Un National Policy Dialogue pour tâter le pouls du secteur manufacturier réunit des acteurs des secteurs privé et public pour un état des lieux et élaborer le Way Forward.
Ce secteur, un des piliers du développement de Maurice, car contribuant à 13,3% à la valeur ajoutée brute de l’économie et employant 94 000 personnes, fait face à la crise découlant de la pandémie de Covid-19, mais aussi à des répercussions de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les discussions devront déboucher sur des propositions pour le développement et asseoir les bases de la manufacture.
La tenue de ce National Policy Dialogue, organisé conjointement par l’United Nations Economic Office for Africa (UNECA) et le ministère du Développement industriel, intervient à un moment où ce secteur lutte contre vents et marées pour assurer sa compétitivité dans un monde de plus en plus compétitif. « Ce n’est pas le moment de se reposer sur ses lauriers. Nous devons réévaluer le contexte actuel dans lequel le secteur manufacturier évolue afin de proposer un écosystème économique adapté pour donner un nouvel élan et une plus grande résilience à nos entreprises manufacturières. Nous devons nous pencher sur la situation critique de notre secteur manufacturier, évaluer l’efficacité de nos mesures politiques et identifier les nouveaux défis qui pourraient amener le secteur vers de nouveaux sommets de croissance », souligne le ministre du Développement industriel, Sunil Bholah, en faisant ressortir que ce dialogue est crucial pour le développement du secteur.
L’un des sous-secteurs, soit le textile, qui se présente comme l’élément clé de la manufacture, est davantage plus exposé à la concurrence. Face à la libéralisation commerciale dans le textile et l’habillement suite au démantèlement du Multi Fibre Agreement, en 2004, la crise financière, en 2007, le Brexit et, maintenant, le Covid-19, sont venus s’ajouter aux difficultés. Mais pour le ministre Bholah, les entrepreneurs mauriciens ont su faire preuve de résilience malgré les défis présents.
« Le secteur du textile et de l’habillement a été le fer de lance de la performance exceptionnelle du secteur des entreprises orientées vers l’exportation dans le pays au cours des cinq dernières décennies. Ce secteur s’est fortement investi pour rester le principal sous-secteur des entreprises orientées vers l’exportation et a réussi à maintenir notre avantage concurrentiel dans l’exportation de nos articles d’habillement », se félicite-t-il. Le National Policy Dialogue a aussi comme objectif d’évaluer les réalisations du secteur manufacturier suite à la publication de l’Industrial Policy & Strategic Plan (IPSP), dont l’objectif est d’insuffler un nouvel élan et une nouvelle orientation au secteur manufacturier.
Les discussions vont aussi permettre d’évaluer l’impact des différents régimes, mesures budgétaires et incitatives à la disposition des opérateurs de la manufacture.
L’ouverture de cette première journée de discussions avait aussi vu la participation d’organismes étrangers, qui soutiennent Maurice à différents niveaux. Isatou Gaye, Chief Sub Regional Initiatives Section, avance ainsi que la valeur ajoutée brute du secteur manufacturier local n’a connu qu’une croissance de 0,8% de 2014 à 2018, alors que sa contribution est à deux chiffres depuis les années 80. « Le secteur manufacturier mauricien est arrivé à la croisée des chemins et doit s’engager dans un nouveau parcours de croissance de la productivité.
Une production haut de gamme et de haute qualité pour attirer de nouveaux segments de marchés clients ou des niches inexplorées », dit-elle, tout en ajoutant que le secteur du textile et de l’habillement a toujours été l’un des secteurs dominant.
Robert Banamwama, Strategic Planning & Team Leader à l’Office of the United National Resident Coordinator, rappelle que Maurice est vulnérable dans le contexte économique mondial courant. Pour lui, il est important pour Maurice de garder sa résilience. Pour que le pays puisse poursuivre le développement de son secteur manufacturier, il demande de prendre en compte l’environnement. « Il nous faut une planète saine, sinon ce sera très difficile », dit-il.
Il fait ainsi ressortir que les conséquences du changement climatique sont déjà présentes. D’avis que le secteur manufacturier a transformé l’économie, il note toutefois que ce secteur consomme beaucoup d’énergie. Il avance que des améliorations peuvent être envisagées s’agissant de la consommation énergétique. Il met aussi en exergue la vulnérabilité extrême de Maurice face aux effets du changement climatique.
De son côté, l’ambassadeur de l’Union européenne à Maurice, Vincent Degert, a évoqué la nécessité urgente de doter la population des bonnes compétences. « C’est un problème auquel nous sommes confrontés dans de nombreux lieux dans le monde. Le système de développement des compétences existant à Maurice semble toutefois incapable de répondre à l’éventail et à la profondeur des besoins de l’industrie. De nombreux rapports récents ont souligné que les compétences de la main-d’œuvre mauricienne ne se sont pas améliorées par rapport à celles des concurrents mondiaux, ce qui oblige à recourir à la main-d’œuvre expatriée pour les postes peu, moyennement et hautement qualifiés, ce dernier point étant particulièrement sensible dans les professions liées aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques », avance-t-il.
Pour l’ambassadeur, il faut donc se concentrer sur l’enseignement technique de base et intermédiaire. Il regrette toutefois qu’il n’y ait pas d’institutions techniques post-universitaires à Maurice permettant de fournir à l’industrie un pipeline de compétences avancées.
QUESTION A | Bruno Dubarry, CEO de l’AAMM
« Nous ne devons pas sous-estimer nos capacités et les exploiter »
Que peut-on dire de la situation du secteur manufacturier mauricien deux ans après l’apparition du Covid-19 ?
C’est un secteur qui est en partie en recomposition, car ses marchés historiques font face à des défis. Nous le voyons à travers la pandémie de Covid-19, les conflits internationaux, la crise climatique. Beaucoup de développements se sont succédé assez rapidement sur ces deux années.
Nous sommes aujourd’hui obligés de pencher sur des faiblesses structurelles. Ce sont souvent des enjeux à long terme. Le défi qui se présente est de préparer des bases plus solides en peu de temps pour le secteur. Ce sont autant de questions relevant de la main-d’œuvre, de marchés nouveaux, de marchés traditionnels à revoir, de l’approvisionnement, de la régionalisation, de filières économiques à reconnecter, de la production locale, qui inclut aussi l’agriculture et la pêche. Cela consiste aussi à savoir comment arriver à réduire notre déficit commercial de cette manière et s’intégrer davantage dans la région.
Avons-nous les ressources adéquates pour apporter les changements nécessaires ?
Dans l’absolu, je dirais oui. Nous ne manquons pas de moyens à Maurice. Nous avons des talents. Nous pourrions avoir toujours besoin davantage de fonds, mais en réalité, une partie des réformes dont nous parlons, c’est une adaptation de l’utilisation des fonds que l’on fait aujourd’hui.
Nous devons dégager des priorités nouvelles. Donc, c’est de rediriger des moyens vers ces priorités. Cela est dit dans la volonté du ministère des Finances. Tout le challenge concerne dans une méthodologie adéquate pour le réaliser.
Comment les manufacturiers mauriciens démontrent-ils leur résilience face à la crise du Covid-19 ?
Celles qui s’en sortent le mieux sont celles qui sont les moins dépendantes de l’extérieur dans toutes leurs chaînes d’approvisionnement. Donc, celles-ci n’ont pas été impactées par les délais de livraison, de l’augmentation des coûts, du fret, de la faiblesse de la roupie par rapport aux devises étrangères, le besoin de modifier leurs équipements, et donc d’importer de la technologie, et les gens pour les former et l’accès à leur marché, aussi lointains soient-ils.
Une conclusion pour toutes les entreprises est de réduire au maximum cette vulnérabilité de dépendre de l’extérieur. Donc, cela touche à peu près tous les secteurs, que ce soit ceux de l’alimentation, des produits d’hygiène et du textile, qui évidemment est très lié à l’export. Cette dépendance sur des chaînes d’approvisionnement international est à revoir. C’est une réflexion plus ou moins compliquée, en fonction des sous-secteurs, mais combien indispensable.
Le petit marché mauricien peut-il répondre aux attentes des manufacturiers locaux ?
Il peut répondre mieux. Aujourd’hui, nous avons à peu près 30% de nos besoins alimentaires qui sont satisfaits par la production locale. Cela pourrait être mieux. Avec des matières premières locales ou régionales, nous pourrions passer à 50%.
On dit que le secteur manufacturier mauricien est arrivé à la croisée des chemins. Comment ce National Policy Dialogue va-t-il aider le secteur à pouvoir s’en sortir ?
Cette journée est utile pour le privé aussi bien que pour le public puisqu’elle permet d’entreprendre un audit sans complaisance de la situation, partager un diagnostic, identifier des mesures immédiates et sur le long terme, et qu’il faut développer.
Croyez-vous que le Covid pourrait agir en tant que catalyseur des changements dans le secteur manufacturier ?
Toute crise est un révélateur de faiblesses, un accélérateur d’adaptations et de changements. La seule difficulté n’est pas uniquement des solutions locales, qui permettront de juguler les conséquences du Covid-19. Il y a cette réalité d’être un peu en réaction toujours aux nouveaux variants, aux fermetures.
Nous constatons que le confinement repart en Chine. Et les conflits qui s’ajoutent. Quand il y a tension économique, il y a aussi ce réflexe de stocker. Les grands pays exportent moins. On évite les crises sociales. Quand on est à bout de la chaîne d’approvisionnement et qu’on représente peu en volume d’affaires, cela pousse à regarder différemment la carte mondiale et de se dire qu’il faut faire autrement par rapport aux choses essentielles. Mais faire autrement impose des ajustements permanents et, surtout, davantage de coopération au niveau de l’océan Indien et du continent africain.
Est-il facile de prendre des risques dans le contexte économique actuel ?
Je pense que la question est de savoir comment financer le risque. Le secteur bancaire est visé. A ce niveau, il y a une complexification en cours. Nous avons un secteur public qui est ancré très fortement en tout ce qui est financements, et cela continue. Le secteur bancaire privé doit, lui aussi, trouver les moyens de s’adapter à cette nouvelle réalité. Il demande lui-même à pouvoir être soutenu dans la prise de risques.
Je pense que pour tout nouveau business qui voudrait apporter des solutions aux nouveaux défis, il y a un moyen de financement. La question demeure la vitesse à laquelle on peut le faire.
Quels sont les défis qui attendent le secteur manufacturier ?
Nous voyons les réactions en cascade des grands pays producteurs et exportateurs par rapport à des denrées de base, ce dont nous avons besoin, et dont ils ont besoin également. Ils privilégient leur propre marché. L’aspect impératif est de ne rien laisser au hasard. Nous ne devons pas sous-estimer nos capacités et les exploiter. Nous devons faire plus avec moins. C’est sûr que c’est compliqué.
Dans l’immédiat, de manière accrue, nous connaîtrons des délais, des coûts, des capacités d’achats moins importantes, des aides qui vont se prolonger. Quelques années de difficultés et d’adaptation sont à anticiper. Il faut que cela soit fait dans un esprit de consensus pour éviter des conflits et des échecs dans l’adaptation.