Sauvetage au forceps — Air Mauritius : une facture colossale…et des milliards qui échappent à la transparence

Le sauvetage d’Air Mauritius ressemble de plus en plus à un labyrinthe financier où les montants injectés se superposent, mais où certaines sommes demeurent mystérieusement introuvables. Si la conversion récente de Rs 8 milliards de dettes en actions a permis à la compagnie nationale de réduire sa “negative equity” à environ Rs 2 milliards, les interrogations persistent sur la traçabilité complète des fonds mobilisés depuis 2020.

- Publicité -

Un premier sauvetage clair

Depuis le choc brutal de la pandémie, l’État a mobilisé des moyens exceptionnels pour maintenir Air Mauritius à flot. Le soutien a d’abord pris la forme d’aides directes, bien identifiées : Rs 387 millions pour les salaires, Rs 170 millions pour sa filiale Airmate, près de Rs 1,9 milliard pour garantir les engagements auprès de l’IATA, et Rs 300 millions supplémentaires pour la trésorerie et le fret aérien. Ces montants, totalisant près de Rs 3 milliards, sont clairement établis dans les comptes publics.

- Publicité -

Les zones d’ombre du prêt via AHL

Mais c’est dans les montages plus complexes que le flou s’installe. En 2021, Airport Holdings Ltd (AHL), maison-mère d’Air Mauritius, a reçu un prêt de Rs 12 milliards. Sur ce montant, Rs 9,5 milliards ont été utilisés pour régler les créanciers de la compagnie, et Rs 2,5 milliards pour les dépenses courantes. Officiellement, cette somme de Rs 12 milliards était censée permettre à Air Mauritius de reprendre son envol.

- Advertisement -

Pourtant, une simple addition révèle que le compte n’y est pas. Selon les documents publics et les déclarations officielles, près de Rs 4 milliards restent aujourd’hui sans explication claire. Où sont passés ces milliards ? Leur utilisation précise n’a jamais été détaillée dans les rapports financiers ou les réponses parlementaires. Ce flou alimente les soupçons d’une gestion opaque de cette manne publique.

Le soutien indirect de la MIC n’a pas profité directement à MK

Le rôle de la Mauritius Investment Corporation (MIC), bras financier de la Banque de Maurice, ajoute une autre couche à cette nébuleuse financière. La MIC a injecté Rs 25 milliards dans le secteur aérien et aéroportuaire, mais cette somme n’est pas allée directement à Air Mauritius. Rs 12 milliards ont permis de rembourser des dettes publiques liées au Covid Projects Development Fund et au National Resilience Fund, tandis que Rs 13 milliards ont servi à racheter les actions de l’État dans Airports of Mauritius Ltd (AML) et d’autres entités publiques.

Ainsi, même si la MIC a soutenu l’écosystème global du transport aérien, Air Mauritius n’a bénéficié que de façon indirecte de ces fonds. La recapitalisation proprement dite de la compagnie repose donc essentiellement sur les apports via AHL, dont la transparence laisse à désirer.

Rs 2 milliards de déficit résiduel et des questions brûlantes

Aujourd’hui, malgré la conversion de dettes en actions et les promesses d’un retour à la rentabilité dès l’exercice 2025/2026, la compagnie reste fragile. Rs 2 milliards de déficit de fonds propres subsistent, et des discussions sont en cours pour combler ce trou. Le gouvernement n’écarte pas de solliciter une nouvelle fois la MIC pour sécuriser ce dernier volet du redressement financier d’Air Mauritius.

Mais l’empilement des aides et des prêts, conjugué à des transferts de fonds insuffisamment documentés, nourrit les doutes. En coulisses, les syndicats et certains créanciers s’interrogent sur la gestion réelle de la trésorerie de la compagnie. La part floue du prêt initial de Rs 12 milliards via AHL, notamment les Rs 4 milliards non justifiées à ce jour, cristallise les critiques. Les flux financiers complexes entre la Banque de Maurice, la MIC, AHL et MK ressemblent à un jeu de vases communicants qui complique sérieusement la lecture des comptes.

Kishore Beegoo, président du conseil d’administration d’Air Mauritius, reste optimiste. Il mise sur la rationalisation des opérations pour rétablir la situation, mais il sait que la confiance ne se restaurera pas uniquement avec des déclarations d’intention. Les partenaires financiers, les employés et l’opinion publique attendent des comptes clairs, précis et transparents.

À l’heure où Air Mauritius tente de repartir, la vraie question n’est plus seulement de savoir si la compagnie sera rentable, mais si les milliards injectés l’ont été de manière rigoureuse et traçable. La survie de l’entreprise dépend désormais autant de la performance commerciale que de la crédibilité de sa gouvernance financière.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour