Le temps

On m’a reproché de ne souligner que les manquements et retards du nouveau gouvernement en négligeant une chose essentielle depuis les élections : le changement d’atmosphère. C’est vrai que depuis le 11 novembre, une nouvelle atmosphère règne dans le pays. Le temps où l’on se retenait pour parler, où l’on évitait de dire son opinion devant un interlocuteur qu’on ne connaissait pas est révolu. Tout comme celui où l’on redoutait d’être écouté au téléphone et où l’on interrompait facilement un interlocuteur en début de conservateur pour lui dire « appelle-moi plutôt sur WhatsApp » n’est plus. C’est vrai que les Mauriciens ont la mémoire courte ! Il n’est pas si loin le temps où un commentaire ironique — que certains interprétaient comme une insulte — sur un politicien pouvait valoir une descente de police.

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Une impressionnante descente de police au petit matin avec une demi-douzaine de flics en uniforme, accompagnés parfois d’un chien renifleur, le tout menant à une fouille et à la saisie de l’ordinateur sur lequel la blague avait été postée. Suivi par un long interrogatoire aux Casernes centrales qui se terminait par une accusation provisoire et une libération conditionnelle après passage en cour. Quand j’écris ce qui précède, j’ai l’impression de lire le résumé d’une série policière à la télévision, et pourtant, c’était la réalité quotidienne à Maurice il y a quelques mois à peine. Il y a encore des personnes accusées provisoirement d’un délit faisant l’objet d’une enquête. Qui comme la majeure partie d’entre elles sera rayé pour manque d’éléments par une cour de justice.
Quand on pense à cette période que nous avons voulu rapidement oublier tant elle était malsaine, l’expression d’un groupe qui voulait asservir un pays, en lui faisant peur, on comprend pourquoi les Mauriciens ont voté massivement pour le changement. Pas forcément pour ceux qui prétendaient l’incarner, mais pour en finir avec un système dont la finalité était de contrôler les Mauriciens par tous les moyens technologiques imaginables, acquises par le gouvernement, mais payés par les contribuables eux-mêmes. On l’a oublié, mais c’est vrai que toutes sortes de pressions étaient exercées pour diviser les Mauriciens, les rendre mal à l’aise, méfiants, n’osant plus parler librement, de crainte de déplaire aux puissants du jour et leurs chatwas ou chamchas — au choix — qui avaient la certitude qu’ils seraient toujours au pouvoir et pourraient éternellement utiliser les biens publics comme un héritage personnel et le dilapider selon leur bon vouloir et leurs fantaisies. Par exemple, le gouvernement précédent avait fini par faire croire que l’indépendance et sa célébration lui appartenaient à lui et ses partisans. N’a-t-on pas entendu la femme du Premier ministre se plaindre qu’une communauté s’était accaparée du quadricolore, alors que le drapeau national d’un pays appartient à chacun de ses habitants indistinctement ?

Cette volonté d’exclure ceux qu’ils considéraient ne pas faire partie de « nou bann » en les opposant a « bannla » poussée à l’extrême a fini par produire le résultat contraire. « Bannla » ont décidé de s’allier « pou met nou bann deor » à travers un 60/0 qui doit encore résonner comme une claque chez les orange. Ceux qui en restent, car il n’y a rien de plus infidèle qu’un chatwa qui, comme la carapate, sait à quel moment précis changer de chien.

Le fait de reconnaître ce que le changement a de bon ne veut pas dire qu’il ne faut pas regarder et dire ce qui ne va pas, ne se fait ou ce qui est mal fait dans ce changement. Même si Navin Ramgoolam a repris dans son message à la nation la célèbre phrase de François Mitterrand « Il faut donner du temps au temps », il faut quand même lui rappeler que cela fait quatre mois que le gouvernement a été élu et que certaines choses tardent à se mettre en place. Par exemple, les nominations des membres de certaines institutions nécessaires à la bonne marche du pays. Malgré toute la bonne volonté du monde, on ne peut s’empêcher de remarquer que le nouveau gouvernement semble manquer de ressources humaines disponibles, ce qui le pousse — l’oblige ? — à nommer à des postes de responsabilité des fidèles et loyaux serviteurs politiques qui n’ont pas forcément les capacités nécessaires pour bien travailler là où ils sont postés, et ça commence à se faire sentir. Combien de temps faudra-t-il donner au nouveau gouvernement pour qu’il commence à fonctionner normalement, ne disons pas à plein régime ? Il aurait intérêt à le faire le plus rapidement possible pour que le temps de l’atmosphère de liberté retrouvée ne se transforme en celui de la déception.

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