Au diable la transition énergétique et la transition de développement sociétal; place désormais à la transition climatique. Ce changement de terminologie, aussi anodin puisse-t-il paraître – et qui commence à envahir la planète politique –, est pourtant d’une importance capitale, car signant une profonde modification dans notre approche du défi climatique. Certes, le concept implique toujours d’intégrer une révision de notre mode de production énergétique, mais à la différence près que l’accent est cette fois davantage mis sur la migration vers une ère climatique plus rude et plus imprévisible. En d’autres mots, il sous-tend des mesures d’adaptation plus que de prévention.
Ce changement de discours n’est cependant pas véritablement nouveau. D’ailleurs, à ceux qui savent lire entre les lignes, nous les renverrons aux conclusions des débats des dernières COP, où l’on aura constaté que la tendance était déjà bien là. Ainsi, les ambitions auront-elles été revues à la baisse en termes de diminution de gaz à effets de serre, tandis que des voix commencent à s’élever pour revoir le plafond de réchauffement, pour l’heure encore fixé à un utopique +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Dans le même souffle et en parallèle à tout cela, l’aide s’organise pour aider les pays du sud à accélérer leur transition énergétique, mais aussi à renforcer leur logistique en matière de préparation aux désastres engendrés par l’élévation graduelle des températures. Une absurdité de plus, en ce sens qu’il ne s’agit pas des pays les plus pollueurs, tandis que les grandes nations sont encore dans l’incapacité elles-mêmes de donner l’exemple.
Cette manière de voir, notant un changement profond de perception face au défi climatique, démontre l’immense facilité avec laquelle l’on escamote volontairement les problèmes conjoncturels lorsque ceux-ci ne suscitent des inquiétudes que sur un long laps de temps, comme c’est le cas pour le climat donc. Non seulement nous prenons le problème à l’envers, mais nous nous enfonçons chaque jour un peu plus dans le déni. Ou, dit autrement, nous prenons un malin plaisir à mettre la charrue avant… l’autruche.
Mais il s’agit d’un non-sens, car le changement climatique ne va pas soudainement s’arrêter par la seule volonté du Saint-Esprit. Au contraire. Car lorsque sera franchi le point de bascule, bien que celui-ci soit encore difficilement identifiable dans le temps, les températures continueront inexorablement de grimper sans que l’on ne puisse plus rien y faire. Dès lors, qu’importent les actions que nous aurons prises pour nous prémunir des dangers, ces derniers changeront constamment de nature, nous obligeant à revoir à chaque fois nos protocoles de préservation de la vie. Rien ne sert en effet de se préparer au pire si le pire, justement, est appelé à gagner en intensité et en répétitivité.
Le concept de transition climatique est donc non seulement trompeur, mais aussi excessivement dangereux. Car ce faisant, les maigres efforts consentis jusqu’ici finiront eux aussi par disparaître, au profit des seules mesures d’atténuation et d’adaptation. À ce titre, n’oublions pas que l’humain, tout comme la plupart des espèces de notre planète, n’est tout simplement pas préparé ni « conçu » pour vivre au-dessus ou au-dessous de certaines températures. Or, c’est exactement ce qui nous attend si l’on laisse le climat s’emballer.
Autre chose dont il faut se rappeler : la vie, sur Terre, est apparue un peu par hasard, et est donc, en ce sens, extrêmement fragile. D’autres espèces que la nôtre, dans un lointain passé, ont d’ailleurs déjà fait les frais de semblables bouleversements. À la différence qu’elles n’en étaient en aucune façon responsables. En outre, à l’inverse de ces espèces aujourd’hui disparues, l’humanité a, elle, la pleine capacité d’inverser le processus, puisqu’elle en est la cause. En effet, les connaissances sont là; les techniques aussi. Seule manque donc la volonté de s’extirper d’un système vicié qui, bien que nous ayant garanti une élévation constante de notre niveau de développement, est également au cœur même du dérèglement climatique.
Penser que l’on a toujours le temps de trouver une solution est pire qu’une hérésie, mais un génocide économiquement assisté. Car contrairement au Covid, aucun vaccin ne viendra régler la question du climat. Pas plus d’ailleurs que d’alimenter les caisses et d’imprimer des billets, comme nous l’avions fait lors de la crise économique de 2008. La planète est tout sauf une banque à sauver ! Aussi n’aura-t-elle aucun scrupule ni état d’âme à nous voir disparaître, nous et nos idées de croissance éternelle.
Michel Jourdan