C’est bien beau d’avoir investi environ Rs 2 millions, en 2022, pour des travaux de rénovation et d’embellissement — incluant la mise en terre de plantes endémiques et exotiques — au Jardin de la Compagnie. Sauf que la mairie de Port-Louis semble avoir occulté le piteux état dans lequel se trouve la Fontaine des Amours, inaugurée le 15 octobre 1838. Un crève-cœur. Tombée dans l’oubli, cette fontaine qui, jadis, égayait les regards par le ruissellement, semble avoir subi des actes de vandalisme. La structure se disloque à vue d’œil, victime de l’usure. Un déclin qui risque de s’accentuer si les autorités ne se décident pas, dans les semaines à venir, à donner un coup de neuf à ce joyau architectural regorgeant de détritus en tous genres. Une affligeante dégradation révélatrice de l’absence totale de politique de sauvegarde de patrimoine du genre en péril.
Avant qu’il ne soit transformé en un parc botanique en 1735, le Jardin de la Compagnie était avant tout un terrain marécageux. Repeuplée par des arbres sous le gouvernement britannique en 1828, le site sera doté d’une fontaine, ornée de statuettes d’anges, en 1838, laquelle propulsait l’eau à une hauteur remarquable. Véritable repère emblématique et largement plébiscitée par les couples d’amoureux, elle est baptisée « la Fontaine des Amours. » Si l’image des églises, bureaux administratifs et autres grandes maisons bourgeoises d’antan, en bois ou en pierre taillée, se grave plus facilement dans la mémoire collective, d’autres structures plus modestes ont une valeur historique qui méritent aussi d’être préservées et valorisées. Et c’est avec le pincement au cœur qu’on assiste à l’effacement de la Fontaine des Amours.
Nichée dans un cadre enchanteur, au milieu des banians, ladite fontaine, vieille de 187 ans, avait profité d’une protection à toute épreuve contre l’altération, la destruction, et résisté impérieusement à l’assaut des hommes. ll ne reste désormais qu’un décor dépouillé de sa superbe d’antan, sous l’effet de fissures profondes, qu’on pourrait croire à des actes de vandalisme. Une situation qui ne semble émouvoir personne, hormis ces quelques touristes qui examinaient la structure d’un œil sévère, vendredi. La dislocation de la fontaine révèle une rangée de briques en terre cuite rouge. Laquelle, à base d’argile et d’oxyde, parmi les matériaux de construction les plus anciens, est à la fois un matériau universel de structure. Un art et une architecture mêlant l’influence française et pondichérienne, datant du 18e siècle.
En sus d’être dans un état de délabrement, la fontaine regorge de déchets en tous genres, dont des branches sèches qui semblent ne pas avoir été ramassées depuis des lustres. « Mal entretenir son patrimoine et l’abandonner à son sort est une faillite intellectuelle, une faute morale, une erreur politique, un non-sens économique. » Ces mots émanant de l’animateur, écrivain et passionné d’histoire Stéphane Bern résument parfaitement ce « laisser-aller » dont les autorités ne semblent nullement se préoccuper et sur lequel Week-End ne cessera point de gloser. La Fontaine des Amours est un exemple, parmi tant d’autres, de cette manie de faire table rase.
À mesure que s’égrène le temps et au vu de son état de délabrement avancé, il devient de plus en plus évident que la Fontaine des Amours ne retrouvera jamais son lustre d’antan si les autorités ne prennent pas le taureau par les cornes dans les plus brefs délais. Des alertes sont lancées depuis novembre 2024, par des amoureux du patrimoine sur les réseaux sociaux, pour la mise sur pied d’un plan d’urgence massif visant à rénover la structure, mais leurs demandes sont restées lettre morte. Une énième page de la riche genèse de la capitale qui se meurt. Le dossier relatif à la restauration du patrimoine était le parent pauvre de l’action gouvernementale durant ces dix dernières années. La balle est désormais dans le camp du nouveau ministre des Arts et de la Culture, Mahen Gondeea…