Il ne pouvait, bien sûr, être question du remake de mauvais goût de février 2015 avec un ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, tiré par la chemise et une partie du haut du torse à l’air, embarqué dans un véhicule de la police où les occupants l’avaient littéralement coincé.
Le nouveau gouvernement, porté par un fort désir de changement, ne pouvait opérer de la même manière et donner des ordres à la police pour traquer, maltraiter et martyriser les opposants. Le changement, c’est aussi ça !
On ne s’arrêtera pas sur les menottes et leur application sélective, sur les voitures publiques ou personnelles, sur le nombre de véhicules de police qui avait pénétré la cour d’Angus Road, sur l’autorisation accordée à Kobita Jugnauth de rentrer chez elle, tout ce qui peut légitimement susciter des interrogations de la part des plus avisés comme du citoyen lambda, mais il y a des éléments du fonctionnement de cette Financial Crimes Commission (FCC), héritée du gouvernement MSM qui ont de quoi intriguer.
La FCC a, désormais, un responsable de communication et la politique informationnelle consiste à poster des news sur le site officiel de la commission. À première vue, rien à redire, mais là où l’on est obligé de s’interroger, c’est lorsqu’elle médiatise sa décision de demander des “notice on departure” au bureau des passeports et de l’immigration pour des personnes qui sont dans son viseur. Et qu’elle en fait part publiquement sur son site.
C’est comme cela que tous les Mauriciens ont appris, depuis bientôt deux mois, que – dans le sillage de l’affaire MIC et de Pulse Analytics – une interdiction de quitter le territoire pesait sur l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy et que son ancien collègue Maneesh Gobin était lui aussi soumis aux mêmes restrictions dans l’affaire Stag Party. Depuis, rien, et cela a de quoi donner lieu à toutes les conjectures.
Samedi dernier, avant même les perquisitions effectuées chez les principaux protagonistes de l’affaire des valises à millions, la liste des personnes interdites de quitter le pays était rendue publique. Si trois des concernés ont effectué des passages au Réduit Triangle, le quatrième nommé, Basoodeo Seetaram, n’a pas encore été convoqué. Il est toujours au large, comme Vinash Gopee, le tout dernier proche du leader du MSM à faire l’objet d’un “notice in departure”.
Quel est l’intérêt d’un organisme d’investigation de prévenir le monde entier et d’éventuels auteurs d’actes délictueux qu’ils sont sous un ordre d’interdiction de quitter le pays ? La FCC croit-elle que cela empêchera ceux qui ont amassé des millions de les dissimuler dans des valises, des coffres, dans des caches de toutes sortes, ou chez des personnes insoupçonnées ?
Il y a l’enquête et il y a aussi le volet justice qui provoque des questions légitimes. Le déroulé des événements du dimanche 16 février suscite énormément d’interrogations. Ceux qui, à l’instar de l’Attorney General, Gavin Glover – très “système” et, on peut le comprendre, puisqu’il l’a pratiqué depuis des décennies –, invoquent uniquement le strict respect des procédures pour expliquer et justifier la prolongation exceptionnelle de la séance de la Cour du week-end, sont comme dans une bulle d’où ils ne peuvent manifestement pas capter le ressenti du citoyen ordinaire qui veut que “justice is seen to be done”.
Pas seulement pour ceux qui portent un nom qui résonne ou qui ont occupé des fonctions importantes dans le pays, mais pour tout le monde indistinctement. On n’ira pas jusqu’à établir une comparaison avec le voleur de litchis qui fut expédié pour six mois en taule le jour même où il s’était introduit chez l’ancien commissaire de police Mario Nobin, mais il faudra que le Mauricien voit que la loi, devant laquelle tous sont censés être égaux, du plus puissant au plus démuni, soit appliquée avec rigueur, impartialité et équité.
Le magistrat Rishan Chineah a cru bon, dans le cas de Pravind Jugnauth, de mobiliser un grand nombre de personnes toute la journée d’un dimanche jusqu’aux petites heures du lundi pour éventuellement décider d’accorder la liberté conditionnelle à l’ex-PM.
Quoi qu’en puissent dire les plus légalistes et les plus régimistes des praticiens du droit, ce qui s’est passé aux petites heures de lundi dernier, c’est du jamais vu et cela ne fait que renforcer la perception selon laquelle il y a une justice à multiples vitesses à Maurice. Rien ne saura occulter ce qui est, désormais, une évidence. Celle qui se résume à “bail for the rich et jail for the poor”.
Ce qui rend encore plus perplexe l’observateur qui a scruté les événements du week-end dernier, c’est que le magistrat ait décidé d’accorder la liberté sous caution à Pravind Jugnauth, bien qu’il ait lui-même observé, dans son ruling, qu’il y a une “strong evidence” de son implication dans cette affaire de blanchiment d’argent. Et on pourra aussi se poser des questions sur les raisons pour lesquelles le bureau du DPP ne s’est pas appuyé sur ce constat du magistrat pour s’opposer à la liberté conditionnelle.
La question qui devra aussi se poser tôt ou tard est de savoir si Raouf Gulbul, l’avocat volubile et jubilatoire qui représentait Pravind Jugnauth dans cette affaire, devra continuer à exercer pendant que son épouse dirige le judiciaire. On ne reviendra pas sur les éléments qui avaient surgi durant les travaux de la commission d’enquête sur la drogue et l’histoire de la carte SIM ou des messages en provenance de la Colombie. Mais là aussi, il n’est pas inopportun de se poser des questions.
Si Raouf Gulbul ne va pas jusqu’à se présenter devant la Chef Juge, ce qui aurait été le comble, il n’est pas interdit de penser que sa présence dans certains procès à fort retentissement peut causer de l’embarras aux subalternes hiérarchiques de son épouse. Un congé de deux ans jusqu’à l’âge du départ à la retraite de son épouse en 2027 n’aurait pas été de trop.
Tout cela relève, bien entendu, de la conscience professionnelle et personnelle. Mais comme on sait, à chacun sa propre notion de l’éthique et de la moralité…
Josie Lebrasse
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