Dr Pascale Dinan (gériatre) : « Il faut éviter la discrimination par l’âge lors du déconfinement »

Le confinement aura chamboulé la vie de tous, mais surtout celle de nos seniors. Contraints de ne pas sortir, étant les plus à risque, beaucoup se sont retrouvés isolés chez eux. Une situation pénible à la fois sur le plan physique mais aussi psychique. Le Dr Pascale Dinan, gériatre, présidente de la Fédération internationale des associations de personnes âgées océan Indien (FIAPA) et vice-présidente d’Alzheimer Mauritius, tire la sonnette d’alarme et souhaite que l’on écoute davantage ces personnes qui ont encore leur mot à dire.

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Un enfant contraint de déposer quelques vivres devant la porte de ses parents âgés sans pouvoir leur parler ou de les embrasser ou encore des petits-enfants qui n’ont pas vu depuis deux mois leurs mamies et papys. Ce type de témoignages est devenu monnaie courante depuis le début du confinement. Un mal nécessaire ? Certes, mais les choses peuvent être faites autrement pour préserver la dignité et la liberté de nos seniors.

Quand reprendront les  rendez-vous hospitaliers ?

« Le nécessaire déconfinement de la population est en cours de discussion et ses modalités pour le groupe des personnes âgées incitent à la réflexion commune. Je me positionne ici comme responsable d’ONG ayant discuté avec les partenaires dans notre champ d’action et comme médecin gériatre », dit Pascale Dinan. En effet, c’est après avoir longuement discuté avec des membres de sa famille et avec ses patients qu’elle a décidé de dire tout haut ce que pensent tout bas ces personnes en détresse. Elle nous explique ainsi qu’il y a beaucoup de craintes et de zones d’ombre quant au déconfinement pour les personnes âgées.

« Pour les plus de 60 ans, ils sont très souvent les aidants principaux de leurs parents plus âgés, ou encore la force motrice bénévole des ONG, ou sont en poste de responsabilité étatique ou dans les villes. Pour certains, ils ont pris en charge un voisin plus âgé ou aident une personne âgée isolée pendant la journée en assurant présence et soutien. Comment occuper ses journées pendant deux mois de confinement ? Quels sont les sacrifices quant à la vie sociale, la visite de leurs proches malades, la possibilité d’aller choisir ses courses ? Quand est-ce que les rendez-vous de suivi hospitalier pour maladies chroniques ou toute pathologie intercurrente survenant à ces âges tardifs seront programmés ? Le feront-ils en priorité sur la liste d’attente des patients appelés par les hôpitaux lors du déconfinement ? » s’interroge Pascale Dinan.

Par ailleurs, en ce qu’il s’agit des seniors dépendants, Pascale Dinan, qui salue les efforts des autorités, se demande néanmoins si les dispositions nécessaires ont été prises pour prévenir une deuxième vague et protéger au mieux ces personnes vulnérables. « Concernant nos seniors dépendants, qu’ils soient à domicile ou en institutions charitables ou en maisons de retraite, ils sont à risque d’infections au nouveau coronavirus en raison de leur état de santé et leurs maladies chroniques. La transmission virale peut se faire par un soignant asymptomatique et la majorité des établissements ont confiné leurs aînés avec les infirmiers et aidants sur une durée donnée et sur un système de changement de staff. Les familles n’ont pu avoir d’autre accès à leurs proches que par téléphone ou par réseaux sociaux pour ceux qui savent utiliser les moyens techniques modernes », dit-elle. En effet, elle ajoute que même cette situation peut devenir compliquée, car le senior devient entièrement dépendant du personnel et la bienveillance et la bientraitance prennent ici toute leur importance pour son bien-être.

Mieux équiper les maisons de retraite

Elle poursuit : « Est-il par ailleurs normal pour un médecin de venir délivrer le vaccin ou l’ordonnance médicale à la grille de la maison de retraite pour limiter le risque de contamination ? Fallait-il prévoir une vidéo audioconférence avec le médecin pour gérer les prises en charge quotidiennes des patients ? Existe-t-il désormais une salle d’isolement en ces lieux comme sas de sécurité avant d’informer les services de santé du protocole Covid-19 ? Les moyens de protection efficaces sont-ils disponibles et en nombre suffisant (masques boucliers, gels hydroalcooliques, gants de protection) ? »

Pascale Dinan est ainsi persuadée qu’il doit y avoir un gros travail de réflexion en amont de ce déconfinement. « Il faudrait faciliter la réalisation de tests rapides et PCR au sein des établissements et auprès de personnes âgées à domicile et garantir les conditions de leur réalisation. Ces derniers auront un diagnostic dans une population plus exposée, cela va améliorer la pertinence des décisions prises vis-à-vis des mesures de confinement, va permettre de prendre les précautions nécessaires à l’égard des résidents hospitalisés pour garantir leur retour à domicile dans les meilleures conditions. Il faut aussi renforcer l’encadrement médical et soignant (infirmiers, aide-soignant) des maisons de retraite et établissements d’hébergement et garantir leur financement et assurer une permanence médecin ou du gériatre joignable par les établissements ou par téléphone et/ou visioconférence pour appui sur conseils de prescription, explication technique, réponse aux questions des soignants. »

Mais le plus important, selon elle, est de rester à l’écoute de ces personnes qui vivent dans une angoisse permanente. « Il faut ainsi éviter la discrimination par l’âge ou âgisme lors du déconfinement en prolongeant un manque d’activités physiques et sociales et un isolement qui peut engendrer la survenue de troubles psychologiques et une baisse de l’immunité qui peut engendrer des maladies. D’autres facteurs de vulnérabilité à la Covid 19 existent que l’âge seul : l’obésité, une chimiothérapie, une insuffisance cardiaque ou respiratoire chronique. »

Ne pas oublier les patients vivant  avec la maladie d’Alzheimer

Pascale Dinan souhaite que l’on porte une attention particulière aux personnes souffrant d’Alzheimer. « Le centre d’accueil de l’association Alzheimer Maurice est ouvert habituellement tous les jours. Le patient peut ainsi y faire ses activités, ce qui permet en même temps à la famille et aux proches de souffler un peu. » Il est important, dit-elle, de bien comprendre que les capacités de résilience de ces personnes ne sont pas les mêmes et qu’elles ont besoin de rester actives et de maintenir un lien social. Il est important aussi que les familles puissent être encadrées par les groupes de soutien.

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