Dans le contexte des assises de l’éducation : Réflexions sur la question de l’école inclusive (II)

GILLIAN GENEVIÈVE

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Au service de l’entreprise

En tant qu’enseignant de management et de Business Studies, j’aurais dû sauter de joie quand les autorités, il y a quelques années, ont décidé qu’il fallait faire de chaque petit Mauricien un potentiel entrepreneur.

Ainsi, souvent au détriment des études des humanités, furent mises en avant des matières ayant trait au monde de l’entreprise. L’école s’est trouvée depuis des années maintenant une nouvelle vocation : être pourvoyeuse de ressources humaines pour entreprises locales ou pourvoyeuse de main-d’œuvre ou d’entrepreneurs au service de l’économie.

Vision très utilitariste du rôle de l’école au nom d’un pragmatisme de bon aloi. À partir de là, l’enfant artiste peintre, le fou de musique, le sportif doué, le poète doux rêveur sont appelés à se mettre au rang. À abandonner leurs rêves, à abandonner ce qui fait sens pour eux pour se mettre au service de la réalité économique.

On entend pourtant souvent les patrons se plaindre que les formations reçues à l’école ne permettent pas à l’enfant mauricien d’être en adéquation avec les exigences de l’entreprise. Mais, à partir de là, les autorités modifient les cursus pour se mettre au diapason du monde des affaires. L’adéquation est ainsi créée entre l’individu et les attentes de l’entreprise mais, par ailleurs, cela participe d’une forme d’aliénation de l’être mis au service du système. Il n’y a rien de pire que d’être en inadéquation avec soi-même. L’employé sera modèle, l’humain sera lui sacrifié sur l’autel de l’efficience et des impératifs économiques.

On crée ainsi les conditions d’une société de frustrés, d’automates, d’êtres en marge des exigences sociales, en marge d’eux-mêmes. La névrose n’est alors plus très loin, le mal-être social n’est alors plus très loin. Aussi bien au sein de la société des adultes que dans le monde où vivent nos enfants et adolescents.

On découvre ainsi aujourd’hui le problème du bullying, celui de la drogue, celui de la violence dans nos écoles. Les parents sont surpris, la presse est surprise, nos nouveaux décideurs sont surpris alors que ces problèmes existent depuis des années.

Tout simplement, on a détourné le regard pendant des années. Mais on est forcé, aujourd’hui, de les ouvrir grands. Il était beaucoup plus simple de tout mettre sur le dos des réseaux sociaux mais il est temps aussi, au sein de l’école mauricienne, de se remettre en question. L’enfant mauricien a-t-il vraiment la possibilité de s’épanouir dans son école ? Est-il heureux ? L’école lui offre-t-elle ce qu’il faut pour se sentir aimé et inclus?

Apparemment, à voir ce qui se passe ces dernières années, ce n’est pas le cas.

Si, bien sûr, l’école n’est pas seule responsable de tout ce qui se passe, il ne faudrait pas oublier non plus que les enfants passent l’essentiel de leurs journées au sein de nos établissements. Je ne peux qu’en déduire que l’école ne peut se prévaloir de toute critique.

 

Politique éducative et corps enseignant

 

Nous avons un problème déjà en amont, au sujet des politiques éducatives, pas toujours connectées aux réalités du terrain et dictées par des impératifs ou des fantasmes pédagogiques qui font plus de mal que de bien à nos enfants ; mais il y a aussi ce qui se passe à l’intérieur même des écoles mauriciennes parmi ceux qui sont en contact direct avec nos élèves. Je veux parler de nos enseignants.

Je ne vais pas me faire des amis en le disant mais il y a également de sérieux problèmes associés à ce corps de métier. Et le corps enseignant se doit de faire son mea culpa et reconnaître qu’il fait aussi partie des problèmes. Et que, de par certains manquements, ils ne favorisent pas la possibilité même d’une école réellement inclusive.

Les problèmes sont nombreux, mais cela inclut avant tout la question de la vocation (très peu d’enseignants font leur métier par vocation), le manque de formation continue mais, également et surtout, le refus de se remettre en question.

Je dis toujours que le métier de l’enseignant est d’être un apprenant. Donc, non seulement, il se doit constamment d’être en train d’étudier, de confronter ses connaissances à l’évolution du monde, de confronter son regard à l’arrivée de nouvelles générations mais il se doit, dans sa démarche pédagogique, voire dans la vision qu’il porte sur le monde, d’être capable de se remettre en question. C’est ainsi qu’il pourra mieux entrer en résonance avec les préoccupations de ses élèves et les aider à se sentir inclus au sein de l’école.

Récemment, certains propos de notre ministre de l’Éducation, l’honorable Mahend Gungapersad a fait polémique parce qu’il avait souligné que certaines enseignantes passaient beaucoup de temps à parler de leurs belles-mères ou de recettes de cuisine pendant leurs périodes libres (en principe réservées pour la recherche, la préparation des classes, la correction des copies, la lecture). Avait-il tort ? Bien sûr que non. Il aurait juste dû ajouter que les enseignants hommes, eux, passent beaucoup de temps à parler de courses de chevaux, de football et, juste pour masquer la bêtise ambiante et se donner l’air intelligent, un peu de politique.

Bref, le corps enseignant aussi a sa part de responsabilité. Il existe très peu d’enseignants passionnés, prêts à accompagner leurs élèves, à les observer pour mieux les connaître et mieux les aider. Il y aura des exceptions qu’on mettra en avant pour masquer la triste vérité. Mais cela ne changera rien à la réalité.

J’en reviens à ce que je disais au préalable. Le métier n’attire pas nécessairement les bonnes compétences. Il s’agit de ne pas se taire et dire clairement que beaucoup sont là pour la sécurité d’emploi, le salaire garanti, les vacances, la voiture Duty Free après quelques années de travail. Une Staff Room ressemble souvent à une anti-chambre de la mort où des êtres piégés dans leur zone de confort attendent sagement la retraite ou la publication du prochain rapport PRB. En attendant, il y a des gosses qui se sentent marginalisés, incompris, pas à leur place et qui vont se jeter du haut du pont SAJ.

 

Culture d’excellence, vraiment ?

 

Il nous manque aussi une culture d’excellence au sein de nos établissements pour permettre véritablement une école inclusive. Je ne parle pas ici d’excellence académique. Je parle d’excellence dans la démarche pédagogique globale. Je parle ici d’enseignants ne travaillant pas uniquement à transmettre, mais également travaillant à observer les enfants à leur charge et décidés à mieux connaître chaque élève pour pouvoir, à chaque étape, mieux cerner qui ils sont et ainsi mieux les orienter, mieux les aider à être eux-mêmes, mieux les aider à se sentir intégrés au sein de l’école, au sein de la société mauricienne et plus simplement à être en adéquation avec eux-mêmes.

 

Le kreol morisien au service de la pensée et de l’économie

 

Cela passe aussi par l’élimination d’une barrière qui participe grandement à l’exclusion des milliers d’enfants de la possibilité même de se sentir intégrés dans le processus d’une scolarité épanouie, celle de la langue utilisée comme médium d’enseignement.

Comment peut-on parler d’école inclusive quand l’enfant découvre le monde du savoir dans une langue qui lui est au préalable étrangère ?  Mon expérience de terrain me l’a démontré : par l’utilisation de l’anglais et du français comme médium d’enseignement, nous avons exclu de fait des milliers d’enfants doués en leur imposant entre les mathématiques et eux, par exemple, une barrière, la langue, qui est le socle même de la pensée. Espérons que nous perdrons ces réflexes de néo-colonisés au fil du temps. Une école véritablement inclusive se doit de parler la langue parlée et comprise par tous.

 

École unique vs. diversité : l’impossible équation

 

Ultime point de réflexion avant d’en terminer. À quelques nuances près, l’État mauricien offre, au nom de l’égalité, une école unique, un système unique aux enfants mauriciens. Une simple question : comment inclut-on les différences dans un moule unique?

Nombreux seront ceux qui vont déborder du moule. Ça ne prendra pas. Une proposition d’école unique, de parcours scolaire unique ne favorise pas l’inclusivité. On me rétorquera que pour cela il faut en avoir les moyens. Mais la fin justifie les moyens: notre principal atout, c’est l’intelligence de nos enfants. Il est, je crois, nécessaire d’en prendre soin.

On le voit, le chantier est titanesque. Depuis des décennies on se cache la vérité. On se cache derrière les exceptions. On se cache derrière une élite qui, au fond, n’avait pas besoin du système existant pour émerger. La réalité, c’est que notre école a aussi pendant des années mis de côté des milliers d’enfants qui ont intériorisé l’idée qu’ils étaient des échecs. Ils ont intégré le monde du travail avec cette idée qu’ils n’avaient pas ce qu’il fallait pour exceller. Leur place se trouvait dans le ventre mou d’une société qui, au fond, les avait rejetés d’emblée. Ils vont ainsi faire carrière souvent à côté de leurs pompes et à un niveau d’efficience brimé. C’est toute la société mauricienne qui en paye les conséquences.

En tant que pays, nous n’avons jamais atteint notre plein potentiel comme Singapour, par exemple. Il est temps de reconnaître qu’une des causes majeures de cette situation, c’est que nous nous privons des talents, des intelligences multiples qui composent la seule véritable richesse de cette île. Cela, en nous bornant à rester dans le cadre d’un système qui ne permet pas à chacun de nos enfants de trouver sa place. Le Mauricien en paye les conséquences chèrement. Le pays en paye les conséquences et nous nous étonnons de notre faible productivité et du fait qu’on se soit retrouvé piégé dans l’évolution des conditions économiques prévalant dans l’île. Comment aurait-on pu progresser davantage alors que peu de Mauriciens ont la possibilité de jouer un rôle social et professionnel qui correspond véritablement à ce qu’ils ont ? Un attaquant qui dépanne son équipe en jouant comme gardien de but et qui encaisse but sur but n’est pas pour autant un mauvais joueur. Il n’est juste pas à sa place. C’est le drame que vivent beaucoup de Mauriciens. C’est le drame que vit le pays.

Les enjeux des Assises de l’éducation et ceux d’une éventuelle réforme du système sont énormes et nombreux. Mais la question de l’inclusivité aura à être traitée comme une priorité. Il est temps de libérer la créativité, les intelligences, les énergies. Dans le monde chaotique qui nous attend, nous aurons besoin de tout le monde.

Il est temps que chaque enfant mauricien trouve sa juste place. À l’école. Mais aussi, et surtout, dans le pays.

FIN

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