— En prévision du budget 2022-23
— Avec la pomme de terre et les oignons à 25% plus chers, des craintes relevées face à des cascades de majoration de prix, et le Commerce et les Finances sous pression accentuée
— La fin du rationnement de l’huile interprétée comme une porte ouverte à une révision du prix au détail en éliminant toute accusation de Hoarding dans le circuit de distribution
— La prochaine réunion mensuelle du Petroleum Pricing Committee de la STC devra tenir en ligne de compte le baril au-dessus des $ 100, voire $ 120 en fin de semaine
« Karay So ! Me dilwil bouyant pli divan ! Pa koze ! » C’est ce qui résume le mood des ménages avec l’escalade de la hausse des prix au détail depuis le début de cette année. Dans la conjoncture, deux ministres, à savoir celui du Commerce et également de Finances, Soodesh Callichurn et Renganaden Padayachy, se retrouvent sous des pressions accrues. D’une part, pour contenir les demandes de réajustement à la hausse des prix des denrées de première nécessité. D’autre part, pour allouer des fonds nécessaires sous forme de subsides en vue de maintenir les prix au détail, évitant un affolement de l’indice du coût de la vie (CPI). Le signal donné par le conseil des ministres de vendredi, en majorant les prix de deux produits de consommation courante d’une extrême sensibilité, soit le demi-kilo de la pomme de terre et des oignons, passant de Rs 20 à 25, représentant une hausse de 25%, est diversement interprété. Même si l’unanimité se fait autour de l’hypothèse que le mois d’avril s’annonce extrême chaud sur le front des prix. En sus de cela, des appréhensions sont exprimées par rapport aux délibérations sur les prix du carburant à la pompe avec la prochaine réunion mensuelle du Petroleum Pricing Committee (PPC) de la State Trading Corporation (STC) en cette fin de mois. Tout semble indiquer que les projections de headline inflation à 6,7% pour 2022 du Monetary Policy Committee de la Banque de Maurice sont considérées comme étant nettement underestimated dans la conjoncture.
Vendredi après-midi, après le conseil des ministres, Soodesh Callichurn, qui avait à ses côtés un autre membre du gouvernement, a préféré se concentrer sur la fin du rationnement de deux litres d’huile par client passant à la caisse. Une décision qui, depuis le début, n’avait fait aucun sens et encore moins aucune efficacité pour lutter contre le panic buying chez les consommateurs. Pourtant, Soodesh Callichurn et son collègue sévissant au QG du Sun Trust n’avaient pas osé informer la population que les prix de la pomme de terre et des oignons avaient été majorés de Rs 5 par demi-kilo, soit une hausse de 25%.
Cette décision relevant du ministère de l’Agro-Industrie au profit de l’Agricultural Marketing Board (AMB), qui fait partie du communiqué officiel du conseil des ministres au paragraphe 11, se justifie par la hausse du fret maritime. C’est ce qu’annonce le gouvernement. En sus de cette majoration de prix, le ministère de Maneesh Gobin envisage de ne pas allouer de permis d’importation de ces deux denrées à des opérateurs du privé, avec l’AMB détenant désormais le monopole pour en approvisionner le marché.
« Cette augmentation des prix de la pomme de terre et des oignons aura à coup sûr un impact conséquent sur le CPI, alors que le gouvernement aurait bien pu atténuer leur choc sur les prix avec des subsides au seul bénéfice du consommateur. Le recours à cette hausse massive donne une indication de l’état des finances publiques, sujettes à une opération nommée Grate Kot Kapav (GKK). Elle constitue également le fait que le mur de résistance contre la forte tendance de hausse de prix s’est complètement fragilisé et que demain le pire est à prévoir », souligne-t-on dans les milieux bien informés.
Ainsi, l’élimination de la limite de deux litres f’huile comestible par client à la caisse des supermarchés et des boutiques après seulement une semaine d’application est en prélude à une prochaine majoration de prix. Il n’est un secret pour personne que, depuis quelque temps déjà, les opérateurs de ce secteur sont en quête d’une révision de leur marge. « Maintenant que l’huile est de nouveau en vente libre, les nouveaux prix pourraient être mis en pratique dans un prochain temps. En effet, les risques d’être pointés du doigt pour hoarding officiel d’huile comestible pour des windfall gains ne font que s’estomper », ajoute-t-on.
Nouveau coup dur
Néanmoins, le potentiel dérapage du coût de la vie, avec un nouveau coup dur au pouvoir d’achat du Mauricien, se profile déjà. En effet, en dépit de la double hausse maximale de 10% des prix pétroliers à la pompe en deux mois en ce début d’année, les comptes de la State Trading Corporation (STC), et en particulier le bottomline du Price Stabilisation Fund, sont encore bien loin de retrouver une certaine stabilité. Ce n’est pas le ministre Callichurn qui dira le contraire.
La STC continue de faire face à une équation explosive au sujet du financement des importations pétrolières, d’autant que le cours mondial du baril de pétrole continue d’évoluer au-dessus de la barre psychologique des 100 dollars US pour remonter à 120 dollars comme il a été le cas en fin de semaine. La prochaine réunion du Petroleum Pricing Committee risque de déboucher sur le cauchemar de voir le litre de carburant passer au-dessus des Rs 65, soit un seuil intolérable avec un possible 30% de hausse cumulée en un trimestre, alimentant l’inflation, soit la taxe implacable sur la consommation.
D’ailleurs, les minutes of proceedings de la dernière du Monetary Policy Committee de la Banque de Maurice en date du 9 mars dernier et publiés cette semaine notent que « the openness of the Mauritian economy means that inflation is influenced, to a great extent, by pressures stemming from outside, mainly hikes in freight costs as well as soaring prices of energy and of other commodities ».
Plus loin, cette instance de la Banque centrale relève, toujours au chapitre de l’inflation, avec des conséquences sur le pouvoir d’achat, que « over the medium term, inflation may be sustained by the second-round impact of recent price hikes, namely petroleum prices ». L’invasion de l’Ukraine par la Russie vient se greffer sur cette situation, avec la Banque de Maurice soutenant que « the longer the duration of the war, the more likely it is that global inflation will persist for some time and will influence inflation in Mauritius ». De ce fait, le pouvoir d’achat des consommateurs restera toujours être encore sous menace.
Par contre, la Banque de Maurice fait abstraction d’un facteur critique et déterminant dans son analyse des paramètres ayant des répercussions sur l’inflation. Les minutes of proceedings de la réunion du Monetary Policy Committee font l’impasse sur le volet de la dépréciation de la roupie par rapport aux principales devises étrangères. Que ce soit pour le règlement de la note d’importation ou encore le paiement du fret, le taux de change de la roupie pèse de tout son poids sur le montant final à débourser.
Dépréciation de la roupie
Par contre, la dernière édition du Monthly Statistical Bulletin de la Banque de Maurice pour le mois de février dernier se contente d’une phrase succincte à l’effet que « between January and February 2022, the rupee depreciated against the US Dollar, Euro and Pound Sterling » . Mais les tableaux comparatifs des annexes de ce document démontrent que de février de l’année dernière à février dernier, l’évolution du taux de change de la roupie par rapport aux major trading partners s’est nettement détérioré, avec des implications au niveau des prix au détail comme suit :
la livre sterling a connu une dépréciation moyenne de 11,2%, passant de Rs 52,0189 à Rs 58.5844
le rand sud-africain avec une dégringolade de 15,3%, de Rs 2.4839 à Rs 2.9317
le dollar australien avec 10,4%, soit de Rs 28.5480 à Rs 31.8503
le dollar néo-zélandais avec 10,9%, soit de Rs 26.8014 à Rs 30.0675
le dollar singapourien avec 7,5%, soit de Rs 29.5177 à Rs 31.9259
l’euro s’affiche avec un taux de dépréciation de 6,7%, soit de Rs 46.6186 à Rs 49.9686
la roupie indienne avec 6,3%, soit de Rs 5.4815 à Rs 5.8475 et
le dollar américain avec 5,8%, soit de Rs 40.1389 à Rs 42.6032.
Au cours de cette même période, les interventions de la Banque de Maurice sur le marché des devises ont nécessité un débours de 920 millions de dollars américains, avec la range of intervention ask rates en constante hausse, passant de Rs 39.70/Rs 39.75 le dollar américian en février 2021 à Rs 43.15 en moyenne pour le mois dernier. Cela représente une variation de 8,7%.
Même s’il n’y a aucune contestation quant au pourcentage du taux de dépréciation de la roupie, un renversement de tendance au niveau du montant des réserves de devises inquiétant se manifeste depuis le début de cette année. Jusqu’ici, cet indicateur de l’économie était présenté comme un signe de résilience de l’économie en dépit des effets du Covid-19 sur l’économie. « The Gross Official International Reserves (GOIR) of the country decreased from Rs 354,4 billion (equivalent to US 7 9120 million) as at end-January 2022 to Rs 341,1 billion (equivalent to USD 7 751 million) as at end-February 2022 », note le Monthly Statistical Bulletin de février dernier.
Ainsi, sur la base de la valeur des importations de biens et services de 2020, les réserves de devises à la fin de février représentent 20 mois d’importation, contre 20,2 en janvier de cette année. Mais le tableau pourrait être complètement différent si les prix à l’importation sont ajustés à ceux du marché actuellement. Mais la Banque de Maurice, en dépit de cette nouvelle tendance, pourra toujours avancer que le niveau des réserves est en progression par rapport aux 17,2 mois de février 2021.
Indépendamment de la posture de la Banque de Maurice ou de l’Hôtel du Gouvernement, les importateurs savent pertinemment bien qu’à chaque consignation de marchandises débarquant au port ou au Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport , ils devront aligner davantage de roupies contre des devises étrangères de plus en plus difficiles à négocier aux comptoirs des banques commerciales.
Abus des prix
Toutefois, le trickle down effect se fera sentir irrémédiablement sur le pouvoir d’achat des ménages devant la pression exercée par les importateurs et les commerçants. Face à la menace de la pénurie sur le marché, l’Hôtel du Gouvernement et plus particulièrement le ministère du Commerce seront acculés à céder en fixant de nouveaux prix ou marges en faveur des commerçants.
Dans la waiting list des demandes de révision à la hausse des prix se trouvent déjà le pain quotidien, avec les propriétaires de boulangeries faisant preuve d’impatience, ou encore ceux du lait en poudre. Après la pomme de terre et les oignons, prix contrôlés, le gouvernement pourrait être tenté de passer une partie de la hausse de la bonbonne de gaz de 12 kilos, dont le prix est de Rs 680, mais vendue à Rs 180, aux ménages.
Et quid des tarifs du Central Electricity Board, dont la facture d’importation d’huile lourde pour faire fonctionner les centrales thermiques ne cesse de gonfler au fil des mois ? Au ministère de l’Énergie, l’on tente de réconcilier la gestion des finances de ce corps paraétatique, avec pour objectif de lui assurer la marge de manœuvre en vue de satisfaire la demande en énergie électrique et l’urgence d’assurer une protection à ceux au bas de l’échelle avec des tarifs d’ordre social. Des propositions devront être avalisées avant qu’il ne soit trop tard.
Le timing de ces augmentations et le mix des subventions à partir des fonds disponibles dans le budget restent encore à être déterminés au niveau de Lakwizinn du Prime Minister’s Office, avec le mois d’avril déjà derrière la porte. Mais entre-temps, les consommateurs doivent affronter d’autres astuces relevant du mercantilisme.
Le circuit des pharmacies privées est pointé du doigt en termes d’abus des prix médicaments, qui ne font qu’être révisées à la hausse de manière systématique. La question a été évoquée par des syndicalistes avec le ministre Padayachy, lors du coup d’envoi des consultations budgétaires, avec pour demande urgente un système de contrôle des prix. Mais au même moment, le Pharmacy Board, se prévalant des Professional Responsibility of the Pharmacy Council (Code of Practice) Regulations 2021, a annoncé qu’à partir de ce 1er avril, un professional fee de Rs 100 sera réclamé par prescription de dangerous drugs ou d’antibiotiques, ou encore un même montant de Rs 100 sous forme de counselling fee à tout client visitant la pharmacie.
Faut-il encore occulter les frais d’au moins 1% réclamés aux automobilistes s’approvisionnant en carburant et payant par cartes bancaires. Ce montant représente les charges imposées par des banques commerciales pour traiter ces transactions. En tout cas, force est de constater que le pouvoir d’achat des ménages est désormais sous menace constante qu’importe la promesse du ministre des Finances que le prochain budget de juin prochain devra assurer le social…