Transferts punitifs : Deux décisions de l’ex-CP et de la DFSC annulées

Les juges Maghooa et Oh San-Bellepeau : « The facts of the present application illustrate a blatant departure from good administration »

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Les policiers se plaignent toujours de transferts punitifs et d’exercices de promotion discriminatoires au sein de la force policière. Mais deux jugements rendus par la Cour suprême ce jeudi pourront singulièrement changer la donne.

Satteeam Doorgapersand et James Curtis Martin avaient rejoint la force policière en 1992 et avaient été affectés à la Very Important Person Security Unit (VIPSU), respectivement en 1994 et 1995. Par la suite, ils avaient été affectés à la garde rapprochée du Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam. En 2007, ils avaient été promus comme sergents. Puis, en 2014, toujours en tant que sergents, ils avaient été chargés d’assumer les fonctions d’inspecteur de police, sans toutefois être formellement promus à ce rang.
Mais après les élections générales de 2014, alors que Navin Ramgoolam avait pris la sortie, les deux sergents avaient reçu comme mission de continuer d’assurer la protection de ce dernier. Ils avaient aussi continué d’assumer celles d’inspecteur de police. Sauf que, six ans plus tard, dans des lettres en date du 23 juillet 2020 émanant de la Disciplined Forces Services Commission (DFSC), les deux sergents avaient été informés que leur prise en charge des fonctions d’inspecteur de police avait pris fin rétroactivement, jusqu’au 6 mars 2020, et ce, sans qu’aucune justification ne soit mentionnée.
Ils avaient alors demandé une Judicial Review de cette décision du commissaire de police d’alors et la DFSC. Pour les deux sergents, le fait que la DFSC avait mis fin rétroactivement à leur prise en charge des fonctions d’inspecteur de police était « injuste, irrationnel et déraisonnable ». Et de rappeler qu’alors que de nombreux constables, caporaux et sergents de la VIPSU, qui avaient assumé les fonctions d’un rang supérieur pendant moins d’une année, avaient été formellement promus à ce rang, eux, qui avaient assumé les fonctions d’inspecteur de police pendant plus de cinq ans, n’avaient pas bénéficié de cette promotion, ce qui leur était préjudiciable en ce qui concerne leurs émoluments.
Les deux sergents avaient aussi maintenu qu’il y avait violation des Rules of Natural Justice, vu qu’aucune raison n’avait été donnée par la DFSC pour justifier ses décisions. Pour eux, il était clair que lesdites décisions étaient « discriminatoires et politiquement motivées », vu leur proximité avec Navin Ramgoolam.
Pour les plaignants, ils avaient une Legitimate Expectation en vertu des règlements de la DFSC, qui stipulent que si un officier de police occupe les fonctions d’un rang supérieur, il est éligible à être promu à ce rang après en avoir assumé les fonctions pendant une période minimum de six mois. Le commissaire de police de l’époque avait expliqué en cour qu’il avait informé la DFSC le 6 mars 2020 que la prise en charge des fonctions d’inspecteur de police par les plaignants n’était plus nécessaire et recommandé que cette prise en charge soit terminée avec effet immédiat.
Le commissaire de police avait maintenu que, selon la Letter of Assignment of Duties, qui stipulait que « assignment of duties as Inspector of Police will not give any claim for permanent appointment as Inspector of Police », cette prise en charge des fonctions d’inspecteur de police ne donnait aucun droit à une promotion formelle, et qu’il avait une discrétion absolue en ce qui concerne les promotions. De ce fait, les arguments des plaignants en ce qui concerne d’autres officiers qui avaient reçu leurs promotions n’étaient pas pertinents.
La DFSC avait maintenu pour sa part qu’elle n’avait fait qu’entériner les recommandations du commissaire de police. Ces prises en charge des fonctions d’un rang supérieur par des officiers de police se faisaient sur des bases d’Administrative Convenience, et ne donnaient droit à aucune revendication. Il n’était de fait pas nécessaire pour la DFSC de fournir des raisons pour ses décisions, vu que les plaignants savaient pertinemment bien que la Letter of Assignment of Duties ne leur donnait aucun droit de promotion.
Dans leur jugement, les juges Iqbal Maghooa et Nicolas Oh San-Bellepeau ont cependant pris comme point de départ le Standing Order 16 des règlements de la DFSC. Selon ce règlement, un officier de police est éligible à une promotion à un rang supérieur s’il a assumé les fonctions de ce rang de façon satisfaisante pendant une période minimum de six mois. Dans ce contexte, les défendeurs n’ont pas remis en question que de nombreux officiers ont été promus à un rang supérieur après en avoir assumé les fonctions, et ce, en moins d’une année. Ils ont ainsi rejeté d’emblée l’argument du commissaire de police d’alors que ces promotions n’étaient pas pertinentes à la présente affaire.
Les juges ont aussi rejeté l’argument de la DFSC que ces prises en charge de fonctions d’un rang supérieur étaient sur une base d’Administrative Convenience, vu que les plaignants avaient assumé les fonctions d’inspecteur de police pendant plus de cinq ans. Les juges sont même allés jusqu’à dire que « the facts of the present application illustrate a blatant departure from good administration ».
En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire du commissaire de police par rapport aux promotions, les juges ont fait état que « to condone the exercise of such arbitrary discretion would allow the Commissioner of Police to assert unrestricted authority without the slightest concern for potential future scrutiny and could easily lead to serious acts of injustice and unfairness ». Quant à l’absence de raison fournie par la DFSC, les juges, se basant sur plusieurs décisions précédentes du Privy Council ou de la Cour suprême, ont remarqué que si une autorité ne donne pas de raisons à sa décision, « the court may infer that no valid reason exist ».
Les juges ont ainsi stipulé concernant les deux plaignants dans leurs jugements séparés : « We must therefore conclude that there was no reasonable justification for reverting the applicant to his substantive position as Police Sergeant after almost 6 years of keeping him assigned to higher duties as Police Inspector. » Dans les deux cas, ils ont ainsi qualifié ces décisions du commissaire de police et de la DFSC d’« absurd, perverse, irrational, unjustifiable, unfair and unreasonable ».
Ces décisions de mettre fin à la prise en charge des fonctions d’inspecteur des deux sergents ont par conséquent été déclarées nulles et non avenues. Le commissaire de police et la DFSC devront aussi assumer les frais de ces affaires.

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