Le Ward 6 de Port-Louis, riche en histoire et en diversité, est un quartier aux multiples visageåçs, marqué par de profondes inégalités. Entre héritage culturel et fractures sociales, ce coin de la capitale aspire à un renouveau. À Camp-Yoloff, Chinatown ou Roche-Bois, les habitants partagent un quotidien parfois difficile, mais jamais résigné. Frustrations, espoirs et appels au changement : leurs voix dessinent le portrait d’une circonscription qui ne demande qu’à renaître.
Chinatown : un héritage en péril
Chinatown, situé dans le Ward 6, est un quartier chargé d’histoire, autrefois vibrant et animé. Aujourd’hui, il souffre de négligence et se dégrade lentement. Anciennement l’un des plus vieux quartiers chinois d’Afrique, il porte un héritage précieux, témoignage de l’implantation de la communauté sino-mauricienne depuis plusieurs générations.
Malgré son charme d’antan et son importance culturelle, Chinatown fait face à de nombreux problèmes affectant le quotidien de ses habitants, notamment la dégradation de son environnement. Lors de fortes pluies, certaines rues deviennent impraticables à cause de l’accumulation d’eau, créant des désagréments quotidiens. Les trottoirs, souvent abîmés, voire inexistants, représentent un véritable danger, surtout pour les piétons âgés ou vulnérables. « Zot pa kapav marse trankil, bizin fer atansion pou pa glise », confie une commerçante du quartier, qui préfère rester anonyme. Les infrastructures vieillissantes, telles que les lampadaires rouillés et les caniveaux bouchés, renforcent ce sentiment d’abandon.
Certains habitants, lassés de voir leur quartier se détériorer, n’osent plus exprimer leurs doléances. D’autres, désabusés, refusent même d’en parler, convaincus que leurs voix resteront inaudibles. « Je n’ai rien à dire », lance un vieil homme, assis devant une boutique presque vide. Pourtant, derrière ce silence, à la fois résigné et amer, se cache un profond attachement à ce lieu chargé de mémoire. Cette omerta en dit long sur la frustration des habitants, déçus par l’indifférence apparente de la municipalité, mais qui continuent malgré tout à rêver de voir Chinatown retrouver son éclat d’antan.
« Redonner vie à Chinatown, ce n’est pas simplement réparer des trottoirs ou curer des drains, mais aussi préserver un héritage vivant, un patrimoine culturel et historique qui raconte l’histoire d’une communauté ayant façonné ce quartier. Chinatown a une grande valeur historique. Il doit revivre. Nous avons besoin de plus de sécurité et d’un nettoyage régulier. La revitalisation doit aller au-delà de l’aspect matériel pour honorer et transmettre cette mémoire collective qui fait de Chinatown un symbole de l’histoire port-louisienne », a déclaré un jeune habitant passionné par l’histoire locale.
Camp-Yoloff : des défis quotidiens
Un peu plus loin de Chinatown, à Camp-Yoloff, le sentiment d’abandon est palpable. Parmi les problèmes quotidiens, les chiens errants représentent une source d’inquiétude. « Le matin, quand on sort pour aller prier, c’est devenu dangereux. Certains laissent leurs chiens faire leurs besoins un peu partout, et ces chiens errants ou mal surveillés deviennent agressifs. Il leur arrive de nous sauter dessus ou même de nous mordre. On ne peut même plus marcher tranquillement dans notre propre quartier », a déploré un résident.
La présence croissante de la drogue dans le quartier est également perçue comme un fléau grandissant, détruisant surtout la jeunesse. « Avant, on entendait rarement parler de drogue à Camp-Yoloff. Aujourd’hui, elle fait partie du quotidien, presque comme une fatalité. On voit des jeunes perdre leurs repères, s’éloigner de la famille… Comme si une génération entière était en train de se noyer sous nos yeux », s’est plaint un homme âgé de 69 ans. D’autres problèmes impactent directement leur cadre de vie, notamment les “dalos”. « Certains habitants ont déposé leurs déchets d’eau sur les voies publiques. Ce qui, lors des fortes pluies, provoque un écoulement des eaux sur les passages. Ces accumulations peuvent parfois atteindre le niveau des chevilles, voire des genoux, rendant la circulation extrêmement difficile et désagréable pour les piétons », a raconté une habitante, visiblement excédée.
Les habitants dénoncent également l’absence de leurs élus et la négligence systématique de leurs préoccupations. « On ne les voit jamais. Ils devraient venir nous rencontrer régulièrement, pas seulement pendant la période électorale. » Malgré cela, une certaine solidarité subsiste, et les résidents continuent d’espérer que le changement viendra enfin. Beaucoup espèrent que les futurs élus prendront enfin leurs responsabilités et ne les oublieront pas une fois les élections terminées : « Ce que nous attendons, c’est qu’ils améliorent véritablement notre quartier et qu’ils honorent leurs engagements envers nous, les citadins du Ward 6. »
Roche-Bois : quartier abandonné
À Roche-Bois, la situation est également préoccupante. L’un des sujets les plus préoccupants demeure l’état du jardin public, autrefois lieu de détente prisé des familles et des enfants du quartier. Aujourd’hui, cet espace vert est tristement surnommé le « deuxième Jardin de la Compagnie », en raison de la présence croissante de prostituées, de sans-abri et de squatters qui y ont élu domicile. « Le jardin n’est plus un endroit fréquentable », déplore Jean-Pierre, un habitant du quartier, visiblement attristé par cette transformation. Comme lui, de nombreux résidents se disent inquiets pour la sécurité de leurs enfants et déplorent la disparition d’un lieu de vie essentiel. Certains évitent désormais de s’y rendre, tandis que d’autres réclament des actions concrètes des autorités. « Bann zanfan pa kapav ale zwe laba, nou pa kapav al relax. E malgre bann plint ki nou finn fer, personn pa finn fer naryen. Zot inn abandonn nou », lance une habitante, la voix pleine d’amertume.
Outre l’état préoccupant du jardin public, les habitants dénoncent également l’inaction des forces de l’ordre. Bien qu’il existe un poste de police dans la région, beaucoup estiment qu’elle ne remplit pas son rôle comme il se doit. « Nous avons bien un poste de police, oui… mais après 22h, c’est comme si les policiers étaient partis se coucher. Ils ne veulent plus travailler passé une certaine heure. Et quand il y a un problème, à quelle porte sommes-nous censés aller frapper ? », s’indigne un habitant, visiblement exaspéré.
Ce sentiment d’abandon se fait de plus en plus fort au sein de la communauté, qui réclame une présence policière plus active, notamment durant les heures nocturnes où l’insécurité devient plus palpable. « Nous ne demandons rien d’extraordinaire… nous voulons simplement que la police fasse son travail correctement. La sécurité, c’est un droit pour tout le monde », ajoute-t-il avec insistance.
Autre source de frustration pour les habitants : les rallyes illégaux organisés en pleine nuit. Des motos et voitures modifiées envahissent les rues à vive allure, créant un vacarme assourdissant qui perturbe le sommeil des riverains. « Tous les soirs, c’est la même chose. Ils font la course, klaxonnent, font du bruit… et personne n’intervient », déplore une résidente. Ce tapage nocturne, combiné à l’inaction des autorités, renforce le sentiment de négligence que ressentent les habitants. Beaucoup affirment qu’ils ne se sentent ni écoutés, ni protégés.
La violence, les vols, les agressions et la drogue exacerbent encore le malaise dans le quartier. Les bagarres, les actes de vandalisme et les agressions se multiplient, semant l’inquiétude, surtout la nuit. Parallèlement, la drogue se répand à une vitesse alarmante, affectant particulièrement les jeunes. « Nous voulons du changement pour notre quartier. Il est essentiel d’organiser des activités, non seulement pour les jeunes et les enfants, mais aussi pour les personnes âgées, comme c’était le cas autrefois. Il est grand temps de redonner vie à notre environnement et de recréer du lien social, afin de restaurer un véritable esprit de communauté », supplie Pierre Jean.
Malgré l’absence de soutien tangible et le sentiment d’abandon, les habitants de ces quartiers continuent de nourrir l’espoir d’un renouveau. Ils rêvent d’une revitalisation de leur cadre de vie et d’une reconnaissance de leur place au cœur de la capitale.
Leur voix, souvent ignorée, résonne comme un appel pressant à l’action. « Il est temps pour les autorités municipales de se reconnecter avec nous, de répondre à nos attentes et de redonner dignité à ces quartiers historiques », soulignent-ils. Les citoyens, plus que jamais, appellent leurs élus à prendre leurs responsabilités afin d’améliorer leur cadre de vie et mettre un terme à la dégradation progressive du quartier.