On peut parfois se décourager, et se détourner des problèmes qui nous affectent, en ayant le sentiment que les affaires du monde sont orchestrées par des puissants face auxquels nous ne pouvons rien.
Mais quelques exemples dans l’actualité, ces jours-ci, semblent aussi nous montrer l’importance des « ti lavwa ». Ces entités apparemment minuscules qui, fourmis sur le terrain, finissent par élever une voix et une action assez puissantes et opérantes pour faire bouger les choses. Et devenir une inspiration dans nos épreuves futures.
C’est ce que nous dit notamment la décision prise ce vendredi 25 avril par le conseil des ministres de « reproclamer » publique la plage de Pomponette en vertu de l’article 2 de la Beach Authority Act, Une décision qualifiée « d’historique » qui vient couronner un combat commencé il y a huit ans, lorsque le gouvernement d’alors décide de retirer le statut de plage publique à Pomponette, dans le sud, pour l’attribuer à un groupe hôtelier. Même si certains pensent la cause perdue, la résistance citoyenne va s’organiser, à l’initiative notamment de Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL) et Rezistans ek Alternativ (ReA). Pique-niques populaires, concerts, manifestations, actions en Cour : les fourmis n’ont rien lâché. Et le résultat est aujourd’hui là : non seulement le terrain a été repris aux promoteurs, mais, conformément à une condition posée par ReA pour son entrée au nouveau gouvernement, elle vient donc d’être restaurée dans son statut de plage publique.
Une victoire à célébrer. Mais qui ouvre sur une réflexion et une action beaucoup plus larges.
L’enjeu est conséquent : sur 322 km de linéaire côtier, Maurice affiche seulement 48 km classés comme plages publiques. Soit moins de 15% de notre littoral…
Le reste est régi par le Pas géométriques Act, qui définit les pas géométriques comme des reserved lands situées le long du littoral, mesurant au minimum 81 mètres et 21 centimètres, et délimitées par la marque de la plus haute marée de printemps. Ces terrains peuvent être loués par l’État à des particuliers sous forme de baux, qui permettent à ceux qui les détiennent d’en restreindre l’accès. Le public, lui, reste en principe autorisé à circuler en dessous de ce High Water Mark.
Mais comment opérer aujourd’hui cette délimitation déjà floue, jamais cartographiée et actualisée, alors que sévissent l’érosion et une montée des eaux qui va encore s’accélérer à l’avenir avec le réchauffement climatique ?
Le cadre légal actuel est clairement dépassé. Et les abus se multiplient.
L’heure est clairement à tenter d’agir de façon plus globale.
C’est ce sur quoi a insisté MRU 2025, ONG créée par de jeunes citoyens mauriciens, dans une volonté de ne pas se contenter de réagir aux atteintes incessantes à notre domaine public, mais de proposer un plan d’ensemble de protection du littoral. C’est ce que sous-tend leur Manifeste pour le Littoral, qui propose notamment la création d’un Sentier Littoral National et une approche de retrait stratégique pour restaurer les écosystèmes côtiers. Cela, explique MRU 2025, implique aussi de ne pas construire sur les pas géométriques encore non bâtis, ou envisager de récupérer progressivement certains espaces pour les « renaturer », au lieu de les relouer. Un projet qui s’ancre « dans la justice sociale, la protection du territoire, et de la réappropriation collective du littoral, toujours dans le respect des uns et des autres. »
Ce Manifeste pour le Littoral propose aussi de constituer une Autorité du Littoral chargée d’assurer une meilleure coordination entre les différents acteurs, avec des Gardes du Littoral chargés de faire appliquer les lois relatives à la protection du littoral, de surveiller l’état écologique des zones côtières et de sensibiliser le public à une gestion durable du littoral.
Ce sont des citoyens-fourmis qui agissent et proposent sur cette question d’intérêt national.
Que vont faire les autorités ?
On peut aussi souligner, dans le domaine artistique, l’action d’une autre de ces « fourmis » appelée William Ross. En 2011, après avoir terminé sa scolarité au St Mary’s College, celui qui est également élève au Conservatoire François Mitterrand à Quatre-Bornes part pour des études supérieures en spectacle vivant à Rennes. Là-bas, il rencontre au sein du Conservatoire un autre Mauricien, le talentueux Mathieu Michel, avec lequel il va formuler le projet de créer un orchestre symphonique à Maurice (sachant que le budget 2010 avait annoncé une dotation à cet effet, restée à ce jour sans suite…).
Poursuivant son idée de monter à Maurice un orchestre de musiciens professionnels, William Ross fonde en 2023 l’association Moris Orkestra, avec pour horizon 2033. Mais le chemin est plus ardu qu’attendu. Cette année, l’association propose pour la troisième année consécutive une formation réunissant des musiciens-enseignants du Conservatoire supérieur de Paris et des étudiants et musiciens de Maurice et de la région.
Mais malgré la qualité réelle du projet, dont témoignent notamment des concerts donnés chaque année, trouver des sponsors se révèle très difficile. L’État, lui, joue aux abonnés absents. Comme l’an dernier, les musiciens-formateurs venus de France (dont Henri Roman, bassoniste au sein du prestigieux Orchestre de Chambre de Paris) ont cette année payé leur propre billet d’avion, et sont logés dans un premier temps par des religieuses au BPS Residential Care Home. Jusqu’à ce que le groupe hôtelier Attitude décide, cette année, de leur offrir la dernière semaine d’hébergement.
Mais combien de temps la passion va-t-elle suffire ? Combien de temps ces musiciens vont-ils continuer à suivre bénévolement? Combien de temps l’art sera-t-il confiné au bénévolat ?
Un orchestre, fait ressortir William Ross, est fédérateur. Celui-là offre une opportunité de formation unique à des musiciens d’horizons et de pratiques diverses, est susceptible de constituer une vitrine internationale pour Maurice, et nous donne la possibilité de mettre en valeur des spécificités susceptibles d’atteindre l’universel. Cette année a en effet démarré également l’académie de composition, avec le compositeur Simon Barbanneau, qui a accompagné Jean-René Bastien pour une composition, a fait l’orchestration d’une pièce du compositeur mauricien du 19e siècle, Francis Thomé, et a fait les orchestrations de sega sinfonik.
Le sega sinfonik, c’est cette forme qui mêle rythmes et instruments de nos ségas du 19e siècle à ceux de la musique classique, mariant ravanne, triangle, maravanne et clarinette, guitare, violon, etc. C’est vivifiant en diable, ça accroche l’oreille, cadence les pas, voyage l’imaginaire. Les expériences menées cette année par Moris Orkestra avec des artistes comme Ras Gérard, Billygann ou Mélanie Pérès ont donné à voir et entendre, au Caudan Arts Centre, une inventivité et une vitalité où musiques dites populaire et classique s’affranchissent des carcans et des catégories pour se féconder joyeusement et offrir une expression aussi familière que neuve. Envisager un grand happening Moris Orkestra pour les fêtes de l’indépendance l’an prochain, ça aurait de la gueule, du sens, du renouveau, ça pourrait aussi donner une création/spectacle que nous serions fiers de faire tourner et grandir toute l’année.
Les fourmis font leur boulot avec passion, assiduité et créativité. Elles offrent des trésors.
Les « autorités » vont-elles se réveiller…
SHENAZ PATEL