Pliny Soocoormanee *

L’époque napoléonienne est l’une des grandes épopées de l’histoire mondiale, et l’Île Maurice s’est retrouvée au cœur de la rivalité intense entre l’Angleterre et la France. En tant que « reconstituteur historique » (historical reenactor) passionné au sein du 45e Régiment d’infanterie de ligne (basé au Royaume-Uni) et auteur de plusieurs articles, je m’efforce de partager mon enthousiasme pour cette période avec le plus grand nombre. L’un des aspects qui m’a toujours fasciné est celui des uniformes de l’époque. C’était l’âge d’or des tailleurs militaires. Les uniformes étaient conçus pour être aussi flamboyants et impressionnants que possible afin d’inspirer les soldats. Photo (1)
Alors, que portaient les soldats français à l’Île Maurice ? Eh bien, cela dépend de la période en question. L’uniforme blanc appartenait à l’ancienne armée royale, tandis que l’uniforme bleu foncé, blanc et rouge était associé aux forces révolutionnaires françaises et plus tard à l’Empire français sous Napoléon. En parlant de Napoléon, saviez-vous que son aumônier, Antonio Bonavita, qui l’accompagnait à Sainte-Hélène, est enterré au cimetière de Pamplemousses ?
Ce même Napoléon envoya en 1802 Charles Decaen en tant que capitaine général des possessions coloniales françaises dans l’océan Indien, à savoir l’île de France (Maurice), l’île Bonaparte (aujourd’hui La Réunion), les Seychelles et Pondichéry. Decaen établit sa base d’opérations à Maurice. Avec les maigres ressources à sa disposition, il tenta d’augmenter ses forces. L’une de ses initiatives fut la réorganisation de la Garde nationale. Par décret du 18 juin 1806, il ordonna la création de deux nouvelles compagnies de Chasseurs de la Garde nationale de l’Île de France.
Bien que les Chasseurs aient traditionnellement été sélectionnés pour leur précision au tir, les compagnies mauriciennes furent formées à partir des effectifs excédentaires du 1er bataillon de la Garde nationale de Port Nord-Ouest, probablement entraînés pour répondre aux exigences de ce rôle d’élite. En tant qu’infanterie légère, leurs missions comprenaient l’escarmouche, la reconnaissance et les opérations en terrain difficile. Plutôt qu’une unité spécifique, les chasseurs représentaient un rôle militaire à l’époque napoléonienne, et la Garde nationale était chargée de défendre l’île contre les forces britanniques.
Un élément distinctif de l’uniforme des chasseurs était l’adoption du czapka polonais. Le czapka était porté par les célèbres lanciers polonais de Napoléon, l’une des unités de cavalerie les plus prestigieuses de son armée. Il est possible que des officiers français, inspirés par leur renommée, aient introduit ce couvre-chef à Maurice, bien que sous une forme adaptée aux conditions tropicales. Compte tenu de la chaleur et de l’humidité de l’île, une version modifiée du czapka, fabriquée avec des matériaux plus légers comme le rotin et le tissu, aurait offert un meilleur confort aux soldats par rapport au shako français standard. L’adoption du czapka pouvait également servir à distinguer les Chasseurs en tant qu’unité d’élite. Selon Prentout et Poyen-Bellisle, il y avait environ 800 hommes dans la Garde nationale de Port Nord-Ouest, et on estime que les Chasseurs avec leur czapka ne dépassaient pas les 200 hommes.
Leur uniforme bleu à parements blancs respectait le style militaire français, mais les plumets verts et les épaulettes des chasseurs les distinguaient en tant que troupe d’élite. Il est intéressant de noter que les cordons verts n’étaient portés que lors des défilés et des cérémonies officielles. Les chasseurs étaient armés du mousquet Charleville modèle 1777 et du sabre-briquet, une épée courte utilisée par l’infanterie légère et les grenadiers. Matthew Flinders, le navigateur britannique détenu à Maurice comme prisonnier de guerre pendant plus de six ans, aurait probablement croisé ces troupes durant sa captivité.
Le drapeau visible sur les photographies aurait été peint d’un côté avec l’inscription « L’Empereur des Français à la Garde Nationale du Quartier de Port Nord-Ouest », et de l’autre côté avec « Honneur et Discipline ».
Il est intéressant de noter que la ville aujourd’hui connue sous le nom de Port-Louis a subi plusieurs changements de nom au cours de cette période. Sous la Révolution, elle fut rebaptisée Port de la Montagne. Par la suite, sous l’administration de Decaen, elle prit le nom de Port-Napoléon. Après la conquête britannique de l’Île de France en 1810, elle retrouva son nom d’origine, Port-Louis.
Et aujourd’hui, près de 200 ans plus tard, l’héritage des Chasseurs de la Garde nationale renaît à Maurice — cette fois à travers la reconstitution historique, comme en témoignent les photos.
Toutes les photos ont été prises à Eurêka (Moka) et à la Tour Martello (La Preneuse)