Depuis la rentrée scolaire à ce jour, 38 collégiens dans un état dépressif ont sollicité les services des psychologues de Konekte. Jusqu’ici, le nombre de cas similaires sur une année était de 43. Ce qui démontre qu’il y a une hausse en matière de dépression, avec des pensées ou comportements suicidaires associés. Konekte vient de sortir un manuel de postvention pour aider à la gestion et prévention des comportements suicidaires en milieu scolaire. Dr Émilie Rivet-Duval, Chief Operations Officer de Konekte, affirme qu’il s’agit d’un outil, clé en main, pour savoir comment gérer ces situations.
Konekte est une entreprise sociale créée en 2005 et opérant sous l’égide du diocèse de Port-Louis. Regroupant des psychologues de formation, elle agit sur quatre plans : Skills for Life ; service d’écoute ; formation, sensibilisation et développement des outils ; et plaidoyer national. Avec sa présence dans les collèges catholiques, elle encadre environ 800 adolescents annuellement. Les raisons des difficultés rencontrées par les jeunes sont diverses, mais la violence (55%) demeure la plus fréquente. Il peut s’agir de violence physique, verbale, psychologique, sexuelle ou de comportements suicidaires.
Dr Émilie Rivet-Duval souligne que le comportement suicidaire représente la troisième cause de mortalité chez les jeunes de 15 ans à 24 ans, dans le monde. « Pendant l’adolescence, avec le développement physique, émotionnel et psychologique, les jeunes sont souvent vulnérables. Des problèmes de santé mentale, dont la dépression, les troubles anxieux, peuvent se manifester. Ce sont des facteurs de risque pouvant mener au suicide. Les jeunes veulent mettre fin à leur souffrance. 90% des suicides sont liées à la santé mentale », fait-elle comprendre.
La mort par suicide est une tragédie et un événement traumatique pour l’entourage, dit-elle, ajoutant que « souvent, il y a un sentiment d’impuissance. D’où l’urgence d’agir pour détecter les signes de souffrance. Le manuel a été réalisé justement pour aider à gérer ce genre de situation. Savoir qu’est-ce qu’on fait et qu’est-ce qu’on ne fait pas.»
L’équipe de Konekte y travaille depuis 2018, avec la collaboration des communautés scolaires et l’avis légal de Me Lovania Pertab. Il s’agit d’un outil pour savoir détecter et gérer les cas de comportements suicidaires. Toutefois, il faut au préalable suivre la formation proposée par Konekte pour savoir l’utiliser. « Cette formation s’adresse à tous ceux concernés par le milieu scolaire. Il peut s’agir des enseignants, du personnel administratif, des parents, entre autres. Les sessions sont sur six semaines », fait-elle ressortir.
Le manuel, dont l’aspect graphique est signé Toshan Bhurut de Blast Communication, comporte trois parties, aux couleurs différentes. La première partie est intitulée Comment faire face aux tentatives de suicide ? Elle donne les étapes à suivre dans un moment de crise. La deuxième partie est axée sur les facteurs de risques. « Une méconnaissance peut mettre à risque. Il y a aussi des croyances qui peuvent déclencher cela et il faut les démystifier. » La troisième partie s’avère être technique avec une grille pour évaluer les risques.
Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, de l’équipe dirigeante de Konekte, attire l’attention sur les cas de dépression en hausse chez les jeunes. « Nous avions une moyenne de 43 jeunes par an nécessitant de l’aide en raison d’un état dépressif. Mais depuis le début de cette année, nous avons déjà eu 38 cas. C’est clair qu’il y a une augmentation des cas », prévient-elle.
Elle a invité les médias à faire très attention, lorsqu’elles rapportent des cas de suicide chez les jeunes. « Il faut surtout éviter de donner des détails sur les moyens utilisés, car cela peut donner un effet d’entraînement », indique-t-elle. Dans le même ordre d’idées, les communautés scolaires doivent également être encadrées pour savoir comment en parler quand il y a eu un cas de suicide dans un établissement.
Konekte aimerait pouvoir également collaborer avec le ministère de l’Éducation pour que ses psychologues soient aussi formés à gérer et prévenir les comportements suicidaires en milieu scolaire. Néanmoins, les différentes démarches dans ce sens ces dernières années n’ont pas abouti.
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Aneeta Goorah, Ombudsperson for Children : « Un malaise sociétal parmi les ados »
« Il faut une réflexion profonde sur ce qui se passe chez nos jeunes en ce moment. À mon avis, il y a un problème de fond, un malaise sociétal chez les ados. Nous faisons beaucoup de palliatif. Il est important de prévenir également. Je conseille vivement d’approcher le ministère de l’Éducation, pour que les établissements publics soient aussi concernés. Je lance également un appel aux parents d’avoir une ligne de communication avec leurs enfants.
« Finalement, je lance un appel aux médias de faire très attention en rapportant des cas de suicide chez les jeunes, car il peut y avoir des réactions en chaîne, comme nous l’avons vu il y a quelques années de cela. Concernant le cas récent d’une élève d’un collège d’État, j’ai lu et entendu toutes sortes de choses. J’ai eu des discussions avec la rectrice et elle m’a dit qu’il n’y a jamais eu tout cela. Il faut faire très attention. »
Mgr Jean-Michaël Durhône, évêque de Port-Louis : « Cela peut toucher nos familles »
« Le suicide chez les jeunes est un sujet très sérieux. Nous parlons des personnes avec des drames. Cela peut toucher nos familles. En Australie, après la pandémie de Covid-19, il avait été décidé de prendre soin de la santé mentale des jeunes, avant de reprendre les cours. À Maurice, il n’est jamais trop tard pour bien faire. L’Église serait heureuse de collaborer avec l’État. Il n’y a pas de nou bann, zot bann. Cela concerne les enfants mauriciens, y compris Rodrigues et Agalega. Nous ne sommes pas à l’abri. La santé mentale est importante pour l’être humain que nous voulons construire. »