Dr BELLE L. JINOT, FHEA (UK)
Expert en gestion de l’Éducation
Senior Lecturer (Education)
Open University of Mauritius
La drogue synthétique a fait son entrée de plein fouet dans nos écoles – primaires et secondaires – grâce aux élèves astucieux et pernicieux. La violence scolaire parmi les élèves, voire à l’encontre des enseignants, est monnaie courante. Ces deux phénomènes y sont entrés par la grande porte de nos institutions scolaires, autrefois sacrées! Jusqu’à tout récemment, les autorités éducatives blâmaient les parents, et ces derniers pointaient du doigt les enseignants. Est-ce de la démagogie, ou un jeu de blâme? En tout cas, ce sont les élèves qui payent les pots cassés de la myopie des autorités concernées en raison de la décadence de la culture d’apprentissage et de l’enseignement dans nos institutions.
Beaucoup de personnes, voire des pédagogues et des sociologues, osent mettre ces innocents élèves sur les bancs des accusés. Or, je leur dirais de se tourner vers le miroir et de faire leur propre mea culpa. Aux parents, je poserais quelques questions: Assumez-vous encore vos rôles fondamentaux de premiers parents lorsque l’enfant est encore tout petit et innocent? Qu’est-ce qui importe? L’affection, l’attention, l’amitié et l’amour dont l’enfant a besoin pour se sentir aimé, ou travailler d’arrache-pied à des horaires atypiques pour arrondir le salaire de fin de mois, pour accumuler sa richesse, pour voyager, pour s’amuser entre les copains après les heures du bureau? Apaiser l’enfant en l’abandonnant avec un téléphone portable et vous vous reposez devant le vôtre, en vous disant – un bon débarras!? Une fois grandi, vous l’envoyez prendre des cours particuliers le week-end pour vous en libérer et vous adonner à vos occupations à la maison ou à vos loisirs! Où est passée la transmission des valeurs spirituelles, culturelles, morales et humaines que les parents autrefois transmettaient aux petits? Et le repas familial? Sans l’envahissement du téléphone portable à bord de la table de repas ou lors des conversations familiales!
Aux enseignants, je demanderais: l’enseignement, est-il une profession comme une autre ou une vocation envers les enfants, ou simplement un moyen de gagner un salaire uniquement? Où est votre cœur? Votre amour pour faire épanouir l’enfant que les parents vous confient? L’enseignant moderne, se déshumanise-t-il, à force d’évoluer dans un monde artificiel? L’élève n’est ni un instrument ni un objet, mais un être humain en chair et en os qui a besoin de développer non seulement ses compétences académiques, mais surtout ses compétences socio-émotionnelles et artistiques pour être en mesure de réfléchir à ses actes, savoir vivre avec les autres, se respecter et respecter l’autrui et celle de l’autorité des adultes et les propriétés des autres, se responsabiliser, développer un sentiment d’appartenance à son établissement scolaire et discerner entre le bien et le mal, ce qui est socialement, moralement et civilement acceptable ou pas. Le mot clé, c’est l’autodiscipline! Quelle est l’exigence des parents à ces enseignants? Une meilleure performance académique! L’enseignant sous-rémunéré ne voit qu’en les cours particuliers un moyen pour monétiser l’éducation et l’enseignement en acceptant l’argent des parents, qui croient fermement que l’éducation se résume au bourrage de crâne, et par extension, avoir d’excellents résultats pour que l’enfant soit admis dans la meilleure école de la région! Et l’enfant mauricien, est-il vraiment un verre vide que l’enseignant remplit avec des connaissances académiques? Qu’en est-il de la pédagogie critique? De le mettre au centre de son apprentissage et de s’approprier de ce qu’il apprend en classe, avec l’aide de son enseignant?
Et les autorités éducatives? Il suffit de lire le document du ministère de l’Éducation, intitulé Student Behaviour Policy (2015) pour constater leur myopie! En passant des offenses mineures aux offenses sérieuses, les mesures proposées sont la réprimande verbale, des devoirs supplémentaires, un avertissement, la privation temporaire à des privilèges et des activités scolaires, la détention après les heures de classes ou le samedi, la suspension et l’expulsion permanente de l’école. Or, c’est l’approche réactive et punitive à l’indiscipline, qui a été empiriquement prouvée inefficace dans les sociétés développées. Les modèles modernes de discipline recommandent l’approche proactive, positive et préventive: l’enseignement des valeurs humaines, la responsabilisation de l’élève, l’enseignement de l’autodiscipline, le contrat de comportement, la voix et le choix de l’élève dans l’élaboration des règles de comportement et des conséquences en cas de non-conformité de l’élève, l’apprentissage socio-émotionnel, et la justice restaurative ou ce dernier répare le mal fait à l’autre et travaille sur la reconstruction des relations avec l’autre. Évidemment, l’enseignant est l’important pilier dans cette approche, mais sans le soutien du ministère sous forme d’une formation spécialisée dans la gestion de l’indiscipline des élèves et la psychologie de l’adolescence, et d’aide d’un psychologue, un sociologue et un travailleur social en permanence au sein de l’école. Et alors qu’on enseigne aux enfants leurs seize droits, n’ont-ils pas de responsabilités en tant qu’apprenants, envers l’école, les enseignants et les autres élèves?
Et les élèves dans tout cela? Sont-ils coupables? Halte! Ce sont des enfants avant tout qui ont besoin d’être aimés. Ils ont le besoin de se socialiser, s’amuser, se reposer, se retrouver entre copains et en famille. Ils ont le besoin de vivre leur enfance et leur adolescence; c’est la période de l’insouciance, de découverte du monde inconnu, d’être curieux, aussi surtout d’être guidés dans leurs choix, leurs goûts, leurs intérêts; d’avoir une oreille attentive à leurs besoins, attentes, soucis et joie du quotidien! L’absence des parents et des profs à leurs côtés et dans leurs vies et le manque de soutien socio-émotionnel et éducatif, le manque de leur valorisation, de reconnaître leurs compétences à leur juste valeur, le sentiment de se sentir isolés ou abandonné, la pression parentale d’apporter de bonnes notes à la maison, et le manque de distractions et de loisirs, voire d’ activités scolaires et extra-curriculaires expliqueraient le défoulement agressif et illicite de nos élèves. Qui se soucie de leur surcharge cognitive, du stress des examens, de leur frayeur constante d’une mauvaise performance académique et des conséquences à subir des parents? Sommes-nous aveugles de l’engrenage dans lequel nous forçons nos enfants à s’engouffrer, et à en sortir avec des conséquences, dont ils sont souvent des fois marqués à vie? La dépression, l’isolation, l’individualisme, la drogue, l’alcoolisme, le tabagisme, le crime, le vol entre autres.
Avec les assises de l’éducation tous les acteurs de l’éducation sont appelés à réfléchir ensemble afin de trouver des solutions appropriées aux maux de notre système éducatif qui ont trop longtemps perduré et qui nécessitent des actions concrètes immédiatement, avant qu’il ne soit trop tard! En avant M. Le Ministre avec l’humanisation de notre éducation. Toutefois, la réussite d’un changement positif ne peut se réaliser sans la collaboration de tout un chacun. La décentralisation de notre système éducatif doit devenir donc une priorité pour faciliter ce processus de réforme. La centralisation du pouvoir et des décisions relatives à l’éducation a fait couler trop de larmes du citoyen mauricien sous le pont politique !