— Tu as vraiment mauvaise mine, toi. Qu’est-ce qui t’arrive comme ça ?
— Il y a de quoi, toi. Mon corps est casse-cassé, j’ai des courbatures partout.
— Ne me dis pas que tu as attrapé cette mauvaise grippe-là.
— Non, toi. C’est pire que ça.
— Pire que ça ? Le corps casse-cassé, des courbatures ? Je sais : tu as eu le chikungunya !
— Heureusement que non. Ça, c’aurait été le bouquet !
— Mais dis-moi ce que tu as eu comme ça alors, foutour va !
— Ne crie pas avec moi, donc ! Mafi est en sick leave.
— Mafi ? Tu veux dire ta bonne. Qu’est-ce qui lui est arrivé comme ça ?
— Elle a glissé, est tombée et s’est blessée en allant prendre le bus et le docteur lui a donné dix jours de sick leave.
— Dix jours ? Elle a été bien blessée alors. Tu as trouvé quelqu’un pour la remplacer pendant son congé maladie.
— Oui. Moi-même !
— Toi-même ?! Qu’est-ce que tu es en train de raconter comme ça ?
— Je te dis que je remplace Mafi. Pendant son sick leave, c’est moi qui fais son travail.
— Pourquoi tu n’as pas pris quelqu’une pour…
—… où est-ce que tu vas trouver une quelqu’une pour travailler chez toi, et pour dix jours ? Tu ne sais pas qu’il est aujourd’hui plus facile de gagner au Loto que de trouver une personne pour faire le ménage ?
— Tu es en train d’exagérer là.
— Mais pas du tout. Aujourd’hui le Mauricien en général ne veut plus travailler parce qu’il a tellement d’argent avec toutes les allocations que lui donne le gouvernement. En plus, on n’aime pas travay dan lakour, on dit que c’est dégradant et on préfère l’usine où on est exploité !
— Tu as raison. On me dit que dans la construction, la restauration, l’hôtellerie, tout ça c’est pareil. C’est à cause de ça même qu’ils font venir de la main-d’oeuvre étrangère. Mais pourquoi tu dis que ton corps est casse-cassé, que tu as des courbatures ?
— Parce je fais tout le travail de Mafi : nettoyer la maison, cuire à manger — et celui des chiens — faire la vaisselle, laver le linge, le mettre à sécher, le repasser, tout ça je fais. C’est mari fatigant je te dis.
— À ce point-là ?
— Tu peux pas savoir ! Je réapprends à faire le ménage un petit coup, seulement avec un coup de balai et un coup de mop. Mais c’est éreintant toi.
— Mais qu’est-ce que tu faisais à la maison avant le sick leave de Mafi ?
— Exactement comme tu fais avec ta bonne : je lui expliquais ce qu’il fallait faire, elle le faisait et je passais par derrière pour contrôler.
— C’est elle qui faisait la cuisine ?
— Oui, mais c’est moi qui lui expliquais ce qu’il fallait faire et comment le faire. Je lui disais de faire dégeler la viande ou le poulet, de nettoyer et couper les légumes, de trier les brèdes et de mettre à tremper les grains. Elle cuisait et moi en sortant du bureau j’ajoutais un peu de sel, du poivre, de cotomili, le final touch comme on dit, avant de chauffer et de servir le soir.
— Donc, quand tu arrivais chez toi tout était fait alors ?
— Mais oui, comme ça je pouvais me reposer après une longue journée de travail. Depuis le sick leave, je rentre chez moi, et au lieu de me reposer, je fais tout le travail que Mafi faisait. Je coupe, je tranche, je lave, je cuis non-stop !
— Mais ton bonhomme et tes enfants, ils ne te donnent pas un p’tit coup de main dans la maison ?
— Ayo, il vaut mieux pas, toi. Une fois j’ai demandé à mon garçon de faire une machine de lessive. Il a mélangé le linge blanc avec le linge de couleur, et tout a déteint ! J’ai dit à mon bonhomme de faire la vaisselle après le dîner, résultat : deux verres et un grand plat cassés !
— Et ta fille, elle aurait pu t’aider pour cuire à manger au moins.
— Laisse tomber ! Elle est tellement mauvaise en cuisine qu’elle serait capable de brûler un bouillon de brèdes ! Tu comprends maintenant pourquoi je préfère tout faire moi-même ?
— Si j’ai bien compris, tu as bien besoin que Mafi reprenne le travail.
— Et comment ! Sans elle ma vie à la maison est un véritable enfer, je te dis.
— C’est toujours quand les gens ne sont pas là qu’on se rend compte de leur importance. Alors, quand Mafi va reprendre tu vas lui donner une bonne augmentation…
— Ah bon ?! Pourquoi ?
— Tu viens de me dire à quel point elle est indispensable… ça mérite une augmentation, non ?
— Attention ! Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes ! Elle fait bien son travail, mais elle est payée pour ça. Et crois-moi, elle est très bien payée.
— Mais je pensais…
— Il ne faut pas exagérer. On ne peut donner des augmentations de salaires comme ça d’un coup. Je ne suis pas un gouvernement à la veille des élections, moi. Et puis, rend-moi un service, s’il te plaît.
— Quel service ?
— Ne va pas répéter à Mafi tout ce que je t’ai dit sur son travail et son importance dans ma maison.
— Pourquoi ? C’est pas juste de reconnaître le mérite ?
— Oui, mais tu sais comment les bonnes sont : tu leur donnes un doigt elles te prennent carrément le bras en entier. Comme dit le proverbe : à chacun son métier et les vaches seront bien gardées !
J.-C.A.
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