Sherry Singh a occupé le poste de directeur général de Mauritius Telecom (MT) pendant plus de sept ans avant de démissionner brusquement le 30 juin 2022. Dans sa lettre de démission, il a laissé entendre qu’il ne pouvait plus continuer « sans compromettre [ses] valeurs ». Peu après, il a publiquement accusé le Premier ministre Pravind Jugnauth de l’avoir poussé à autoriser une équipe indienne à installer un dispositif de «sniffing» sur l’infrastructure internet du pays – une allégation que Jugnauth a niée. Ces révélations ont provoqué un tollé politique, connu sous le nom de la controverse du « sniffing ». En réponse, la police a ouvert une enquête sur ces déclarations et, dès août 2022, le Central Criminal Investigation Department (CCID) a interrogé Singh pour d’éventuelles infractions à la loi sur les technologies de l’information et de la communication (ICTA), ainsi que pour diffamation criminelle et diffusion de fausses nouvelles. Bien que ces accusations n’aient jamais donné lieu à un procès, elles ont marqué le début des ennuis judiciaires de Singh. Son statut de lanceur d’alerte s’est retourné contre lui, les autorités traitant ses révélations comme une offense criminelle.
Les accusations portées contre Sherry Singh
Entre 2022 et 2024, Singh a fait face à plusieurs accusations provisoires dans différentes affaires. Voici les principales charges retenues contre lui :
l Diffamation criminelle et fausses nouvelles (2022) : Les autorités ont affirmé que les déclarations de Singh sur le « sniffing » étaient diffamatoires et contraires à la loi ICTA. Toutefois, aucun procès n’a eu lieu sur cette affaire, ce qui suggère que le dossier manquait de fondement juridique.
l Blanchiment d’argent: Singh a été accusé d’avoir comploté pour blanchir 347 millions de roupies en 2020, en lien avec un projet industriel à La Tour Koenig. Sa femme, Varsha Singh, faisait aussi partie des personnes mises en cause, mais les charges contre elle ont été abandonnées en juin 2024.
l Fraude dans un contrat de Mauritius Telecom (« Smart Boxes ») : Singh a été accusé d’avoir favorisé un contrat lié à un projet de déploiement de nouvelles technologies. L’enquête a insinué une possible fraude, bien que les détails précis n’aient jamais été rendus publics.
l Vol de matériel appartenant à MT (« Affaire des pierres volées ») : En 2023, la police a accusé Singh d’avoir comploté avec un entrepreneur pour voler des matériaux de construction appartenant à Mauritius Telecom, notamment des pierres taillées d’une valeur de 25 millions de roupies. Ces matériaux, censés servir à des infrastructures télécoms, avaient été retrouvés sur un terrain privé.
l Destruction de preuves
(suppression de données) : Une autre accusation a affirmé que Singh avait donné l’ordre d’effacer des données sur un serveur de Mauritius Telecom, probablement pour masquer des informations sensibles.
l Cybercriminalité et terrorisme (affaire « Missie Moustass ») : En novembre 2024, Singh a été arrêté pour son implication présumée dans la diffusion de fuites audio anonymes critiquant le gouvernement. Il a été inculpé d’utilisation d’un faux profil sur les réseaux sociaux et d’actes de terrorisme, une qualification juridique qui a choqué l’opinion publique.
L’accumulation de ces accusations a peint Singh comme un acteur central dans plusieurs délits présumés – allant de la diffamation et la fraude financière au terrorisme. Toutes étaient provisionnelles, signifiant qu’elles n’étaient pas encore consolidées en charges formelles devant un tribunal.
Implications pour Maurice
Cette affaire a soulevé plusieurs questions cruciales pour la démocratie mauricienne :
l L’instrumentalisation de la police : L’affaire a révélé comment certaines institutions peuvent être utilisées pour régler des comptes politiques.
l L’abus des charges provisoires : Singh a été accusé sans jamais être formellement inculpé, soulevant la nécessité d’une réforme du système judiciaire.
l L’indépendance du DPP et des tribunaux : Finalement, c’est l’intégrité du DPP et des magistrats qui a permis d’éviter une injustice.
l Le rôle du public et des élections : Singh lui-même a reconnu que c’est le peuple mauricien, en changeant de gouvernement, qui lui a permis d’obtenir justice.
Le cas de Sherry Singh, un personnage vif d’esprit, courageux, à la limite du revanchard mais qui peine à inspirer totalement confiance au sein de la population et d’une partie de la classe politique. Cependant il restera un exemple marquant des dérives possibles de la justice sous pression politique, mais aussi une victoire pour l’indépendance des institutions judiciaires. Son acquittement souligne la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte et les opposants politiques des persécutions judiciaires.Déroulement des événements et
procédures judiciaires
l 30 juin 2022 – Démission et révélations publiques : Singh quitte Mauritius Telecom et révèle l’affaire du « sniffing », accusant directement le Premier ministre d’être impliqué.
l Août 2022 – Interrogatoire par la police : Singh est convoqué par le CCID pour être interrogé sur la possible diffusion de fausses nouvelles et d’infractions à l’ICTA. Aucune arrestation n’est effectuée à ce stade.
l Mai 2023 – Arrestation dans une affaire de vol de cuivre : Singh et sa femme sont arrêtés par la Special Striking Team (SST) en lien avec la découverte de 22 tonnes de câbles en cuivre volés, d’une valeur estimée à 18 millions de roupies.
l Novembre 2024 – Arrestation pour « terrorisme » : Juste avant les élections générales, Singh et plusieurs autres personnes sont arrêtés et accusés d’avoir utilisé un faux compte Facebook pour diffuser des enregistrements audios compromettants pour le gouvernement.
l 19 novembre 2024 – Changement politique et nouvelles perspectives : Le gouvernement de Pravind Jugnauth est battu aux élections générales, et un nouveau Premier ministre, Navin Ramgoolam, prend le pouvoir. Ce changement marque un tournant décisif dans l’issue judiciaire des affaires de Singh.
l 10 mai 2024 – Abandon des charges de cybercriminalité et de terrorisme : Un tribunal annule les accusations contre Singh concernant l’affaire « Missie Moustass», reconnaissant l’absence de preuve d’une intention criminelle.
l 5 mars 2025 – Acquittement total : Le tribunal de Port-Louis rejette les dernières charges encore en cours (suppression de données et vol de pierres), confirmant que le DPP n’a trouvé aucun fondement pour poursuivre Singh. Il est libéré de toutes les accusations.
Défense et arguments juridiques
Tout au long de cette saga judiciaire, Sherry Singh a clamé son innocence, dénonçant une cabale orchestrée pour l’éliminer politiquement. Ses avocats ont démontré :
l Que les accusations de “sniffing” ne relevaient pas de la diffamation, puisqu’elles s’appuyaient sur des faits confirmés par des témoignages internes.
l Que les charges financières étaient infondées, le DPP ayant finalement conclu à l’absence de preuves suffisantes pour instruire un procès.
l Que l’accusation de vol de matériaux reposait uniquement sur les déclarations d’un témoin douteux, un entrepreneur qui avait changé de version après une arrestation pour une autre affaire.
l Que l’affaire Missie Moustass ne pouvait être assimilée à un acte de terrorisme, puisqu’il s’agissait uniquement de la publication d’enregistrements audios critiques envers le gouvernement.
Sherry Singh a qualifié l’ensemble de ces procédures de “persécution politique”, expliquant qu’il avait été visé pour avoir dénoncé des pratiques contraires à l’éthique.
l Décisions finales et acquittement
Le 5 mars 2025, la justice mauricienne annule définitivement toutes les charges contre Sherry Singh. Cette décision met un terme à plus de deux ans d’acharnement judiciaire, confirmant que toutes les accusations étaient sans fondement.Sortant du tribunal, Singh a déclaré :« Mo kontan mo’nn libéré de tou bann sarz » (Je suis heureux d’être enfin libre de toutes les accusations). Il a remercié ses avocats et souligné que la transition politique de novembre 2024 avait permis de restaurer l’indépendance de la justice.Un équipier du couple
Jugnauth jusqu’à la rupture avec l’affaire Sniffing et la
dénonciation de “Lady Macbeth”
Sherry Singh, a entretenu des relations étroites avec le couple formé par le Premier ministre Pravind Jugnauth et son épouse, Kobita Jugnauth. Pendant plus de 17 ans, il a été considéré comme un proche confident et conseiller de Pravind Jugnauth, occupant même des postes de conseiller lorsque ce dernier était ministre des Finances entre 2009 et 2011. Son amitié et sa proximité avec Lady Jugnauth a fait longtemps les choux gras des conversations dans les chaumières en paticulier l’épisode de la piscine…
Cependant, en juin 2022, cette relation s’est détériorée lorsque Sherry Singh a démissionné de son poste de CEO de MT. Il a alors accusé le Premier ministre de lui avoir ordonné de permettre à une équipe tierce d’installer des équipements de surveillance au point d’atterrissage du câble sous-marin SAFE à Baie Jacotet, suscitant des allégations de “sniffing” ou d’espionnage des données internet.
Après sa démission, Singh a également fait référence à Kobita Jugnauth en la surnommant “Lady Macbeth”, une allusion au personnage de la tragédie de Shakespeare, suggérant une influence significative de sa part dans les affaires politiques. Ces événements ont conduit à une rupture publique entre Sherry Singh et le couple Jugnauth, marquant la fin d’une longue association personnelle et professionnelle.