Paula Lew Fai
« Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l’Esprit ». Jean 3 :8
Le vent souffle. Sur la place St-Pierre à Rome, en ce samedi du 26 avril 2025, une grande ferveur populaire lors des obsèques du Pape François. Le livre saint, posé sur le cercueil, est un témoignage puissant de la vie de François, infatigable et solitaire berger, au plus près de l’odeur de ses brebis. Les pages du livre sont en attente, immobiles. Le Cardinal Giovanni Battista Re asperge et encense le cercueil, ultimes gestes de notre humanité vers l’invisible. Une petite brise se lève et les pages se soulèvent, bougent en un léger mouvement plein de douceur. Comme si une main est en train de tourner les pages pour une lecture silencieuse, destinée au peuple rassemblé sur la place. Une invitation au silence, à l’intériorité.
Pour moi, c’est le symbole le plus fort de cette cérémonie si empreinte d’émotions d’une foule en quête d’un « je ne sais quoi ». Et ça me rappelle Vladimir Jankélévitch,
philosophe et musicologue :
« La lueur timide et fugitive, l’instant éclair, le silence, les signes évasifs – c’est sous cette forme que choisissent de se faire connaître les choses les plus importantes de la vie. Il n’est pas facile de surprendre la lueur infiniment douteuse, ni d’en comprendre le sens. Cette lueur est la lumière clignotante de l’entrevision dans laquelle le méconnu soudainement se reconnaît. Plus impalpable que le dernier soupir de Mélisande, la lueur mystérieuse ressemble à un souffle léger… »
Ce « je ne sais quoi », est-ce le retour du sacré ?
De par le monde, des mouvements de conversion, notamment des demandes de baptême d’adultes, de jeunes en France, un regain d’intérêt pour les rituels, la liturgie, les pèlerinages (on le constate chez nous à Maurice) rendent plus visible un besoin d’appartenance confessionnelle / religieuse. La quête identitaire en est un élément important qui participe à ces divers cheminements. L’affirmation de l’autre dans sa foi et ses pratiques religieuses invite soi-même à se définir. Ainsi, l’islam contribue en Europe à la recherche des racines judéo-chrétiennes qui lui ont donné un socle historique. L’effet générationnel avec le mouvement du balancier contribue également à cette redécouverte. Les aînés ont prôné en France le « laïcisme », dépouillant l’espace public de tout symbole religieux. Le vide ainsi créé a enlevé tout repère culturel / religieux. L’espace des choix identitaires s’est réduit et a basculé dans le matérialisme et l’opportunisme. Les vies dites vertueuses ne sont plus honorables et incitent à la moquerie, au dédain. L’indifférence devient une mesure de protection d’un soi sans racines. À Maurice, avec l’accroissement des biens économiques, le spirituel s’est effacé au profit de rituels/ pratiques culturelles qui sont davantage de l’ordre de la différenciation sociale. On se pose « Autre » avec valeur ajoutée dans l’apparence.
Mais le vent souffle.
Et peu importe d’où il vient et vers quoi il va.
Il ravive cette étincelle qui a de tout temps habité l’humain et que révèlent aujourd’hui les expériences des NDE (Near Death Experience) ou EMI.
C’est ce message fort que la brise, sur le cercueil de François, nous a offert en tournant les pages du livre saint.
Pape du peuple, François a senti battre le cœur de personnes en désarroi, à la recherche de sens. Au-delà des affiliations, des revendications identitaires / religieuses/ sectaires / sexuelles, c’est cette puissante connexion faite de tendresse, de compassion pour la fragilité humaine qui marquera son passage terrestre. Il a su, avec douceur et respect, revivifier la piété populaire, trop longtemps ignorée, dévalorisée au profit de l’intellectualisme d’une institution ecclésiale, coupée de la vie dans toutes ses composantes.
L’important, c’est de naître de l’Esprit. Et de manifester cette liberté.
« Soyez dans la joie et l’allégresse », exhorte-t-il dans Gaudete et exsultate.
