—On me dit que tu as de drôles de fréquentations ces jours-ci !
–Quoi ? Qu’est-ce que tu es en train de raconter ?
–Je ne savais pas que tu fréquentais ce genre d’endroit-là !
— Quelles fréquentations ? Franchement te dire, je ne vois pas du tout de quoi tu es en train de parler.
–Et pourtant on t’a vue.
— Où est-ce qu’on m’a vue comme ça ? Et qui veille mes affaires ?
–Ma cousine t’a vu entrer dans les Casernes centrales.
–Ah ça !
–Tu étais allée apporter ton soutien indéfectible à Savate Dodo comme dit le MSM ?
— Premier d’abord, je ne suis pas du MSM ! Et puis, on n’avait pas fermé Savate Dodo aux Casernes centrales, mais au poste de police de Moka. Dans la cellule VVIP.
— Il y a une cellule VVIP à Moka ? Manman, tu connais bien ces affaires-là, toi.
–Je suis l’actualité, c’est tout.
–Qu’est-ce que tu es allée faire aux Casernes centrales ?
— Une simple formalité. Je suis allée demander un permis de conduire international pour quand j’irai voir mes parents en Australie.
–Tu vas pouvoir conduire là-bas ?
–On ne sait jamais. J’ai pris un permis international juste au cas où j’aurais besoin.
–Tu l’as eu facilement ce permis de conduire international ?
— Je l’ai eu après beaucoup d’attente, de patience, de longues queues et beaucoup de transpiration. Comme dans toutes les démarches que tu as besoin de faire à Maurice !
–Qu’est-ce que tu veux dire ?
–Je ne savais qu’il y a une seule entrée pour entrer aux Casernes : par la route Royale. Il y a une porte près de la rue St Georges, mais on ne peut pas entrer par là.
–Pourquoi ?
–C’est juste pour les chefs de la police. Mo finn bizin fer letour Kazern pou mo kapav rant andan ! Là même je transpirais comme une fontaine !
–Tu as dû marcher cette quantité-là ?! On t’a fait faire un drill, alors ! Et après ?
–Après j’ai commencée à faire les queues. Il fallait faire une pour savoir où se trouve le département des permis. Une autre pour savoir à quel comptoir s’adresser. Après il a fallu mettre la queue devant le comptoir pour faire la demande.
–Ça a dû te prendre du temps pour faire tou sa lake-la…
— Et comment ! Les premières, ça a été rapide, mais les dernières ! Qu’est-ce que je peux te dire !
–Raconte-moi.
–Tout ça se passe dans un couloir recouvert de tôle : sous le soleil de l’été, c’est un véritable four. Ensuite le policier est débordé parce qu’il doit, en même temps remplir un formulaire pour faire payer ceux qui demandent un permis ; remplir le formulaire de ceux qui ont déjà payé et délivrer les permis déjà prêts.
–Pourquoi il y a un seul policier pour faire cette quantité de travail là ?
–C’est sûrement comme dans tous les bureaux : ce sont les chefs qui décident et c’est aux petits employés de faire tout le travail ! Sans oublier le comportement de certaines personnes.
–Qu’est-ce que tu veux dire ?
–Tu sais comme certains Mauriciens sont ! Ils essayent de casser le contour, d’aller directement au comptoir sans faire la queue. Ou bien ce qui est pire : ceux qui n’ont pas apporté tous les papiers qu’il faut et à qui il faut tout expliquer plusieurs fois !
–C’est comme ça que ça se passe ?
–Oui toi, et dans une chaleur ça, qu’est-ce que je peux te dire !
–Il n’y a pas de clim dans ce bureau-là ?
–Ce n’est pas un bureau, c’est un couloir sous une varangue fermée. Il y a bien des ventilateurs, mais couverts de fils d’araignée. Quant au climatiseur, il ne sert à rien. Bref, tant bien que mal, j’ai réussi à avoir mon formulaire et j’ai fait la queue pour payer et je suis retournée faire la queue pour remplir un autre formulaire.
–Avec l’ordinateur c’est fait en deux minutes quatre. Il n’y a qu’à remplir les cases.
— Tu rêves ! Le policier dispose d’un ordinateur juste pour vérifier les données. Tous les formulaires doivent être remplis à la main, un par un. Je ne te dis pas le temps que ça prend.
–Mais Maurice n’est pas supposée être une cyberisland ?
–Tout comme on est supposé avoir de l’eau 24/7 ! Tout ça c’est juste dans les publicités pour les touristes. Le policier du comptoir lui doit tout écrire à la main, comme au siècle dernier !
–On est comme un pays du tiers monde, toi !
–C’est ce que les étrangers qui étaient venus demander permis aveint l’air de penser. Mais enfin, après avoir fait la queue, j’ai fini par faire remplir mon formulaire, à la main, et on m’a demandé de passer dans deux jours pour avoir le permis international.
— Il faut moderniser les bureaux et mettre plus de policiers derrière les comptoirs. Mais ça doit coûter de l’argent.
–Oui, mais je sais où on peut avoir de l’argent !
–Où ça ?
–Quand je suis sorti des Casernes, je suis passée prêt du parking pour les berlines VVIP que l’on donne aux grands chefs de la police.
–Il paraît qu’il y a une cinquantaine de berlines dans ce parking-là. Et alors ?
–Et alors il suffirait de vendre ces berlines pour réaménager et moderniser les bureaux des Casernes centrales en donnant les moyens qu’il faut aux policiers pour bien faire leur travail. Ça, ce serait un vrai changement !
J.-C.A.