La réponse fournie mardi dernier par le Premier ministre au Parlement sur la situation financière d’Air Mauritius est venue confirmer les révélations de l’article paru dans Week-End du 6 avril dernier , intitulé « Sauvetage au forceps – Air Mauritius : une facture colossale… et des milliards qui échappent à la transparence ». Le chef du gouvernement a, en effet, affirmé que Rs 2,5 milliards de fonds destinés au fonctionnement de la compagnie nationale n’ont pas été utilisés comme prévu, et qu’une enquête a été confiée au cabinet KPMG pour en déterminer les circonstances.
Le redressement d’Air Mauritius, plongée dans la tourmente depuis la pandémie, ressemble à un labyrinthe financier où des milliards ont été injectés… mais sans traçabilité claire pour une partie des fonds.
En 2021, l’État accorde un prêt de Rs 12 milliards à Airport Holdings Ltd (AHL), maison-mère d’Air Mauritius, pour soutenir la relance du transport aérien. Ce prêt se décompose ainsi `
• Rs 9,5 milliards pour le règlement des créanciers,
• Rs 2,5 milliards pour les besoins en fonds de roulement de la compagnie.
Mais problème, ces Rs 2,5 milliards ne figurent dans aucun rapport financier publié, ni dans les déclarations officielles. Le Premier ministre a reconnu que cette somme, « qui aurait dû être utilisée pour les dépenses courantes », a servi à d’autres fins – sans justification, ni approbation formelle. Une situation jugée suffisamment grave pour que le cabinet KPMG soit mandaté pour mener un audit complet, afin de retracer les flux financiers.
Entre 2015 et 2024, Air Mauritius a accumulé Rs 17,7 milliards de pertes, aggravées par Rs 1,2 milliard de moins-values liées à la vente à perte de plusieurs appareils (A319, A330, A340). Pour soulager la trésorerie, la compagnie a également bénéficié d’une conversion de dettes en actions à hauteur de Rs 8 milliards, ce qui a réduit son déficit en fonds propres à environ Rs 2 milliards. Mais la situation reste instable.
La recapitalisation de la compagnie s’est principalement effectuée via AHL, dans un montage financier complexe impliquant des acquisitions croisées, des transferts internes et, surtout, l’intervention de la Mauritius Investment Corporation (MIC), filiale de la Banque de Maurice. Or, Air Mauritius elle-même n’a jamais reçu directement les Rs 25 milliards injectés par la MIC. Ces fonds ont servi à rembourser la dette contractée par AHL auprès de l’État et à acheter des parts dans Airports of Mauritius Ltd (AML).
L’un des points les plus controversés du montage : la valorisation des actifs d’AHL à Rs 51 milliards, une estimation jugée « artificielle » et « comptable », selon les critiques exprimées au Parlement. Cette valorisation gonflée aurait permis à la MIC de justifier l’achat de 49% du capital d’AHL pour Rs 25 milliards, alors que la Banque mondiale estime cette part à environ Rs 5 milliards seulement. Le PM a dénoncé une « opération d’illusion comptable » menée sous l’ancien gouvernement, et qui pourrait représenter une perte potentielle majeure pour les finances publiques.
Aujourd’hui, Air Mauritius reste en situation de « negative equity » avec un déficit résiduel de Rs 2 milliards. Une nouvelle injection de fonds par la MIC n’est pas exclue pour combler ce trou. Mais l’incertitude persiste quant à l’utilisation réelle des Rs 2,5 milliards manquantes, qui cristallise toutes les interrogations sur la transparence du plan de sauvetage.
Si les indicateurs opérationnels s’améliorent, avec le retour du trafic touristique et une rationalisation des routes, c’est surtout sur le plan de la gouvernance que la compagnie joue désormais sa survie. Les zones d’ombre sur l’affectation de fonds publics, la gestion d’AHL, et le rôle exact de la MIC fragilisent la confiance des créanciers, des employés et de l’opinion publique.
Plus qu’un simple sauvetage financier, c’est une clarification complète des flux entre État, AHL, MIC et Air Mauritius qui est attendue. Un impératif de transparence pour tourner la page d’une opération qui, malgré son habillage comptable, reste profondément contestée.
SUITE À L’INTERVENTION DU PM AU PARLEMENT, MARDI DERNIER : Que le rapport KPMG soit rendu public !
Les employés dénoncent des zones d’ombre persistantes et une opération financière en trompe-l’œil du duo Air Mauritius – Airport Holdings Ltd
La récente intervention du Premier ministre au Parlement, confirmant l’irrégularité entourant les Rs 2,5 milliards dans le plan de sauvetage d’Air Mauritius, a provoqué un nouveau choc en interne. Plusieurs employés issus de différents départements de la compagnie nationale ont adressé une missive à Week-End, dans laquelle ils réclament la publication immédiate du rapport KPMG et l’ouverture d’une enquête indépendante sur l’ensemble du montage financier impliquant l’État, la Mauritius Investment Corporation (MIC) et Airport Holdings Ltd (AHL).
Ces employés de MK soulignent les contradictions d’un montage que le PM lui-même a qualifié de douteux. Selon les faits reconnus publiquement
• La MIC a injecté Rs 25 milliards dans AHL.
• Le jour même, AHL a remboursé Rs 12 milliards à l’État – correspondant au prêt contracté en 2021 pour le redressement d’Air Mauritius.
• La MIC détient pourtant toujours 49% des parts d’AHL, sur la base d’une valorisation à Rs 51 milliards – une estimation jugée « artificielle » et vivement critiquée au Parlement.
À la lumière de ces informations, le personnel s’interroge sur le fait que si seulement Rs 13 milliards sont effectivement restés dans les comptes d’AHL, comment justifier que la MIC détienne toujours la moitié du capital ? Selon eux, cela ne correspond à aucune logique financière viable pour une entité publique financée par les réserves nationales.
Mais c’est surtout la somme de Rs 2,5 milliards, initialement prévue pour le fonds de roulement d’Air Mauritius, qui cristallise les tensions. Le PM a reconnu qu’elle avait été utilisée à d’autres fins – sans autorisation claire, ni traçabilité. Les employés s’insurgent : « Qui a autorisé ce changement d’affectation ? Et surtout, à qui a profité cette opacité ? »
Autre point de discorde : la vente à perte d’une partie de la flotte (A319, A330, A340) pendant la pandémie, dans un marché mondial pourtant paralysé. Ces cessions auraient entraîné Rs 1,2 milliard de pertes. Les signataires se demandent : « Pourquoi avoir bradé ces avions à ce moment-là ? Qui a pris cette décision, et dans quel but ? » D’autant qu’à peine un an plus tard, en 2023, le nouveau CEO étranger nommé en décembre 2022 engage la compagnie dans l’achat de trois Airbus A350 dernier cri – estimés à Rs 7 milliards chacun. Pour les employés, la question du financement reste entière : « Comment Air Mauritius a-t-elle pu financer ces commandes, alors qu’elle était encore déficitaire ? »
Le personnel pointe aussi du doigt certains hauts cadres toujours en place, considérés comme des figures centrales du climat de gestion opaque de ces dernières années : Roudesh Muttylall, Sameer Baichoo, Alain Leung Hing Wah, Laurent Recourra, et plusieurs responsables RH cités comme ayant profité d’une gouvernance sans contrôle. Certains sont suspendus, mais continueraient à avoir accès à des données stratégiques.
Le courrier dénonce également les inégalités de traitement salarial pendant la période Covid-19. De nombreux employés affirment ne pas avoir reçu correctement le Government Wage Assistance Scheme (GWAS), alors que le management percevait son salaire complet, malgré des seuils d’éligibilité dépassés. Une situation vécue comme une double peine, tant sur le plan financier que moral.
Pour restaurer la crédibilité d’Air Mauritius et du plan de sauvetage, les employés posent cinq demandes précises :
1. Publication intégrale du rapport d’audit KPMG
2. Identification claire des responsables de la mauvaise gestion
3. Audition sous serment des anciens dirigeants impliqués
4. Publication du rapport Korn Ferry sur les salaires
5. Mise en place d’une commission indépendante pour auditer toutes les transactions depuis 2020
Ils concluent en appelant à une réforme profonde de la gouvernance d’Air Mauritius, pour mettre fin à ce qu’ils qualifient de « climat d’impunité organisé !!! ».