, plus rien ne va. Ce n’est pas seulement le ton qui monte, Sarah subit également des coups à la tête, au corps… “Je restais, malgré tout, parce que je n’avais nulle part où aller”, dit-elle.
Petite, sa fille, était très proche d’elle et ne la quittait pas d’une semelle, jusqu’à ce qu’elle commence à prendre ses distances et que l’école informe Sarah qu’elle a des difficultés d’apprentissage. La psychologue scolaire lui explique que la jeune fille est “incapable de montrer de l’émotion.” Sarah attribue l’indifférence de sa fille envers elle à ses difficultés scolaires. En grandissant, Sarah remarque que sa fille montre de plus en plus d’attachement envers son père. “Mon mari et moi ne vivions plus ensemble maritalement. Nous avions séparé notre maison commune en deux parties pour lui et moi-même, respectivement. Ma fille, qui pouvait rester avec moi, allait dormir chez son père. Encore une fois, je mettais cette relation sur le compte de la complicité entre eux, d’autant que je travaillais beaucoup”, se défend la mère de famille. “Je n’avais plus ma place dans ce foyer déjà brisé. Je n’étais plus la mère et encore moins l’épouse. Il l’avait manipulée affectivement”, confie Sarah, décontenancée. Elle raconte que, plusieurs fois, les discussions avec sa fille tournaient en disputes, durant lesquelles celle-ci l’agressait physiquement. “Si ces disputes se passent en présence de son père, elle s’en prenait à lui aussi”, avance Sarah.
Sarah a coupé tout contact avec son époux. D’ailleurs, elle avoue souhaiter se “débarrasser” au plus vite du nom de ce dernier et de tout lien à lui. “J’ai entamé des procédures de divorce. Toutefois, je ne suis pas éligible à une assistance légale à cause de mon salaire. Je suis une mère qui élève seule mes enfants. Je travaille dur. Je n’ai pas assez de moyens pour payer une thérapie pour ma fille qui en a grandement besoin, voire pour moi aussi. Où vais-je trouver de l’argent pour payer un avoué et un avocat pour pouvoir divorcer ? Il n’y a aucune aide pour les femmes qui sont dans ma situation”, se désole-t-elle.
En termes de soutien psychologique, Sarah ne cache pas, non plus, son désarroi. Depuis que la CDU a ouvert un dossier sur sa fille, “il n’y a eu quasiment pas de prise en charge psychologique, ni de suivi social”, affirme-t-elle. “À son deuxième rendez-vous, une préposée de la CDU m’a dit que ma fille se remettait et qu’elle avait déjà surmonté son traumatisme. Comment cela est-il possible après sept ans d’abus et de manipulation affective ?”, se demande Sarah. Ne sachant à quelle porte frapper pour trouver de l’aide psychologique pour sa fille, elle s’est rendue à l’hôpital psychiatrique. “Dans un premier temps, on voulait l’admettre. Ma fille n’est pas folle ! Elle a vu un spécialiste, mais n’a pu continuer ses séances qui coïncidaient avec l’école”, raconte Sarah qui espère trouver un/e spécialiste qui pourra encadrer sa fille. “Je voudrais tant qu’elle communique avec moi. Je viens de lui acheter une robe. Elle a refusé que je la regarde pendant l’essayage…”, soupire tristement la maman.